Média indépendant, en accès libre pour tous, sans publicité, financé par les dons de ses lecteurs

EnquêteClimat

Déprimé par la crise climatique ? Voici comment soigner l’éco-anxiété

L’éco-anxiété, déprime liée à la dégradation continue de l’environnement, touche de plus en plus de citoyens. Quelles solutions pour s’en sortir ? Reporterre a posé la question à des psychologues et des éco-thérapeutes.

On les appelle les éco-anxieux ou les climato-déprimés. Depuis quelques mois, leur souffrance s’étale dans médias généralistes, de Libération en passant par Le Monde ou encore France Inter.

Un engouement qui agace Jean-Pierre le Danff, psychothérapeute et spécialiste du sujet depuis une dizaine d’années : « Cela devient un phénomène de mode, comme si les personnes sensibles à l’environnement ne ressentaient que de l’anxiété. Mais elles ressentent aussi de la tristesse et de la colère. Et surtout, beaucoup sont encore dans le déni. » Il préfère ainsi utiliser l’expression « souffrance écologique », qui se rapproche de la solastalgie.

Le chercheur a étudié l’impact de l’activité minière sur les habitants de la région d’Upper Hunter, en Australie.

Le terme de solastalgie, qui désigne une forme de détresse psychique ou existentielle causée par les changements environnementaux, a été inventé en 2003 par le philosophe australien de l’environnement Glenn Albrecht. Le chercheur a étudié l’impact de l’activité minière sur les habitants d’une vallée en Australie. La pollution et la destruction de leur environnement a engendré une grande détresse et une nostalgie du territoire perdu.

Faute de sensibilisation, les psys réduisent parfois l’éco-anxiété à des problèmes personnels

Depuis, le concept a fait du chemin, même si l’éco-anxiété n’est pas une maladie officiellement reconnue par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Ses symptômes — angoisse, stress et déprime — ne sont pas nouveaux. Mais leurs origines diffèrent des souffrances psychologiques classiques. Ce n’est plus la relation avec votre mère qui vous plonge dans les affres de l’anxiété, mais la disparition des ours polaires sur la banquise. Et les mauvaises nouvelles, toujours plus nombreuses, ne font qu’empirer votre état. Jean-Pierre le Danff n’a jamais été autant sollicité depuis les douze derniers mois. Brigitte Asselineau, présidente de la Fédération française de psychothérapie et psychanalyse dresse le même constat : « Nous avons de plus en plus de demandes, surtout des jeunes adultes. Souvent, ils ne viennent pas en thérapie à cause de cela. C’est en creusant que l’on découvre l’origine de leurs maux. »

S’inquiéter pour la planète n’est donc plus réservé à une minorité d’hippies décroissants.

Les thérapeutes spécialistes du sujet demeurent encore rares. Jean-Pierre le Danff a le sentiment de prêcher dans le désert depuis des années. Charline Schmerber, psychothérapeute qui a publié une enquête sur la solastalgie a dû se plonger dans la littérature anglo-saxonne pour trouver des informations. Elle rêve d’avoir le temps de recenser les professionnels qui s’intéressent au domaine pour mieux orienter les patients. « En France, nous sommes en retard. Peut-être parce que nous sommes dans le déni. » Un déni qui touche autant le grand public que les psy, bien démunis face à ces nouveaux tourments. Faute de sensibilisation, ils réduisent parfois l’éco-anxiété à des problèmes personnels, familiaux, à des névroses d’enfance. Pierre-Eric Sutter, psychologue à Paris, raconte comment il s’est senti démuni face à sa première patiente qui voulait mettre les mains dans la terre. « Les conséquences de l’éco-anxiété, n’importe quel psy peut les traiter. Mais pour en comprendre les causes, il faut être en résonance avec ce vécu. » Pour Vincent Wattelet, psychologue et coordinateur d’une formation en écopsychologie en Belgique, les thérapeutes classiques risquent de ne pas comprendre exactement l’origine du mal : « Ce n’est pas de la paranoïa, ou du délire, ni une déformation de la réalité. Il ne faut pas normaliser le problème pour inciter les gens à s’habituer, mais s’attaquer aux sources du problème. »

L’écopsychologie, pour une reconnexion de l’humain avec l’environnement

Lier l’écologie et la psychologie est justement l’objectif de l’écopsychologie, terme inventé par Theodore Roszak, historien et sociologue américain. Il ne s’agit pas d’une nouvelle discipline médicale mais d’une pratique qui insiste sur la reconnexion de l’humain avec l’environnement. Martine Capron, psycho-somatothérapeute et écothérapeute n’hésite pas à se promener dans la nature avec ses patients. « On entre en résonance avec les éléments autour de nous. Il s’agit de retrouver une écologie intérieure, de travailler sur le corps et le ressenti. Car dans notre société on met souvent de coté l’émotionnel en donnant la primauté à l’intellect. »

Cette femme n’a rien d’une mystique. Mariée à Jean-Pascal van Ypersele, ancien vice-président du Giec, personnage d’un épisode de la web-série Next [1], elle travaille sur ces sujets depuis de nombreuses années et a organisé deux colloques d’écopsychologie francophone. Récemment, elle a été invitée à animer une conférence avec des représentants RSE (responsabilité sociétale des entreprises) d’une vingtaine de grands groupes comme Vinci, HSBC ou Clarins. Son collègue Jean-Pierre le Danff a travaillé avec le cabinet de conseils de Jean-Marc Jancovici Carbone 4 dont les ingénieurs sont particulièrement exposés aux ravages de l’éco-déprime. « Cela m’a réjoui que des ingénieurs puissent avoir cette demande. Cela montre que les choses changent », s’exclame Jean-Pierre le Danff.

L’éco-anxiété touche majoritairement des classes sociales supérieures et éduquées

S’inquiéter pour la planète n’est donc plus réservé à une minorité d’hippies décroissants. D’ailleurs, si c’était le cas, aucun média n’aurait daigné s’intéresser au nouveau concept d’éco-anxiété, qui touche majoritairement des classes sociales supérieures et éduquées, bien conscientes du changement qu’il faudra opérer dans leur mode de vie consumériste. Afin d’apaiser ses tourments, les professionnels interrogés conseillent avant tout de parler à ses amis, à sa famille, à son conjoint ou encore sur les réseaux sociaux. Parler sans être jugé, sans passer pour un Cassandre. « Il est important de mettre des mots sur les maux. D’exprimer ses émotions et de sentir qu’on n’est pas seuls. Il faut verbaliser ses émotions », estime Charline Schmerber. Alors que la psychologie classique travaille au niveau individuel et personnel, l’écopsychologie confère à cette souffrance une dimension plus collective. C’est pourquoi, certains praticiens proposent de rejoindre une ONG ou une association, pour faire de la sensibilisation, aider le public à ouvrir les yeux sur des problématiques sociales et écologiques, travailler à l’émergence d’alternatives. En somme, d’agir afin de retrouver un peu d’emprise sur notre destin, pour ne plus se sentir totalement impuissant.

Les thérapeutes proposent d’agir afin de retrouver un peu d’emprise sur notre destin.

Charline Schmerber précise d’ailleurs qu’il ne faut pas négliger l’impact des petits gestes du quotidien : « Bien sûr, quand on les met face aux conséquences des actes de Trump ou Bolsonaro, c’est dérisoire, mais cela permet à mes patients de se sentir utiles. » Pour Pierre-Eric Sutter, l’action apaise la peur suscitée par la fin du monde. Ou plutôt, la fin d’un monde. « La narration des collapsologues heurte de plein fouet notre angoisse de finitude. Tous ceux qui n’ont pas travaillé dessus sont impactés », dit le psychologue, qui a lancé un observatoire des vécus du collapse (soit l’effondrement) pour mesurer les impacts du sombre avenir qui s’annonce.

Face à l’effondrement, l’écoanxiété exprime une angoisse prospective qui nous empêche de penser à long terme. « Je propose à mes patients de se concentrer sur le présent et le moyen terme. De travailler par rapport à leurs désirs, de se demander quelle personne ils ont envie d’être dans le monde qui se prépare », explique Charline Schmerber. Pour elle et tous les autres praticiens interrogés, cette climato-déprime n’est pas une maladie. Au contraire, elle devient le symbole d’un esprit rationnel et inquiet face à l’inaction de la société en dépit des dramatiques constats des scientifiques. Charline Schmerber va même encore plus loin, comparant les éco-anxieux aux lanceurs d’alertes : « Ils sont en capacité de voir que le monde ne tourne pas bien. Des personnes saines d’un monde qui s’ignore fou. »

Alors que les alertes sur le front de l’environnement se multiplient, nous avons un petit service à vous demander. Nous espérons que les dernières semaines de 2023 comporteront des avancées pour l’écologie. Quoi qu’il arrive, les journalistes de Reporterre seront là pour vous apporter des informations claires et indépendantes.

Les temps sont difficiles, et nous savons que tout le monde n’a pas la possibilité de payer pour de l’information. Mais nous sommes financés exclusivement par les dons de nos lectrices et lecteurs : nous dépendons de la générosité de celles et ceux qui peuvent se le permettre. Ce soutien vital signifie que des millions de personnes peuvent continuer à s’informer sur le péril environnemental, quelle que soit leur capacité à payer pour cela.

Contrairement à beaucoup d’autres, Reporterre ne dispose pas de propriétaire milliardaire ni d’actionnaires : le média est à but non lucratif. De plus, nous ne diffusons aucune publicité. Ainsi, aucun intérêt financier ne peut influencer notre travail. Être libres de toute ingérence commerciale ou politique nous permet d’enquêter de façon indépendante. Personne ne modifie ce que nous publions, ou ne détourne notre attention de ce qui est le plus important.

Avec votre soutien, nous continuerons à rendre les articles de Reporterre ouverts et gratuits, pour que tout le monde puisse les lire. Ainsi, davantage de personnes peuvent prendre conscience de l’urgence environnementale qui pèse sur la population, et agir. Ensemble, nous pouvons exiger mieux des puissants, et lutter pour la démocratie.

Quel que soit le montant que vous donnez, votre soutien est essentiel pour nous permettre de continuer notre mission d’information pour les années à venir. Si vous le pouvez, choisissez un soutien mensuel, à partir de seulement 1 €. Cela prend moins de deux minutes, et vous aurez chaque mois un impact fort en faveur d’un journalisme indépendant dédié à l’écologie. Merci.

Soutenir Reporterre

Abonnez-vous à la lettre d’info de Reporterre
Fermer Précedent Suivant

legende