Crise énergétique : le plan de Borne « limite la casse »

Capture d'écran de la conférence de presse de la Première ministre le 14 septembre 2022.
Capture d'écran de la conférence de presse de la Première ministre le 14 septembre 2022.
Durée de lecture : 6 minutes
Quotidien ÉnergiePlafonnement des tarifs réglementés du gaz et de l’électricité, chèque énergie... Les mesures annoncées par la Première ministre « limitent la casse » mais laissent certains foyers de côté, selon l’association Familles rurales.
Le bouclier tarifaire sur le gaz et l’électricité sera bien prolongé en 2023, mais les factures des ménages vont tout de même augmenter en moyenne de 15 % l’an prochain. C’est ce qu’a annoncé la Première ministre, Élisabeth Borne, le 14 septembre. Face à « la situation énergétique exceptionnelle », le gouvernement souhaite continuer à limiter les effets des hausses exorbitantes des cours du marché énergétique sur les consommateurs.
Le tarif réglementé du gaz est gelé depuis octobre 2021, tandis que l’augmentation de celui de l’électricité est plafonnée à 4 % depuis février 2022 et ce jusqu’à la fin de l’année. L’État décide donc de prolonger ce dispositif. Toutefois, il va en relever les plafonds. Ainsi, à partir de janvier 2023, les factures de gaz pourront augmenter de 15 %. Même chose pour l’électricité à partir de février.
En parallèle, la Première ministre a annoncé la mise en place d’un « chèque énergie » pour les 12 millions de foyers les plus modestes, soit 40 % des ménages : ils toucheront début 2023 un chèque de 100 ou 200 euros en fonction de leurs revenus. Et pourront utiliser cette somme pour payer leurs factures de chauffage, y compris lorsqu’ils se chauffent au fioul et au bois.
Stéphanie Truquin, économiste à Familles rurales, association de consommatrices et consommateurs, nous explique pourquoi ces mesures ne vont pas assez loin.
Reporterre — Que pensez-vous de ce nouveau bouclier tarifaire ?
Stéphanie Truquin — Le bouclier tarifaire instauré dès la fin 2021 a clairement permis de limiter la casse. Quand on voit ce qui se passe chez nos voisins européens, où les tarifs ont parfois doublé, ce système s’est révélé très protecteur en France.
Mettre en place un plafond tarifaire de 15 % sur le tarif du gaz qui était jusque là gelé et relever de 4 à 15 % celui de l’électricité sont des mesures protectrices sur le fond. Compte tenu de la hausse vertigineuse des prix de marché (plus de 100 % en un an), cette augmentation de 15 % pour les consommateurs nous semble raisonnable. À condition que les personnes les plus en difficulté soient aidées.
Justement, le gouvernement annonce le déblocage de 1,8 milliard pour financer le chèque énergie pour les plus modestes. Est-ce suffisant ?
Il s’agit d’un nouveau chèque énergie dit « exceptionnel ». Mais nous aurions préféré que le gouvernement choisisse plutôt d’augmenter le montant du « vrai » chèque énergie et qu’il l’élargisse à plus de personnes. Ce dernier est déjà versé chaque année aux 5,8 millions de foyers les plus modestes. D’un montant moyen de 150 euros, il les aide à régler leur facture de chauffage quelle que soit l’énergie qu’ils utilisent (gaz, électricité, fioul, propane, bois). C’est son gros avantage.
Le dispositif de bouclier tarifaire proposé par le gouvernement ne s’applique qu’aux personnes qui se chauffent au gaz ou à l’électricité. En limitant la hausse des tarifs à 15 %, un couple avec deux enfants et un salaire de 3 000 euros net se chauffant au gaz devrait dépenser 25 euros de plus par mois par rapport à aujourd’hui. Sans bouclier, le surcoût serait de 200 euros. Même chose pour l’électricité : le même foyer se chauffant au gaz paiera « seulement » 20 euros de plus par mois, au lieu de 180 euros sans bouclier.
Les personnes modestes qui se chauffent au gaz et à l’électricité pourront donc cumuler ce gain ainsi que le nouveau chèque énergie de 150 ou 200 euros selon leur niveau de revenus. Les plus modestes pourront en plus bénéficier du traditionnel chèque énergie qui varie, là encore selon les revenus, entre 48 et 277 euros. Le surcoût sera alors en bonne partie absorbé. Ce qui est une bonne chose.
« Quid de ceux qui se chauffent au fioul, propane ou bois ? »
Mais quid des 10 millions de foyers, dont une proportion non négligeable de précaires, qui utilisent une autre énergie pour se chauffer, comme le fioul, le propane ou le bois ? Les tarifs du fioul ont doublé en quelques mois. De même pour le bois. Prenons toujours l’exemple d’un couple avec deux enfants. Sa facture de fioul pour se chauffer est passée de 2 000 à 4 000 euros environ depuis la crise ! Admettons que ses petits revenus lui permettent de bénéficier du montant maximum des deux chèques énergie (soit 200 euros + 277 euros), cette aide restera largement insuffisante pour compenser le surcoût de 2 000 euros.
Le plafonnement des tarifs de gaz et d’électricité ne concerne que les tarifs réglementés. Ce qui laisse beaucoup de clients sur la touche...
En effet, le bouclier tarifaire ne s’applique pas aux offres de marché. Environ 30 % des abonnés à l’électricité sont sortis du tarif réglementé. La bonne nouvelle, c’est qu’ils peuvent retourner au tarif réglementé quand ils le souhaitent.
S’ils bénéficient d’un tarif bloqué sur 2 ou 3 ans, ils ont sans doute intérêt à garder le même contrat pour le moment. Mais dès la fin du contrat, il faut qu’ils optent pour l’offre la moins onéreuse après avoir consulté le comparatif du site officiel Energie-info.fr. Le tarif réglementé d’EDF arrive actuellement en seconde position. Le contrat le moins cher est proposé par TotalÉnergies. Mais attention, il s’agit d’un contrat à tarif libre : ce qui veut dire que le fournisseur peut modifier son prix à tout moment ! Le tarif réglementé d’EDF est, selon nous, le tarif le plus protecteur à moyen terme.
Les abonnés au gaz qui sont passés aux offres de marché — ce qui représente tout de même 75 % des clients — ont hélas moins de chance car il est désormais impossible de retourner vers le tarif réglementé. Ce dernier va totalement disparaître en juin 2023. Heureusement, la plupart bénéficient d’un tarif à prix fixe de deux ou trois ans. Pour le moment, ils doivent donc conserver ce contrat.
Quelles autres mesures préconiseriez-vous ?
S’il faut accompagner les familles avec des mesures transitoires, telles que celles proposées sur le prix de l’énergie, des mesures plus structurelles sont également indispensables pour réduire la consommation des logements.
Il faudrait d’une part inciter à des rénovations globales — et pas seulement des rénovations « par gestes », comme changer les fenêtres ou isoler seulement les combles — et d’autre part, prévoir un système d’aides pour arriver un zéro reste à charge pour les personnes les plus précaires.