En Algérie, la bataille du peuple contre le gaz de schiste ne faiblit pas

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Mines et métaux MondeAlors que Manuel Valls se rend en Algérie les 9 et 10 avril, le mouvement populaire contre le gaz de schiste est toujours vigoureux. Il y a un an, la recherche de gaz de schiste avait embrasé le sud du pays. Le bas prix du pétrole a conduit à suspendre les travaux, mais les multinationales et Total restent à l’affût.
- Alger, reportage
C’est une information qui a été publiée en catimini. En janvier dernier, la Sonatrach, la compagnie algérienne d’hydrocarbures, a annoncé la suspension de l’exploration du gaz de schiste à In Salah, dans le Sahara. En cause ? La chute récente du prix du baril de pétrole (à moins de 40 $) a entrainé une chute de revenus pour la compagnie nationale, provoquant une politique d’austérité sans précédent en Algérie. Selon les informations du quotidien arabophone El Khabar (et traduites ici par le HuffingtonPost Maghreb : « Sonatrach ne peut plus faire face aux dépenses qu’engendrent ces travaux d’exploration coûteux. Au moment du lancement des explorations en 2014, le prix du baril n’était pas loin des 100 dollars. » Le début de l’exploration avait suscité une vague d’opposition citoyenne dans le Sud algérien durant les premiers mois de 2015. Et les militants antigaz de schiste algériens, qui demandent un moratoire depuis un an, ne croient pas à l’abandon total de l’exploration.

L’aventure du gaz de schiste dans le Sahara débute en 2004, lorsque l’Agence étasunienne US Energy Information Administration (EIA) annonce que le sous-sol algérien comprend la troisième réserve mondiale de gaz de schiste récupérables, derrière la Chine et l’Argentine. Dans la foulée, des multinationales jouent des coudes pour obtenir leur part du gâteau. Eni (Italie), Shell (GB), Exxon-Mobil (EU), Total, GDF Suez (France) mais aussi Halliburton (EU) ou encore Schlumberger (Pays-Bas) établissent des consortiums avec la Sonatrach. La fracturation hydraulique est rendue possible en 2013 avec la modification de la loi sur les hydrocarbures, qui l’autorise au cas par cas. En juillet 2014, des forages sont lancés à Ahnet. C’est dans cette concession proche d’In Salah, une ville de 30.000 habitants située à 1.200 kilomètres d’Alger, que l’exploration débute.

Des manifestations écologistes et citoyennes inédites
Or, sous les plateaux et les dunes du Sahara, se cache la nappe albienne. La plus grande réserve d’eau douce au monde contiendrait à elle seule près de 50.000 milliards de m3. Directement menacés par la pollution engendrée par les techniques de fracturation hydraulique, les habitants avaient alors dénoncé un écocide. Entre janvier et avril 2015, une vaste mobilisation citoyenne d’opposition au gaz de schiste s’est mise en place. Au fil des semaines, des milliers d’Algériens sont descendus dans les rues d’In Salah. Ces manifestations écologistes et citoyennes, inédites en Algérie, ont été violemment réprimées

Une répression dénoncée à l’époque par un morceau de rap intitulé « Résistants » : « L’affaire est simple : Non au gaz de Schiste ! Je jure que je ne me tairai pas. Mon pays est riche et non pas “cheap”, mon frère. On ne déteste pas l’État mais on déteste le monstre qui a vendu le pays, qui n’aime pas les hommes, les vrais. On n’est pas violents, nous les enfants du désert. On a une parole, une revendication, Vous devez nous écouter », chantent Lotfi, Desert Boys et Samidoune, les rappeurs algériens qui ont pris le micro pour s’opposer au gouvernement. Le mouvement prend une ampleur nationale. Le collectif Non au gaz de schiste à In Salah exige un moratoire, en vain. Les militants sont convoqués par la police. Aujourd’hui encore, la répression se poursuit : en janvier de cette année, dix-huit opposants ont appris qu’ils étaient poursuivis en justice pour dégradations de lieux publics.
L’eau dans le Sahara, ressource rare et précieuse
Comment ce mouvement historique a-t-il pu voir le jour en Algérie, une dictature à peine voilée où toute opposition est soigneusement muselée ? « Il y a dans le Sahara un attachement à l’eau qui est indéniable, toute l’organisation sociale est fondée sur cette ressource considérée comme rare et donc précieuse », avance Mounir Bencharif, coordinateur à Area-Ed (Association de réflexion, d’échange et d’action pour l’environnement et le développement). Contrairement à d’autres régions du Sahara également concernées par l’exploration du gaz de schiste, In Salah est une agglomération qui s’est développée autour du gaz et du pétrole. « Beaucoup d’habitants d’In Salah travaillent dans le secteur des hydrocarbures. Ils ont donc leurs propres experts. Quand l’État algérien a voulu amener les siens pour expliquer que la facturation hydraulique ne présentait aucun danger, les citoyens avaient les compétences pour les contrecarrer », explique-t-il.

Armés des thèses complotistes distillées dans la presse, de nombreux Algériens y voient pourtant une main-mise de l’étranger, d’Arabie Saoudite ou d’ailleurs. « C’est une question de racisme. Au Nord, ils n’arrivent pas à croire que les habitants du Sud soient capables de se mobiliser », souffle Mouhad Asmi (déjà rencontré par Reporterre au printemps dernier au forum social mondial de Tunis). Joint par téléphone, l’opposant virulent et hyperactif affirme qu’il reste plus que jamais vigilant malgré l’annonce de la suspension de l’exploration. Au détour d’une page du quotidien algérien El Watan, il a découvert en novembre dernier une annonce légale mentionnant le lancement d’une enquête publique pour mesurer l’ impact environnemental d’un projet de détection et d’exploration des hydrocarbures dans la zone d’Akabli (au cœur du Sahara). Les entreprises ENI (Italie), Dragon Oil (Dubaï) et Sonatrach sont à la manœuvre de ces nouvelles prospections : « Au lieu d’utiliser le terme de gaz de schiste, ils préfèrent parler d’hydrocarbures pour laisser tout le monde dans le flou, mais cette zone est bien considérée comme un bassin potentiel », s’emporte-t-il.

L’exploration du gaz de schiste est en effet un sujet opaque en Algérie. À tel point que plusieurs militants soupçonnent que la phase de prospection et d’expérimentation ait laissé place depuis des mois à la phase d’exploitation pure et dure. Sur les six plateformes prévues, deux seulement ont été officiellement abandonnées. « On n’est sûr de rien, réagit Hacina Zegzeg, une militante antigaz de schiste, sauf d’une chose : on ne croit pas à cette suspension, qui de toute façon est annoncée comme temporaire. » En compagnie d’autres citoyens, elle multiplie les rondes de surveillance des concessions, forte de son expérience : « Il y a quelques années, on n’a rien vu venir. On a seulement compris ce qu’il se passait l’an passé, quand ils ont allumé le forage et qu’on a vu la torche. Aujourd’hui, nous n’avons plus confiance dans notre gouvernement et ses effets d’annonce », déclare-t-elle avant de promettre : « Si on prend le sifflet, tout le monde viendra à nouveau manifester. »

Dans les mois à venir, Total précisera peut-être son rôle dans cette affaire. Car l’implication de l’entreprise française dans la région suscite bien des questions, comme le remarquait un rapport réalisé par nos confrères de Basta ! avec l’Observatoire des multinationales sur Total et les gaz de schiste en Algérie.
Total s’était retiré de tout projet d’exploration du gaz de schiste dans le Sahara au début de la contestation, l’année dernière. Les opposants au gaz de schiste soupçonnaient alors la compagnie française de reculer pour mieux avancer en attendant d’expérimenter des techniques de substitution à la fracturation hydraulique. Le dossier, surveillé de très près par les autorités des deux côtés de la Méditerranée, pourrait être au menu des discussions discrètes dans les salons cossus de la Présidence algérienne lors de la visite officielle de Manuel Valls et d’une escouade de ministres ce week-end du 9 et 10 avril.