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EntretienCulture et idées

« L’écologie aide à penser la place de l’Islam en France »

Ecologiste et pasteur protestant, Stéphane Lavignotte invite à se détourner des simplifications abusives et à rappeler la supériorité de l’amour sur la haine. « Les assassins ont fait quelque chose de monstrueux. Mais ils restent des humains. »

Ecologiste, pasteur et citoyen impliqué dans la vie de l’Ile-Saint-Denis (93), la commune où il réside, Stéphane Lavignotte a publié récemment un ouvrage intitulé Les religions sont-elles conservatrices ? (éd. Textuel). Il est ancien membre d’Europe Ecologie Les Verts et aujourd’hui membre du mouvement Ensemble.

Cet entretien a été réalisé dans la matinée du 9 janvier, avant le dénouement de la prise d’otages porte de Vincennes et l’issue de la traque aux assassins des journalistes de Charlie Hebdo.

Reporterre - Peut-on et doit-on avoir une lecture religieuse de ce qui s’est passé ces derniers jours, avec l’assassinat de la rédaction de Charlie Hebdo ?

Stéphane Lavignotte - Pour comprendre ce qui s’est passé, nous avons besoin d’une analyse des religions, de leur histoire. Mais ça ne suffit pas. La religion prise seule n’explique rien. Il y a aussi des questions de classes, de discrimination, d’exclusion. Et puis il y a la dimension individuelle, propre à ces assassins. Qu’est-ce qui fait qu’ils en viennent à tuer ?

Beaucoup de musulmans disent que tout cela n’a rien à voir avec l’Islam, et c’est complètement légitime. De la même manière, quand Nathalie Kosciusko-Morizet parle d’écologie, pour moi, militant écologiste, ça n’a rien à voir avec de l’écologie, parce que c’est en contradiction avec nos valeurs. Pourtant, d’un point de vue plus global et plus sociologique, il y a une autre réalité, celle d’une position libérale sur l’écologie.

C’est la même chose avec l’islam. D’un point de vue propre à la communauté religieuse, c’est un geste très fort de dire : "Vous n’avez rien à voir avec nous, vous défigurez notre religion". Mais dans l’analyse sociologique et politique, il y a bien sûr un lien avec l’islam : ce sont des courants réactionnaires, autoritaires, violents. La question du terme « fascisme » se pose.

Mais n’est-il pas dangereux d’emmener le débat vers la question religieuse ?

En politique, on peut faire du simplisme, mettre des gens dans des boîtes, marquer des camps. Mais faire de la politique, ça peut aussi signifier sortir de l’hystérie permanente, faire le pari de l’intelligence des Français. Pour moi, c’est un pari possible et nécessaire.

Ce pays se targue d’être le pays des Lumières, mais pourtant, dès qu’il parle de religion, il n’a plus que des émotions, que des tripes. Non, ce n’est pas dangereux de parler de religion. Il faut passer à un autre niveau de complexité dans le discours public, ne pas simplifier. La situation est complexe, il ne faut pas le nier. Je ne suis pas sûr, par exemple, que les logiques d’union nationale et la mise en scène guerrière qu’on utilise actuellement nous permettent vraiment de réfléchir.

Si les médias regardaient vraiment avant de parler, ils ne parleraient pas de l’Islam avec un grand « i », mais de la diversité des courants religieux. Ils ne diraient pas non plus qu’on n’entend pas les musulmans, alors qu’ils ne les écoutent pas...

"Tu es avec les infidèles ! - Je suis juste un musulman. - Tu es avec les terroristes !"

Vous semblez sceptique sur le concept d’union nationale, à l’image d’une certaine gêne présente dans plusieurs courants de gauche.

Je dis qu’il faut se méfier de tout ce qui, dans l’action d’union nationale, pourrait nous empêcher de tenir des débats et de se poser les vraies questions. Nous ne devons pas entrer dans une logique de guerre de la démocratie contre la barbarie, dans une logique de clans, avec les bons contre les méchants. La vraie question, c’est de comprendre ce qui ne marche pas dans notre démocratie.

Après, sur la pertinence politique de cette union nationale, j’ai arrêté de donner une position sur cette question, car je n’arrive pas à savoir. J’oscille sans cesse entre deux sentiments ; un jour, je me dis qu’il n’est pas question de faire cause commune avec ceux qui ont amassé le petit bois pour le Front National et pour les religieux intégristes, qu’il n’est pas question de manifester avec eux. Et le lendemain, je me dis que ce sont des libertés républicaines...

En fait, je balance en permanence entre l’idée d’une minorité active qui veut affirmer les choses de manière radicale pour faire bouger la majorité, et une dimension plus chrétienne qui veut aimer les ennemis et croit toujours – mais de moins en moins quand même – que le Parti Socialiste pourrait changer.

C’est donc que les religions, et plus largement le religieux, peuvent selon vous encore nous aider à répondre à la situation…

Je pense que dans toutes les religions, il y a des ressources d’écoute, de décentrement. Tout le monde, croyant ou laïc, peut s’y référer. Dans les Évangiles, Jésus se confronte avec ces boîtes dans lesquelles on nous met, notamment celle qui distingue les purs des impurs. Il passe son temps à « dés-étiqueter ».

Et puis il y a la non-violence. En 1957, Martin Luther King écrivait : « Aimez vos ennemis ». Aimer, ce n’est pas apprécier. Aimer, c’est une action volontariste, porteuse d’un pouvoir créatif, pour ne pas se laisser envahir par la haine. Pour sortir des situations de blanc et noir, de méchants contre gentils. Les assassins ont fait quelque chose d’inhumain, de monstrueux. Mais ils restent des humains. Si on a une action d’amour envers ces gens-là, on peut les transformer. Ce n’est pas de l’utopie, c’est un mode d’action de non-violence.

La non-violence, c’est une des valeurs fondamentales de l’écologie. Que peut apporter l’écologie dans le contexte actuel ?

L’écologie a beaucoup de choses à nous apprendre, car elle pense en termes d’écosystème. Elle nous permet d’aborder la complexité des situations, la complémentarité des choses, et surtout la diversité. La France a une culture unitaire, catholique au départ, puis républicaine, alors que l’écologie, c’est aussi le mouvement des femmes, c’est le mouvement régionaliste, etc. C’est donc une pensée de la diversité au cœur du modèle républicain universaliste. C’est notamment dans ce cadre-là que l’écologie peut aider à penser la place de l’Islam en France.

Pourtant, les écologistes ont souvent du mal avec le sentiment religieux. Comment expliquer ce paradoxe ?

C’est vrai, même si plusieurs écologistes ont pensé la diversité des religions, comme André Gorz dans les années 1960, à un moment plus méconnu de sa réflexion sur la chrétienté. Mais les écologistes ne sont pas un isolat dans la société : d’une certaine manière, ils évoluent en partie comme le reste de la société.

Ensuite, je pense qu’une partie importante de l’écologie politique a été nourrie depuis trente ans par des réflexions de l’extrême-gauche – et je milite comme écologiste avec des personnes issues de l’extrême-gauche au sein du mouvement Ensemble, donc je n’ai aucun problème avec ça – souvent ancrées dans une pensée athée, voire anti-religieuse.

Mais pour moi, la principale raison est sûrement l’institutionnalisation du mouvement écologiste. Avec 1992 et la grande victoire politique aux élections régionales qui a donné un grand nombre d’élus s’est développé le slogan du « Il est temps d’être sérieux ». Cela veut dire qu’il est temps de rompre avec les côtés hippie et yé-yé des années 1970, qui apportaient cet esprit spirituel, cet esprit baba-cool, cet esprit oriental.

L’exemple de la question des drogues est intéressant : nous avons fait avancer le sujet, ces dernières années, mais uniquement sur des arguments sérieux, de réduction des risques pour la santé, etc. Alors que dans les années 1970, c’était aussi une manière de se mettre en décalage avec la réalité dominante, une manière de découvrir une autre réalité intérieure…

-  Propos recueillis par Barnabé Binctin et Lorène Lavocat

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