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ReportageMines et métaux

En Allemagne, des terres ravagées par les mines reprennent vie

Dans la deuxième plus grosse région minière d’Allemagne, une ONG a acheté 2 200 hectares avec un objectif : ne rien faire, pour qu’elle retourne à l’état sauvage. Les terres acides, désolées, reprennent vie.

Naturparadies Grünhaus (Brandebourg, Allemagne), reportage

Le vent qui chuchote dans l’oreille, l’odeur de l’herbe et de la terre et plus loin, l’orée d’une forêt qui aspire le regard. Un sentiment de pleine nature ? Presque. Car au cœur des 2 200 hectares du projet environnemental « Naturparadies Grünhaus », installé dans la région minière de la Lusace, à mi-chemin entre Berlin et Dresde, quelque chose ne va pas. Et, à bien réfléchir, c’est le paysage tout entier qui cloche. Ici, une grande bute sableuse et craquelée, plus loin un petit lac entouré de hautes herbes, et là-bas une pinède parsemée de bouleaux… Un assemblage de tableaux parfois séparés par des bandes d’une terre aride et mouchetée de noir. Plus un patchwork qu’un paysage homogène.

« Ce que vous avez sous les yeux, c’est une mine de lignite à ciel ouvert à l’arrêt depuis trente ans et partiellement renaturée », explique Stefan Röhrscheidt, le directeur du projet Grünhaus. L’organisation de protection de l’environnement Nabu qui l’emploie a acheté ces terres en 2002 pour y créer une zone préservée : « Notre objectif n’est pas d’y faire de la renaturation classique en replantant des arbres ou en réintroduisant de nouvelles espèces. Cet endroit doit retrouver un état sauvage, avec le moins d’intervention humaine possible. Nous voulons étudier ce dont la nature est capable sur des terres épuisées, maltraitées et soumises à un stress climatique fort. »

© Louise Allain / Reporterre

Comme le dit joliment un dicton du peuple sorabe, une minorité ethnique slave présente depuis le VIᵉ siècle, « Dieu a créé la Lusace mais le diable a mis du charbon dessous ». Grünhaus se trouve ainsi à quelques kilomètres de là où tout a commencé, en 1789. C’est à cette date que l’on a relevé la première mention écrite d’une activité minière dans la Lusace. Depuis, et jusqu’à la décision de sortir du charbon entre 2030 et 2038, cette région grande comme l’Île-de-France a été synonyme d’indépendance énergétique à bon prix (3,4 % des ressources mondiales).

Après le rebouchage partiel et la sécurisation des anciens terrains miniers, la première phase de la renaturation a consisté à mélanger des centaines de tonnes de chaux avec la terre des sols. Le but : la désacidifier. © Silke Reents / Reporterre

À la chute du Mur, 75 000 personnes (8 000 aujourd’hui) vivaient encore directement de l’activité minière. Sur la quarantaine de mines à ciel ouvert qui y ont vu le jour, quatre sont encore en activité. En échange, la Lusace a connu un siècle et demi de destruction de ses équilibres naturels.

Les talus de la mine se révèlent accueillants our une multitude d’animaux et de fleurs. © Silke Reents / Reporterre

Stefan Röhrscheidt a rejoint le projet Grünhaus il y a vingt-trois ans, comme jeune ingénieur forestier : « À cette époque, l’heure était à l’assainissement des mines et à la création de lacs artificiels pour créer une nouvelle région touristique. Nous voulions développer une toute autre approche », explique-t-il.

La Société de gestion minière de Lusace et d’Allemagne centrale (LMBV), l’organisme public chargé de gérer l’ensemble de la renaturation et des privatisations partielles des anciennes mines à l’est, ayant déjà fort à faire, elle ne s’est pas opposée à la cession de l’ex-mine de Kleinleipisch au Nabu [1]

Les boues sulfuriques ont acidifié la terre

Renaturer ces terres sans cesse modifiées est un défi. « Pendant que le charbon était récupéré, les déblais ont été rejetés derrière l’excavatrice, qui rebouchait en partie le trou creusé. Ceci fait remonter des couches minérales composées de fer et de pyrites, qui s’oxydent au contact de l’air et de l’eau. Elles libèrent de l’acide et des boues sulfuriques qui acidifient la terre et la rendent impropre à toute culture », explique-t-il. D’où les zones sans végétation.

Cette acidité est l’un des dérèglements majeurs provoqués par l’activité minière. Après le rebouchage partiel et la sécurisation des anciens terrains miniers, la première phase de la renaturation a consisté à mélanger des centaines de tonnes de chaux avec la terre des sols : « Cela permet de faire monter le pH des sols et de rendre le terrain cultivable », conclut Stefan Röhrscheid. Malgré tout, « la qualité de la terre par ici n’est pas bonne. Voilà pourquoi les agriculteurs qui récupèrent ces terres y installent souvent des parcs solaires ou éoliens. C’est plus lucratif », reconnait Uwe Steinhuber, porte-parole de la LMBV.

« Notre objectif n’est pas d’y faire de la renaturation classique en replantant des arbres, dit Stefan Röhrscheidt. Cet endroit doit retrouver un état sauvage. » © Silke Reents / Reporterre

Ce problème d’acidité se retrouve dans les lacs artificiels et les rivières qui alimentent la région, principalement la Spree, l’Elster noire et la Neisse de Lusace dont les eaux sont partiellement retraitées pour en extraire les excès de fer et de sulfates : « Nous déversons aussi des tonnes de chaux dans les lacs », raconte M. Steinhuber, en précisant qu’hélas, l’opération ne suffit pas à garantir durablement une eau à pH neutre et doit être renouvelée à intervalles réguliers.

L’idée des lacs a germé dans le cerveau d’Otto Rindt, spécialiste de l’aménagement du territoire, dès les années 1960. Sur le papier, c’était une manière séduisante de reboucher facilement les mines tout en offrant un nouveau débouché économique à la région. La LMBV a mis ces plans en œuvre. Trente-deux mines ont été sécurisées et inondées. « Il y a encore de nombreuses opérations de sécurisation à mener », précise Uwe Steinhuber.

En effet, la terre des déblais donne un sol plutôt meuble, malgré des opérations de compactage. Ce qui a parfois permis aux terres de se gorger d’eau jusqu’à se transformer en boue meurtrière. En 2009, un quartier de la petite ville de Seeland a disparu dans le lac Concordia en faisant trois morts. En 2010, au lac de Bergen, un glissement de terrain similaire a emporté une bande de terrain d’1,8 kilomètre et de 4,5 millions de mètres cubes de terre.


« Nous sommes devenus beaucoup plus prudents avec la sécurisation des sols que nous avons revue et renforcée », assure M. Steinhuber tout en manœuvrant son 4X4 vers la zone interdite qui borde le lac de Sedlitz. « Ici, nous allons recompacter environ 200 hectares de berges. Cela va se faire à l’explosif, avec des petites charges réparties sur une vingtaine de mètres de profondeur », explique-t-il en se garant devant un vaste espace rasé où l’on a déposé ici et là des piles de souches d’arbres.

Au vu de ces réalités, le parc de Grünhaus ressemble à un havre de paix que ne parcourent que quelques groupes de visiteurs très encadrés, ainsi que des bénévoles qui assurent le suivi du développement du parc. Stefan Röhrscheid, pour sa part, se réjouit des progrès, même lents. Les talus de la mine se révèlent ainsi accueillants pour la nidification des oiseaux qui aiment les cavités comme l’hirondelle de rivage, le martin-pêcheur, mais aussi pour une multitude d’insectes comme les abeilles solitaires et les guêpes.

Grâce à un nouveau canal, l’eau du lac de Sedlitz va venir gonfler le débit de l’Elster noire qui alimente depuis peu la nouvelle usine de cathodes du géant Basf. © Silke Reents / Reporterre

Outre les nombreuses grues qui font halte sur l’un des cinq lacs du site, des oiseaux migrateurs rares tels la huppe fasciée et le pipit rousseline ont été identifiés. « Nous avons aussi du gibier de toute sorte et une meute de huit loups », assure M. Röhrscheid, en précisant que depuis quinze ans, la biodiversité s’est nettement améliorée à Grünhaus. Le nombre d’espèces d’oiseaux recensées est ainsi passé de 55 à 90 et les espèces du règne végétal de 300 à 500. La nature commence lentement à se trouver une voie.


LE PARTAGE DE L’EAU, UN CASSE-TÊTE

Un autre problème majeur occupe les habitants de la région : celui de la gestion et du partage de l’eau. Pour être entièrement extraites, les couches de lignite doivent être sèches et libres des eaux souterraines venues des nappes phréatiques. Les entreprises minières ont donc installé autour des mines des milliers de pompes qui aspirent, aujourd’hui encore, l’eau des nappes et la rejettent dans les fleuves environnants.

Selon une étude récente de l’Agence fédérale pour l’environnement (UBA), près de 58 milliards de m³ d’eau ont ainsi été rejetés dans la Spree, la rivière qui traverse la capitale allemande, depuis le XIXᵉ siècle.

La fermeture plus rapide que prévu des mines dans le cadre de la transition écologique implique que le pompage est en train de diminuer sérieusement. Une bonne nouvelle pour les nappes phréatiques de la Lusace qui se reconstituent. Mais pas pour les rivières dont le cours a été artificiellement gonflé pendant des décennies.

Dans les années 1960, l’idée était de créer des lacs artificiels pour combler les mines et pour leur attrait touristique. © Silke Reents / Reporterre

Selon l’UBA, « une bonne moitié de l’eau qui coule aujourd’hui dans la Spree près de Cottbus provient d’eaux souterraines pompées. Pendant les mois chauds d’été, cette proportion augmente jusqu’à 75 %, selon les résultats de l’étude présentée ». Moins d’eau pompée, cela signifie donc moins d’eau pour la plus grande usine d’eau potable de Berlin-Friedrichshagen, mais aussi pour la dilution des eaux usées et retraitées de la capitale.

On relève aussi un début d’asséchement de la Spreewald, la plus vieille région touristique de la Lusace. Très visitée, celle-ci abrite un réseau de 200 canaux secondaires de la Spree et a été classée comme réserve de biosphère par l’Unesco. Un écosystème unique qui fait vivre 10 000 personnes pourrait disparaître, commence-t-on à craindre dans la région.

« Parallèlement, 6 milliards de mètres cubes d’eau supplémentaires seront nécessaires dans les décennies à venir pour remplir les trous des mines à ciel ouvert afin qu’ils ne deviennent pas instables », explique enfin l’UBA qui recommande aux trois Länder concernés de prendre des mesures urgentes et massives.

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