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Édito

EDITO - Je ne suis pas en guerre

Cela vient sans doute d’avoir été biberonné (entre autres lectures) à Charlie Hebdo du temps où ce journal n’était pas obsédé par l’Islam, mais la vision de l’Assemblée chantant d’une voix mâle La Marseillaise pour répandre un sang impur, l’écoute de l’applaudissement à tout rompre de la police, la lecture du discours de Manuel Valls ponctué de « barbarie », « guerre » et autres mesures exceptionnelles contre le terrorisme, tout cela soulève un sentiment à mi-chemin entre le malaise et le haut-le-coeur. Comme si la classe politique et médiatique volait l’expression populaire de dimanche, qui mettait d’abord en avant la liberté d’expression, les crayons, la parole.

Tous ces gens, dimanche, voulaient-ils seulement des policiers, des soldats dans les rues, de l’ordre, de l’autorité, de l’épuration, de la guerre ? Et bien, si c’était cela, je ne serai pas d’accord avec eux.

Immense malaise de n’entendre quasiment que les mots de police, de traque, de renseignement, de prison, d’isolement, de protection. Immense malaise de voir dix mille soldats déployés, en plus de ceux qui trainent dans les rues déjà depuis des années. Ils ne sont pas là pour protéger quoi que ce soit - ont-ils empêché les assassinats du 7 janvier ? -, mais pour nous habituer à trouver normal qu’il y ait des soldats dans les rues. Comme dans... un Etat militaire, un Etat policier.

Immense malaise de l’absence presque totale de réflexion, au sens de retour sur soi. Comme s’il ne s’agissait que d’un péril extérieur, étranger, indicible. Immense malaise devant l’incapacité à poser cette question simple : qu’est-ce qui a conduit MM. Kouachi et Coulibaly à commettre de tels actes ? L’incapacité à oublier deux faits simples : ces hommes étaient français. Ils sont nés du sein de cette nation que l’on célèbre avec des mots vengeurs. Et puis cet autre fait simple, que rappelait Stéphane Lavignotte : « Les assassins ont fait quelque chose d’inhumain, de monstrueux. Mais ils restent des humains. » Oui, ce sont des humains, et l’on n’entend presque rien, ces jours-ci, qui nous aident à réfléchir à ce qui pousse des humains à commettre de tels actes.

Je ne sais pas. Mais je sais que nous ne saurons pas si, en nous obsédant sur les policiers, la guerre, les prisons, nous ne parlons pas d’écoles, de villes, de culture. De racines, de déracinement, d’exclusions, de solitude, de lien social.

Et quand j’entends l’unanimité de ces politiciens qui parlent de guerre - Manuel Valls : « La France est en guerre contre le terrorisme, le djihadisme et l’islamisme radical » -, je rappelle qu’il y a une autre guerre, décrite sans fard par le milliardaire Warren Buffet : « Tout va très bien pour les riches dans ce pays, nous n’avons jamais été aussi prospères. C’est une guerre de classes, et c’est ma classe qui est en train de gagner. » Vraiment, n’y a-t-il rien à voir, pas un fil d’explication, entre le crime de MM. Kouachi et les politiques prônées par MM. Bolloré, Arnault, Pinault, Dassault, Mulliez,... ? Rien à voir entre la poussée de « l’islamisme radical » et le fait que 85 personnes possèdent autant que trois milliards d’autres humains ? Rien à voir entre la poursuite obstinée des politiques néo-libérales et la déshérence de l’école, des systèmes de santé, des quartiers ?

Il y a une guerre des riches contre le peuple. Et il faut poser la question inconvenante de savoir si une partie du peuple ne répond pas d’une façon que n’avaient pas prévue les traités révolutionnaires.

Et puis, entendre ces députés blancs, mâles, français, faire comme si on nous faisait la guerre. Mais, au fait, qui fait la guerre à qui ? Qui a commencé dans ce jeu fou ? Qui a des troupes au Mali, au Centrafrique, en Irak ? Qui n’a rien dit quand l’Etat d’Israël a mené une guerre sans pitié à Gaza, en juillet dernier, tuant 1 800 Palestiniens dont 65 % de civils ? Qui est intervenu en Libye en 2011 ? Et combien de personnes les drones de M. Obama ont-ils tué ? Etc. dans cette liste sans fin : il ne s’agit pas ici, en deux phrases, de désigner les coupables et les victimes, mais de rappeler qu’il est impossible de déterminer dans les guerres qui a raison et qui a tort, puisque les torts sont partagés.

Eh bien, il faut pouvoir dire : non, je ne suis pas en guerre ; non, je ne considère pas que le problème islamique est le plus important de l’époque ; non, je n’admets pas une unanimité qui couvrirait une inégalité stupéfiante ; non, je ne ne pense pas que nous avons besoin de plus de policiers et de prisons.

Et oui, je peux dire : Nous voulons la paix ; nous considérons que l’essentiel aujourd’hui est la crise écologique ; nous ne retrouverons l’unité que quand les inégalités seront réduites ; nous avons besoin de plus d’artistes et d’écoles.

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