Depuis trois mois, je vis sans déchet. Et ça va très bien, merci

Durée de lecture : 10 minutes
Quotidien DéchetsNotre journaliste s’est lancé le défi de vivre l’année 2016 sans produire de déchet. Et ça marche ! Après trois mois d’expérience, ceux qu’il n’a pas pu éviter tiennent dans ses mains. Et sa vie est - presque - normale. Découvrez la vie sans déchet...
Le « zéro déchet » a connu un boom ces dernières années : l’ouverture de magasins de vente en vrac combinée à l’émergence d’une figure emblématique, Béa Johnson, font que l’on peut désormais parler d’un mouvement. Mais, concrètement, qu’est-ce que ça fait de vivre sans poubelle ? Comment s’organise-t-on au quotidien ?
C’est ce que j’ai essayé de savoir en me lançant dans l’aventure et en la racontant sur un blog. L’objectif de cette expérience est de garder le volume de déchets résiduels le plus proche de zéro au bout d’une année complète. Bonne résolution oblige, j’ai démarré au premier janvier.
Fort heureusement, la gueule de bois du lendemain de la Saint-Sylvestre ne s’est pas transformée en panique puisque j’avais pris le temps de me préparer un minimum : livres, documentaires, guides pratiques, la documentation ne manque pas. S’il y a des principes de base dans le zéro déchet (refuser, réduire, réutiliser, recycler et enfin composter), les façons de décliner ces règles au quotidien sont infinies. Ce n’est pas une science exacte et personne n’est là pour vous pointer du doigt si vous rechutez en produisant un déchet, ou si vous n’arrivez pas à zéro. Bon, maintenant, par où commencer ?
1e étape : Éviter que les déchets potentiels ne parviennent jusqu’à soi
Ils sont partout : le bic que l’on vous donne, la publicité qu’on vous impose, ce cadeau de Noël inutile... Sans y prendre garde, nous avons accumulé un stock exponentiel de brols (belgicisme) qui sont autant de déchets en puissance. Si un objet, même utile, n’est pas utilisé, autant lui donner une seconde vie. Ma garde-robe est donc passée au régime forcé pour lui faire perdre quelques plumes et renflouer les associations qui en ont plus besoin. J’ai aussi revendu ou donné les objets dormant dans mes armoires, comme cet écran d’ordinateur ou de vieux téléphones qui ont trouvé un propriétaire plus aimant (il reste pas mal de choses dans le grenier de mes parents, pardon maman). Cela stimule le marché de l’occasion et évite à d’autres de devoir acheter du neuf.
Enfin, refuser la publicité dans sa boite aux lettres, et apprendre à dire non gentiment à ce qu’on vous propose d’inutile, le sac issu du pétrole étant le plastique qui cache l’océan.
2e étape : Changer ses habitudes d’achat
L’idée est donc d’éviter tout produit jetable ou vendu avec un emballage à usage unique, et ce, même s’il se recycle, le recyclage n’étant pas une solution en soi notamment à cause de son coût énergétique. Vivement, donc, le retour de la consigne et exit le plastique, les boites de conserve, le verre jetable ou encore les sachets en papier.
Une fois mes réserves de nourriture épuisées, me voilà en route vers le supermarché pour réaliser rapidement que si je veux éviter tout déchet, y compris les recyclables, il va falloir très vite changer d’enseigne(s). Nouveau cap et direction les boutiques bios et/ou qui vendent en vrac : légumes, fruits, pâtes, fromage et même yaourts… C’est fou tout ce qu’on trouve en vrac en cherchant au bon endroit. Pour vous aider, il y a plusieurs outils locaux et même internationaux, comme l’application Bulk (« vrac », en anglais).

Mais il n’est parfois pas possible de trouver d’alternative à un produit emballé. Donc, on s’adapte, soit en supprimant le produit de ses besoins, soit en prenant la solution la moins coûteuse du point de vue environnemental. Typiquement, dans certaines régions, il est impossible de trouver du lait en vrac ou en bouteille consignée : le mieux est donc de les prendre en brique plutôt qu’en plastique, dont la capacité recyclable est limité à un seul cycle. Autre exemple : ici à Paris, il n’y a pas de consigne pour les bières, à mon grand malheur, je me suis donc rabattu sur les terrasses de café avec leur bières pression et… le vin que je trouve en vrac.
3e étape : S’équiper correctement
Ce n’est pas tout d’acheter en vrac, encore faut-il s’organiser correctement pour pouvoir les transporter. Bocaux, Tupperware… L’essentiel étant d’anticiper, jusqu’à ce que cela devienne un réflexe. Par exemple, j’ai mon kit de survie avec moi : gourde, sac et mouchoirs en tissu qui me couvrent pour l’essentiel des besoins de la journée et le craquage éventuel pour des biscuits ou des noix de cajou. Je suis d’ailleurs devenu accro aux fruits secs, à ma grande surprise.

Plus globalement, cette démarche implique de réorienter son alimentation : fini les plats préparés et leurs additifs alimentaires, et c’est tant mieux. À la place, un peu plus de cuisine, avec généralement des aliments de saison. Et donc un gain évident au niveau de la santé. Je dis a priori parce que c’est plus difficilement quantifiable, surtout dans un temps aussi court.
En parlant de santé, c’est un pan de notre vie parmi les plus producteurs de déchets : hygiène, médicaments… tout est emballé, « packagé », « marketingé », suremballé. Je vais évacuer toute de suite une question récurrente et vous rassurer : je ne mets pas ma santé en danger ! Si je suis amené à devoir prendre des médicaments ou à utiliser un préservatif, je le fais. Point ! Pour le reste, ma trousse de toilette se limite au nécessaire : une brosse à dents en bois, du savon dur, du dentifrice maison, du bicarbonate de soude et des huiles essentielles pour le reste des produits. Il existe d’innombrables recettes simples pour les produits de beauté et tout autant pour les produits d’entretien.

Il y a aussi tout le volet électronique, évidemment : que faire d’un objet en fin de vie ? Il n’y a pas de solution magique, si ce n’est de choisir des produits durables et réparables. Mon ordinateur portable date de 2008 et a vécu pas mal de changements de pièces : écran, batterie, chargeur et disque dur, mais il est toujours fonctionnel. Et si vous ne savez comment faire, il existe les Repair Cafés. Pour le reste, j’essaye de n’acheter qu’en seconde main. Certaines firmes font particulièrement attention à la provenance et au caractère réparable de leurs produits, comme le Fairphone, qui est clairement un exemple à suivre pour l’ensemble du secteur.
4e étape : Les sorties entre amis, c’est fini ?
J’entends aussi souvent la question : mais comment fais-tu chez les autres ou à l’extérieur ? Tout d’abord, je ne suis pas un donneur de leçon. Chacun vit comme il veut et j’aime trop ma vie sociale pour refuser une invitation. Je ne suis donc pas là pour juger mes amis qui me proposent leur nourriture, même si celle-ci génère des déchets. L’idée est d’inciter au changement par l’exemple, pas par la baguette. Cette attitude me semble la plus productive, et d’ailleurs les questions sur le mode de vie zéro déchet viennent naturellement sur la table sans avoir à les provoquer. Mieux, on revient souvent vers moi en me disant : « Je pense à toi quand je fais mes courses maintenant… Merci ! » Sans le vouloir, je suis devenu ce collègue qui vous colle des chansons qui restent en tête toute la journée !

Il est aussi tout à fait possible de manger à l’extérieur ou à emporter sans produire de déchet. Encore une fois, la clé est d’anticiper et de venir avec vos contenants. Chinois, kebab ou quiches, j’essuie rarement de refus ; par contre, on se fait assez vite repérer et au bout de deux fois, il n’y a même plus besoin de demander !
5e étape : Tenir bon
Deux critiques reviennent régulièrement aux oreilles des zéro « déchetteurs » : « C’est bien beau votre histoire, mais ça prend du temps et ça coûte plus cher. » Ce n’est pas entièrement faux, mais c’est assez loin de la vérité. Oui, au début, c’est chronophage de repérer les différents magasins et il n’existe pas à l’heure actuelle de supermarché « zéro » qui vendrait tous les produits de notre quotidien en vrac. Il faut donc parfois multiplier les sources d’approvisionnement. Par contre, une fois que vous avez atteint votre vitesse de croisière, cela ne prend pas plus de temps, dixit les plus expérimentés en la matière. Et il faut se mettre un peu plus aux fourneaux, ce qui n’est pas pour me déplaire.

Concernant l’aspect financier, mon expérience m’a montré qu’en janvier, j’ai dépensé un total de 168 euros pour mes achats alimentaires (nourriture et alcools), hors sorties. En sachant que j’ai consommé essentiellement des produits bios et de qualité. Ce n’est donc certainement pas plus que le budget moyen d’un Français pour son alimentation. Comment suis-je arrivé à ce résultat ? Tout d’abord, à qualité égale, le vrac est moins cher que son équivalent emballé. Ensuite, en achetant les quantités justes, on évite le gaspillage alimentaire. Il est d’ailleurs judicieux de noter que, dans zero waste, le mot anglais waste signifie à la fois « déchet » et « gaspillage ». Et dans les deux cas, on veut les réduire le plus possible.
6e étape : Que faire des déchets qui restent ?
Une fois que vous avez évité au maximum les emballages, vous vous rendez vite compte que l’immense majorité des déchets qui restent sont organiques : épluchures, noyaux, restes de repas… Selon l’endroit où vous habitez, plusieurs options s’offrent à vous. Le circuit le plus court est d’installer un compost directement dans votre jardin, c’est incroyablement simple et peu contraignant. Si vous n’avez pas de jardin, vous pouvez vous diriger vers un lombricomposteur à mettre chez vous ou sur votre terrasse. Nos amis les vers vont digérer le plupart des aliments de votre cuisine et, pour les produits restant, vous pouvez toujours regarder du côté des composts collectifs dans votre quartier. Enfin, les plus chanceux ont carrément une collecte des déchets organiques organisée par leur commune. Les amoureux des animaux peuvent prendre des poules : en plus de vous débarrasser de vos indésirables, elles vous fournissent en œufs frais.

Tout ce qui n’a pas pu être recyclé (papier, métaux, carton, verre) finit dans un bocal que je garde à vue. Et que reste-il ? Pas grand chose, dans mon cas je peux tenir ces déchets au creux de mes mains : quelques boîtes à lentilles, un bracelet de soirée, du scotch, la protection plastique d’un fût de bière que j’ai offert… et du plastique, bien entendu.

Tous ces déchets restent comme les traces d’une relation tumultueuse que j’avais avec ma poubelle, à une époque où elle prenait beaucoup trop de place à mon goût. Me voilà désormais en bien meilleure santé mentale, conscient que ce petit pas pour moi est un pas dans la bonne direction. Comme quoi, il vaut toujours mieux rompre avec les habitudes qui sont toxiques pour nous et notre environnement.