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Économie

Comment faire de l’argent avec la disparition de la biodiversité...

Nature, le nouvel eldorado de la finance, le documentaire de Sandrine Feydel et Denis Delestrac, montre comment le marché de la « préservation » de la nature se développe partout dans le monde, consistant à faire de l’argent sur la disparition de la biodiversité. A voir jusqu’au mardi 10 février.

« Et si les marchés économiques et financiers parvenaient à sauver la planète ? » Mais oui tiens, au fond : après l’échec des sommets internationaux, le manque de volonté des dirigeants politiques, la force de frappe trop faible des militants et ONG, pourquoi ne pas faire confiance à la cupidité des entreprises pour sauver notre planète, et nous avec ?

Le documentaire de Sandrine Feydel et Denis Delestrac étudie cette proposition, en enquêtant sur plusieurs cas. Par exemple, celui de la « mouche des sables amoureuse des fleurs » : il y a un siècle, elle vivait notamment dans un espace d’une centaine de kilomètres carrés autour de la ville de Colton, en Californie. Mais depuis, 95 % de son habitat a été détruit ou rendu inhospitalier, au point que l’insecte est devenu la première mouche en voie d’extinction des États-Unis.

Pour protéger la population restante, toute activité de construction autour de Colton a été gelée en 1993. Cette fameuse mouche étant protégée, l’ensemble des lieux où elle vit sont désormais soumis à un contrôle strict : la législation étasunienne ne permet à un promoteur d’y construire que s’il contribue dans le même temps à la sauvegarde de la mouche.

Des actions pour autoriser à détruire l’environnement

Une entreprise a donc eu l’idée d’acheter les 130 hectares de Colton sur lesquels vit une partie des mouches restantes, et de se constituer en « bio-banque ». Concrètement, elle ne touche pas aux terrains, permettant la survie de l’espèce. En revanche, elle émet des actions qui correspondent à une certaine part du territoire des mouches. Les promoteurs souhaitant détruire un de leurs habitats situé en un autre endroit du pays doivent alors acheter en contrepartie des actions de la bio-banque. Ainsi, l’établissement a par exemple vendu une action équivalant à 4 000 m² pour 250 000 dollars.

La mouche devient un investissement financier. Et plus l’espèce sera menacée, plus le prix des actions augmentera. C’est la vieille loi économique de l’offre et de la demande : si l’offre est plus faible que la demande, les prix explosent. Ici, le nombre de mouches représente l’offre, tandis que les promoteurs souhaitant construire là où elles vivent – et donc tuer ces populations – constituent la demande.

À partir de ce raisonnement, toute la nature, menacée ou non, acquiert subitement une valeur économique. Les abeilles ? Un calcul établit que leur travail de pollinisation vaut deux cent milliards de dollars, soit le prix que coûterait de polliniser mécaniquement la totalité des fleurs sur terre.

Ni une ni deux, face à ce constat, des entreprises s’imaginent déjà empocher le pactole tout en se présentant comme protectrices des abeilles. Elles constituent des ruchers mobiles géants qu’elles louent aux agriculteurs situés dans des zones dépeuplées en abeilles. Où est le mal ? Leurs ruchers permettent de préserver l’espèce, et leur modèle économique est parfaitement viable.

Plus l’environnement sera rare, plus il vaudra cher

Partout dans le monde le marché de la « préservation » de la nature se développe. Des bio-banques vendent des droits à détruire l’environnement, lesquels droits deviennent des objets de spéculation comme les autres.

« Connaître le prix de la nature c’est lui reconnaître de la valeur : aujourd’hui dans le système tel qu’il fonctionne, ce qui n’est pas compté ne compte pas », explique dans le documentaire l’ancien ministre écologiste Pascal Canfin. Nous serions donc condamnés à donner un prix à la nature, afin que des entreprises s’intéressent à elle et la protègent ?

Ce raisonnement oublie la logique même de l’économie : la rareté. Ne rapporte que ce qui est rare, ou que l’on fait apparaître comme rare et désirable. Les entreprises et autres bio-banques qui se lancent dans l’économie de la nature ont donc tout intérêt à ce qu’elle devienne le plus rare possible.

Éthiquement insupportable, le fait de se faire de l’argent sur la disparition de la biodiversité se révèle également totalement inefficace. C’est néanmoins comme cela que fonctionne le marché du carbone ou le marché des forêts que des multinationales se font une fierté de replanter aux quatre coins du globe.

La machine économique et financière est lancée : elle a déjà commencé à s’attaquer à la nature. Le premier pas dans la lutte est d’en prendre conscience, et ce documentaire y aide grandement.


Nature, le nouvel eldorado de la finance, documentaire de Sandrine Feydel et Denis Delestrac, 87mn.

Visionnable sur Arte.tv jusqu’au mardi 10 février.

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