Élections en Espagne : l’écologie quasi absente

« Le changement climatique vous fait-il transpirer ? » indique la banderole de Greenpeace, montrant (de g. à d.) le Premier ministre Pedro Sánchez , Yolanda Díaz (Sumar), Santiago Abascal (Vox) et Alberto Núñez Feijóo (PP) et réclament plus de mesures face à la crise climatique, le 11 juillet 2023. - © Greenpeace / Mario Gómez
« Le changement climatique vous fait-il transpirer ? » indique la banderole de Greenpeace, montrant (de g. à d.) le Premier ministre Pedro Sánchez , Yolanda Díaz (Sumar), Santiago Abascal (Vox) et Alberto Núñez Feijóo (PP) et réclament plus de mesures face à la crise climatique, le 11 juillet 2023. - © Greenpeace / Mario Gómez
Durée de lecture : 7 minutes
Politique EuropeEn Espagne, l’écologie est passée relativement inaperçue durant la campagne des élections législatives, le 23 juillet. Une vague réactionnaire rend le travail de la gauche plus difficile encore.
Séville (Espagne), correspondance
C’est décidé. Pour la première fois de sa vie, Pilar ne votera pas à droite. La raison tient en trois mots : « Le changement climatique. » Pilar, 32 ans, est assise à la terrasse d’un café au pied d’un immeuble de béton qui régurgite la chaleur étouffante emmagasinée durant cette journée de canicule à Séville, dans le sud de l’Espagne, quelques jours avant les élections générales de dimanche 23 juillet. « L’Andalousie est l’une des régions les plus affectées en Espagne, nous avons de plus en plus de vagues de chaleur, se désole la jeune femme. Mes parents ont des terres cultivées, ils ont dû changer le type de culture : l’olive de table ne pousse plus correctement, il ne pleut pas assez… » Son vote ira à la formation qu’elle jugera le plus à même d’agir contre l’emballement des thermomètres. Mais elle hésite encore sur le parti qui aura sa faveur.
Il n’y a effectivement pas de parti vert en Espagne. Aucun, du moins, qui soit assez fort pour envoyer à lui seul des élus au Parlement. « Pedro Sánchez [l’actuel Premier ministre] a beaucoup encouragé le développement des énergies vertes », rappelle Pilar. Depuis l’arrivée du socialiste à La Moncloa (la résidence d’État) en 2018, la transition énergétique a été définitivement mise sur les rails en Espagne, après des années de blocage. Sánchez a créé une vice-présidence à la Transition écologique, regroupant les compétences en matière d’énergie et d’environnement dans le même portefeuille. Le poste a été confié à Teresa Ribera, dont les défenseurs de l’environnement s’accordent à dire qu’elle a fait avancer les choses.

Autre vote possible : la coalition Sumar, « mais ils ont moins de chance de gagner les élections », selon la jeune andalouse. Nouveau venu à la gauche du Parti socialiste, Sumar agrège une quinzaine de formations plus ou moins importantes appartenant à cet espace politique longtemps dominé par Podemos.
Menée par Yolanda Díaz, l’actuelle ministre du Travail et deuxième vice-présidente du gouvernement, cette coalition se présente comme la plus ambitieuse en matière d’écologie sur l’échiquier politique. « Je veux être la première présidente verte du pays, assure à Reporterre Yolanda Díaz. Toute politique publique aujourd’hui doit être une politique climatique. La vie et la crise environnementale sont au-dessus de tout, et c’est la priorité de Sumar. »
« Aucune voix ni aucun parti n’a mis suffisamment l’accent sur ces problèmes écologiques »
Et pourtant… « Il ne m’a pas semblé que le changement climatique ait été un sujet central de la campagne », assure Pilar. « Aucune voix ni aucun parti n’a mis suffisamment l’accent sur ces problèmes écologiques », ajoute Luis Rico, coordinateur national d’Écologistes en action, confédération de groupes écologistes espagnols.
Comment expliquer que l’écologie soit si peu présente dans cette campagne, y compris à gauche ? « Durant la transition [au sortir de la dictature de Franco, en 1975], l’un des grands objectifs était d’établir un système de partis traditionnels pour consolider la démocratie. L’environnement était secondaire », explique Angel Valencia, professeur de sciences politiques à l’université de Málaga, spécialiste des relations entre gauche et écologistes. Moins productiviste et industrialiste que la gauche française, sa cousine espagnole a aussi été plus perméable à ces revendications.

Mais la gauche traditionnelle a toujours eu pour axe central la lutte contre l’inégalité. « Depuis des années, les progressistes essaient d’articuler un discours qui agrège des luttes de différentes natures [féminisme, droits LGBTI+, lutte des classes, antiracisme…], explique Angel Valencia. Le problème qu’ils ont est le suivant : quelles demandes sont les plus importantes ? L’environnement passe-t-il devant l’égalité, le féminisme ? Ne sont-elles pas toutes importantes ? Comment organiser cela politiquement ? »
« Un thème qui ne fait pas gagner de voix »
« La lutte contre la crise du vivant devrait être la première préoccupation. L’être humain ne peut pas vivre sans la nature. Il y a une gauche qui a un discours environnemental. Mais elle n’a pas réussi à en faire l’axe central [de son programme] », regrette le coordinateur d’Écologistes en action. Un simple coup d’œil sur le fil Twitter de Sumar permet de le constater : le volume consacré au changement climatique reste minoritaire par rapport aux autres sujets de campagne.
« La transition verte n’est pas encore le sujet central, reconnaît Florent Marcellesi, ancien eurodéputé du groupe les Verts et porte-parole du petit parti écologiste espagnol Equo, qui fait campagne avec Sumar. Mais c’est très difficile de glisser dans une campagne un thème qui ne fait pas gagner de voix. »
« C’est vrai que juste pour mon pays, le plus important serait l’emploi, notamment pour les jeunes, admet Pilar. Plus de stabilité professionnelle aussi, et les salaires. » Pour l’heure, rares sont les gens qui, comme elle, voteront essentiellement guidés par leurs inquiétudes pour le climat.
En tête, la droite zappe l’écologie
C’est d’autant plus difficile que le développement de la conscience écologique s’accompagne d’une vague réactionnaire en opposition. Dans son programme, le Parti populaire (PP — droite classique), donné grand favori de l’élection par les sondages, ne présente aucun objectif climatique. Certains voient même dans les formules employées une porte ouverte à un ralentissement sur les énergies vertes. Pour la protection de l’environnement, les observateurs s’attendent à un recul. Mais la plupart des sondages estiment également qu’il aura besoin de l’accord du parti d’extrême droite Vox pour gouverner. Dans son programme, la formation appelle à abandonner l’Accord de Paris et à « suspendre toutes les normes climatiques imposées par les élites globalistes ».
🔴ACCIÓN🔴
En plena ola de calor y plena campaña electoral, colgamos una gran pancarta en la Puerta de Alcalá.
Las personas que aspiran a gobernar deben responder :
¿EL CAMBIO CLIMÁTICO OS LA SUDA ?
El mayor desafío de nuestro tiempo exige vuestro máximo compromiso antes del #23J pic.twitter.com/9mutSBPj8W— Greenpeace España (@greenpeace_esp) July 11, 2023
Mais en dehors des institutions, le mouvement écologiste est solide en Espagne. Et influent. « Le changement climatique vous en touche-t-il une sans faire remuer l’autre ? », lance une énorme banderole à l’effigie des quatre principaux candidats à l’élection du 23 juillet, déployée par surprise, à Madrid. Un coup de Greenpeace, qui a immédiatement fait réagir certains candidats. « Combattre le changement climatique est un pilier fondamental » de son programme, a notamment réagi Yolanda Díaz. Pour le PP, la déléguée à la culture a répondu que « la lutte contre le changement climatique peut être menée en respectant le patrimoine et sans mettre personne en danger », en référence à l’arc de triomphe de la Puerta de Alcalá sur lequel a été déployée la banderole. « Je crois que c’est la première fois que le sujet est entré réellement dans la campagne », justifie Carlos Garcias Paret, coordinateur des campagnes d’incidence politique de la branche espagnole de l’ONG.
Une conception de l’écologie que semble partager l’eurodéputé Florent Marcellesi : « Les partis verts, en fait, servent surtout d’aiguillon à d’autres partis, pour une autre structure plus grande, pour une coalition ou pour le pouvoir. » Dans le dernier débat électoral de la campagne, le 19 juillet, Yolanda Díaz a ouvert le feu dès les premières minutes sur Santiago Abascal, candidat de Vox : « La canicule actuelle n’est pas un hasard. Cela s’appelle le changement climatique. » Le Premier ministre, Pedro Sánchez, lui a emboîté le pas. « Ça n’a peut-être pas été le thème principal de la campagne, mais au moins il y a des programmes pour lutter contre ce problème. Avant, on n’en parlait même pas », se console Pilar.