Eau polluée, bêtes malades : les appétits nucléaires français inquiètent les Mongols

L'exploitation de l'uranium (ici une mine ouverte en Namibie) a déjà pollué l'eau des peuples mongols, selon eux. (Illustration) - Flickr/CC BY-SA 2.0 Deed/Conleth Brady/IAEA
L'exploitation de l'uranium (ici une mine ouverte en Namibie) a déjà pollué l'eau des peuples mongols, selon eux. (Illustration) - Flickr/CC BY-SA 2.0 Deed/Conleth Brady/IAEA
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En quête de nouveaux gisements d’uranium, la France entend exploiter une nouvelle mine en Mongolie. Mais les peuples nomades s’insurgent contre cette industrie très polluante.
« Le peuple mongol a très peur. Nous comprenons le besoin d’électricité du peuple français, mais nous sommes vraiment malheureux que le gouvernement mongol nous ait vendu à la France. » Depuis sa province de Dornogobi, Khukhuu Budee, 59 ans, président de l’association Eviin huch eh nutgiin toloo qui lutte contre l’exploitation de l’uranium, ne mâche pas ses mots. Alors que la France a signé un accord pour l’exploitation de la plus grande mine d’uranium du monde en Mongolie, il veut « établir la vérité » sur les « énormes dégâts » que les riverains attribuent à Orano depuis que le groupe s’est implanté sur le territoire en 2012 : « Moutons, chèvres, chevaux qui naissent handicapés, eau souterraine polluée, femmes qui font des fausses couches. »
Le 12 octobre, à l’occasion de la visite du président mongol Ukhnaagiin Khürelsükh en France, Orano et le gouvernement mongol ont signé un protocole d’accord pour l’exploitation de la mine de Zuuvch Ovoo, dans la province de Dornogobi dans le sud-est du pays. Un accord d’investissement formel est attendu d’ici la fin de l’année. L’aboutissement d’un exercice diplomatique de plusieurs mois : Emmanuel Macron a été le premier président français à fouler le sol mongol en mai dernier, suivi par la ministre des Affaires étrangères Catherine Colonna en juin.
Orano est présent depuis plus de vingt-cinq ans en Mongolie. La société Badrakh Energy, une joint-venture [1] avec la société publique nucléaire mongole Mon-Atom dont il détient 66 % du capital, dispose de trois permis d’exploitation minière pour les gisements uranifères de Dulaan Uul/Umnut et de Zuuvch Ovoo. Les réserves de ce dernier ont été évaluées à 93 291 tonnes d’uranium. C’est suffisant pour « répondre au besoin du parc nucléaire français pendant dix ans », a indiqué au Monde Olivier Thoumyre, représentant d’Orano en Mongolie. D’où l’intérêt porté sur ce partenariat au plus haut niveau de l’État.

La dernière mine d’uranium française a fermé en 2001 et les quelque 7 000 tonnes d’uranium naturel consommées chaque année dans l’Hexagone proviennent essentiellement du Niger, du Canada, du Kazakhstan et de l’Ouzbékistan. Alors que l’ONG Greenpeace dénonce régulièrement les liens de la France avec des pays satellites russes en pleine guerre en Ukraine, et que le coup d’État au Niger a entraîné l’arrêt de l’usine de concentré d’uranium de la Somaïr, il devenait urgent de diversifier les sources d’approvisionnement.
« L’eau du désert de Gobi est devenue polluée, imbuvable »
La mine de Zuuvch Ovoo pourrait être exploitée pendant trente ans. Une perspective qui inquiète les populations nomades alentour, éleveurs de moutons, chèvres, chevaux, chameaux et vaches, déjà échaudées par les explorations et les tests conduits par Badrakh Energy depuis dix ans. L’association Eviin huch eh nutgiin toloo accuse Orano d’avoir pollué l’eau de la province. Elle a porté plainte en 2016 au tribunal administratif d’Oulan-Bator contre le gouvernement mongol, dans l’espoir que soient retirées les licences d’exploitation de Badrakh Energy [2].
« Leur utilisation de l’eau potable souterraine est excessive. Ils injectent trop de produits chimiques et dangereux. L’eau du désert de Gobi est devenue polluée, imbuvable », raconte Khukhuu Budee. Les documents de la procédure judiciaire, auxquels Euronews a eu accès, font état de puits proches de l’exploitation d’Orano contaminés au strontium et à l’arsenic.
Normal, a répondu Orano aux plaignants ainsi qu’à la chaîne de télévision française : les eaux souterraines de la région sont « impropres à la consommation humaine [...] en raison de leur composition chimique naturelle » et « la mauvaise qualité de l’eau a été enregistrée dans la zone du pilote bien avant le début des premières opérations de Badrakh Energy ». Par ailleurs, Orano a écrit à Reporterre que « les inspections organisées par le gouvernement et l’étude de l’organisation internationale indépendante indiquent qu’il n’y a aucun impact sur l’environnement et la santé des personnes et du bétail lié au projet ». L’étude la plus récente, menée en juin 2023 par la National Academy of Sciences, ne démontre ainsi « aucun impact des activités de Badrakh Energy sur la qualité de l’eau dans la région de Dornogobi », précise le groupe.
Arsenic, thorium, plomb...
L’inquiétude de la population semble pourtant légitime, selon Bruno Chareyron, ingénieur en physique nucléaire à la Commission de recherche et d’information indépendantes sur la radioactivité (Criirad). Pour extraire l’uranium mongol, Badrakh Energy recourt à la lixiviation in situ, une méthode qui consiste à injecter une solution acide dans le gisement puis à la pomper pour en extraire l’uranium dissous.
« C’est une méthode qui présente de gros risques de pollution à long terme des eaux souterraines. Le fait d’injecter de l’acide sulfurique dans les minéralisations perturbe l’équilibre naturel du sous-sol et modifie la mobilité des substances radioactives associées au minerai d’uranium », alerte le scientifique. Autrement dit, des substances radioactives autrefois stabilisées et confinées sous terre peuvent se mettre à migrer.
Parmi lesquels éléments sont des métaux lourds particulièrement toxiques pour l’environnement et les organismes vivants — thorium 230, radium 226, plomb 210 et polonium 210 — ainsi que de l’arsenic. Bruno Chareyron alerte aussi sur la contamination induite par les effluents radioactifs remontés à la surface pour en extraire l’uranium. « Sur certains sites, ils peuvent être entreposés dans des bassins d’évaporation. Avec, en zone désertique, un risque de dispersion par le vent. » Si la Criirad n’a pas eu l’occasion de faire des relevés dans la province de Dornogobi, elle a pu constater des pollutions liées à l’extraction de l’uranium au Mali, au Niger, au Malawi, en Namibie et au Brésil.
Las, la procédure contre Badrakh Energy est à l’arrêt, a indiqué à Reporterre Chimegmaa Orsoo, fondatrice d’une agence de voyages française consacrée à la Mongolie et proche du mouvement d’opposition aux mines d’uranium. Et la Mongolie n’en a pas fini avec les pollutions liées à l’industrie extractive. D’autant que la France lorgne sur une autre ressource souterraine mongole, le lithium. Le 12 octobre, le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) a signé une lettre d’intention pour le projet « LiMongolia », de préexploration de six mois dans un bassin de plusieurs milliers de kilomètres carrés au sud d’Oulan-Bator. Une première étape avant une possible exploitation conjointe, selon l’Élysée.