Dépolluer l’air du métro : les technologies sont prêtes, pas la RATP

L'air des stations de métro et de RER franciliens (ici un RER B) est plus pollué que celui de l'extérieur. - © Maurizio Orlando / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP
L'air des stations de métro et de RER franciliens (ici un RER B) est plus pollué que celui de l'extérieur. - © Maurizio Orlando / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP
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Pollutions TransportsDes solutions existent pour dépolluer l’air des souterrains du métro ou du RER. Les expérimentations ont déjà fait leurs preuves. Mais la RATP refuse de généraliser ces technologies.
C’est une contradiction difficilement soutenable : alors que l’on encourage les citadins à privilégier les transports en commun, notamment pour lutter contre le changement climatique, l’air que l’on respire dans les souterrains du métro et RER s’avère particulièrement néfaste pour la santé. L’air y est trois fois plus pollué qu’en extérieur. Pourtant, de multiples technologies sont en développement, voire déjà prêtes, pour réduire cette pollution souterraine.
Consciente du problème, Île-de-France Mobilités a déjà investi 57 millions d’euros avec la RATP pour renforcer ou renouveler les systèmes de ventilation dans les métros et RER. Mais au-delà des méthodes permettant de renouveler et filtrer l’air en station, purifier efficacement l’air des transports en commun souterrains implique de s’attaquer aux sources mêmes de cette pollution. Et de comprendre son origine. Pour cela, il faut commencer par faire un peu de tribologie…
Limiter les miettes dans le « crumble »
Ce terme savant désigne la science qui étudie, entre autres, les phénomènes de frottement. Et c’est précisément là que naissent nos particules fines : lors du freinage des trains, le frottement entre les plaquettes de frein et la roue ou le disque de frein d’une part, puis entre les roues et les rails d’autre part, libère d’innombrables particules dans l’air. « Si l’on zoome sur ces surfaces, lisses en apparence, on voit qu’elles sont rugueuses. Lorsqu’elles frottent, cela permet de ralentir leur mouvement, mais génère en même temps des particules, explique Martin Morgeneyer, enseignant-chercheur à l’université de technologie de Compiègne. C’est comme si l’on grattait la surface d’un crumble : à haute température, cela génère des microfissurations et des arrachages de matière. »
En mai dernier, une enquête des journalistes de l’émission « Vert de rage » mesurait la concentration en particules fines d’un diamètre inférieur à 2,5 micromètres (PM2,5), les plus dangereuses car les plus à même de franchir les barrières pulmonaires, en moyenne à 24 microgrammes par mètre cube (μg/m³) dans les stations de métro et de RER franciliens, avec des pics à plus de 100 μg/m³. Contre un seuil à ne pas dépasser, fixé par l’OMS à 5 μg/m³ en exposition annuelle, et 15 μg/m³ en exposition journalière.

L’origine de ces PM2,5 les rend spécifiques à l’environnement des tunnels ferroviaires : on y trouve davantage d’éléments métalliques, principalement du fer, que dans les particules fines présentes dans l’air extérieur. Elles sont aussi plus grosses, plus denses et de formes plus variées, « en écaille, ellipsoïdales, semi-sphériques ou sphériques », égraine un rapport de juin 2022 d’AirParif, avec des termes qui seraient presque poétiques s’ils n’évoquaient pas de réels dangers de santé publique. La toxicité des particules présentes dans ces enceintes ferroviaires confinées serait en effet plus forte que celle des particules de l’air extérieur urbain, induisant notamment un « stress oxydant parfois plus élevé », une cytotoxicité et une génotoxicité « plus marquée[s] », relevait en 2022 un rapport de l’Anses, précisant que les études étaient lacunaires et trop peu nombreuses, et que les effets sanitaires de ces particules restaient donc en partie méconnus.
Mais peut-on éviter de générer de tels éléments de matières nuisibles ? La tribologie tente de répondre à cette question en faisant varier les paramètres. « La vitesse et la manière de freiner peuvent modifier la quantité de particules émises, mais c’est un phénomène complexe : ce ne sont pas forcément les plus grandes vitesses qui sont les plus nocives. On cherche l’optimum, mais il n’y a pas de règle d’or », assure Martin Morgeneyer. Un facteur clé concerne la taille des particules : puisque les plus fines sont les plus nocives pour la santé, un type de freinage qui influerait sur la granulométrie des émissions aurait une forte valeur pratique. « On a des projets en cours là-dessus, mais pas encore de conclusion », évoque le chercheur.
Des solutions qui restent à quai
La composition chimique des matériaux de freinage est évidemment un autre élément déterminant. La première chose que l’on demande à une plaquette de frein, c’est de bien freiner. Puis de n’être pas trop glissante ni vibrante et de ne pas casser facilement. Ensuite, si le système ne s’use pas trop rapidement, c’est également un atout pour l’industriel, et cela génère moins d’usure : cela veut dire moins d’abrasion et donc moins d’émissions de particules polluantes… « Cela rend le cahier des charges extrêmement complexe, nous dit Martin Morgeneyer. Les plaquettes de frein sont un mélange de résines, de métaux et de minéraux. Beaucoup de monde travaille sur la meilleure recette possible mais, là non plus, on n’a pas encore trouvé le Saint-Graal. »
À défaut de Graal, l’industriel Wabtec se vante tout de même d’avoir trouvé une recette à l’efficacité impressionnante. Ce spécialiste étasunien des équipements ferroviaires a développé une technologie de freins baptisée « Green friction », dont la composition, tenue secrète, permettrait de réduire les émissions de particules fines PM2,5 de 85 %, et les PM10 de 90 %. Les particules encore plus fines, PM1, sont moins éliminées, mais réduites tout de même de 60 %, selon les tests réalisés sur banc d’essai par l’industriel. Fort de ces résultats, Wabtec a signé un partenariat en 2020 avec la RATP pour équiper deux trains du RER A avec leurs freins « green friction ». L’expérimentation, lancée en 2021, devait durer un an. En cas de réduction concluante des émissions, « la RATP pourra homologuer cette solution », promettait alors l’opérateur.
« On a une solution qui fonctionne, mais une mauvaise volonté de la RATP »
Depuis, toutefois, c’est le silence radio. « On n’a jamais eu de retour d’expérience, c’est assez obscur », se désole Tony Renucci, directeur général de l’association Respire. « On a un problème de santé publique majeur, une solution qui fonctionne, mais une mauvaise volonté totale de la RATP, qui fait traîner et nous dit que c’est compliqué à généraliser, dit Jacques Baudrier, adjoint à la marie de Paris et membre de Conseil d’administration d’Île-de-France Mobilités (IDFM). Ça fait des années qu’on demande un déploiement massif de ces technologies qui ont fait leurs preuves, mais évidemment, ça coûte beaucoup d’argent... » Interrogée plus d’un mois avant la publication de cet article, la RATP n’a pas été en mesure de nous répondre, arguant de l’interférence avec « d’autres actualités et d’effectifs réduits ».
Du côté de Wabtec, on assure que l’investissement initial est certes plus important que pour des freins classiques, mais que son système « green friction » étant plus durable, le coût à long terme n’est pas supérieur. « L’énorme avantage, c’est qu’il n’y a pas de modification à faire sur les trains, on a juste à remplacer un frein par un autre, nous assure-t-on en interne. C’est une manipulation très simple. La plupart des trains régionaux et banlieues sont équipés de freins à disque, alors que la plupart des métros sont équipés de freins à sabots. La gamme Green friction comprend les deux types de produits et peut être utilisée pour tous les types de freins. »

Retour d’expérience attendu fin 2023
Une autre piste technologique existante consiste non pas à réduire le niveau d’émission à la source, mais à les capter juste après l’émission, grâce à un système d’aspiration et de filtrage miniature installé à côté des semelles de frein. L’entreprise Tallano a notamment développé un tel système, expérimenté sur des trains du RER C, avec la SNCF cette fois-ci. Les résultats sont très prometteurs : 70 à 80 % des particules de freinage seraient ainsi captées directement à la source.
La SNCF annonçait un partenariat expérimental avec Tallano dès 2018. Et les deux technologies, de Wabtec et Tallano, sont à nouveau mentionnées dans le plan d’action pour la qualité de l’air dans les gares et stations souterraines, annoncé par IDFM en mai 2022, sans qu’aucune intention de déploiement plus massif ne soit encore à l’ordre du jour. « Généraliser ces solutions est très complexe, il faut vérifier la résistance dans la durée, les questions de sécurité, de maintenance…, argumente Olivier Blond, délégué spécial à la santé environnementale à la Région Île-de-France. Par ailleurs, réduire les émissions à la source réduit la pollution de l’air en station, mais les usagers passent beaucoup moins de temps à quai que dans les rames, où les systèmes de filtration sont efficaces. Il faut donc bien réfléchir à la solution la plus optimale avant d’engager des sommes astronomiques. »
La collectivité francilienne doit financer une nouvelle phase de test, avec l’objectif de pouvoir comparer les solutions, dont celles de Wabtec et Tallano d’ici fin 2024. Un calendrier qui pourrait s’accélérer. Le Conseil d’administration d’IDFM a voté le 28 juin une série de vœux enjoignant la RATP et la SCNF à leur faire un retour d’expérience sur les expérimentations en cours sur les RER A et C et à leur fournir une estimation du potentiel de déploiement et du financement nécessaire, d’ici fin 2023.
« On accélère enfin, mais seulement pour les RER et les franciliens. La RATP dit que les aspirateurs Tallano sont incompatibles avec le format des métros, mais on ne leur fait pas confiance, nous voulons une expertise tierce », fulmine Jacques Baudrier. Membre du syndicat Solidaires RATP, François-Xavier Arouls pointe également les arbitrages budgétaires contradictoires du réseau de transport francilien : « On met en place du matériel de plus en plus lourd, pour transporter plus de monde, et on nous impose une conduite très dense qui implique de freiner très vite. Tout cela augmente la pollution... » Une manière de rappeler, comme le dit aussi le chercheur Martin Morgeneyer, que « moins on freine, moins on pollue : une vraie perspective serait une vraie régulation du trafic ». En attendant les promesses de la technologie, il serait temps d’entamer une réflexion sur la densité et l’aménagement urbain.