En Bourgogne–Franche-Comté, Grand-Est et Paca, le train est menacé par l’ouverture à la concurrence

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Les conseils régionaux de Bourgogne–Franche-Comté, Grand-Est et Paca attendent avec impatience d’ouvrir à la concurrence leurs TER. Celle-ci sera obligatoire en 2023 selon la réglementation européenne. Mais vu l’état désastreux du réseau, l’amélioration espérée du service semble un vœu pieux.
Après la publication de notre carte inédite sur l’état du train en France, Reporterre vous livre le détail région par région. Premier volet ce mardi, avec Bourgogne–Franche-Comté, Grand-Est et Provence-Alpes-Côte d’Azur (Paca), ces régions qui espèrent améliorer le service en accélérant l’ouverture à la concurrence. Les autres régions suivront jusqu’à vendredi.
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Ce sera le dernier acte qui fera voler en éclat le monopole de la SNCF. Le quatrième paquet ferroviaire européen prévoit l’ouverture à la concurrence des services régionaux et nationaux de transport de voyageurs. Cet ensemble de directives européennes imposera la mise en concurrence sur les lignes TGV à partir de 2020 et sur les services Intercités et TER au plus tard en 2023. Les parlementaires en débattront au printemps, lors de l’examen de la loi sur les mobilités. La SNCF s’y prépare déjà, en ayant refondé son site internet, reformulé ses offres et en ayant lancé sa marque « InOuï ». Mais sur le terrain des TER, l’exploitation reste tributaire d’un manque abyssal de moyens.
LES USAGERS DE PACA COMMENCENT DÉJÀ À EMPRUNTER D’AUTRES TRAINS QUE CEUX DE LA SNCF
Le réseau de Provence-Alpes-Côte d’Azur (Paca) est le plus inefficient. À partir des témoignages des usagers, l’association Nos TER Paca estime que près de 30 % des trains ont une capacité insuffisante, sont annulés ou en retard dans l’ouest de la région (de la vallée du Rhône jusqu’à Marseille). De Marseille à la frontière italienne, en passant par Nice, la situation n’est guère plus enviable, avec un taux de l’ordre de 20 % ce ces trains peu ponctuels.

Début 2017, Christian Estrosi, alors encore président (LR) de la région, tapait du poing sur la table, critiquant la facture supérieure de « 20 % à la moyenne nationale », que présentait la SNCF à sa collectivité, pour « des services qui n’ont pas été réalisés ». Le 20 octobre, le conseil régional a adopté une délibération qui fait franchir un nouveau cap dans « la préparation de l’ouverture à la concurrence des trains express régionaux ».
Elle prévoit un « appel à manifestation d’intérêts », pour d’autres opérateurs, sur certains lots de lignes. Ils se verront indemniser pour y répondre, moyennant une enveloppe de 300.000 €, puisque le cadre légal ne permet pas pour l’instant d’autre exploitant que la SNCF. « Cela permettra à la région […] d’acquérir une meilleure analyse de l’allotissement qui sera réalisé lors de l’ouverture à la concurrence, ainsi que des conditions d’exploitation de ces services », précise la délibération. Le 25 janvier, Philippe Tabarot, le vice-président aux transports, a précisé que trois lots de lignes sont concernés par ces « appels d’offres à blanc » : les lignes du littoral, les lignes de montagne de l’étoile de Veynes (lire l’enquête de Reporterre) et celles de la vallée de la Roya.
Depuis le 1er février, les voyageurs du quotidien peuvent désormais emprunter les trains de la compagnie italienne Thello (qui assure un Marseille-Milan) entre Nice et Monaco. C’est un petit bout de concurrence qui commence, censé répondre à des horaires adaptés pour les travailleurs et à la saturation des trains.

Ancien cheminot et syndicaliste, Gilles Marcel ne croit pas que l’ouverture à la concurrence sera la solution. « Si le réseau reste en mauvais état, quelle que soit la couleur des trains, Keolis, Transdev ou Deutsche Bahn, les difficultés seront les mêmes », dit le président de Nos TER Paca et de FNE Paca. Un réseau dont l’entretien incombe à SNCF Réseau et dont le renouvellement dépend de l’engagement financier des collectivités et de l’État à travers les contrats de plan État région (CPER). Gilles Marcel considère que l’exécutif régional est davantage mû par « l’idéologie libérale que pour l’intérêt du service aux usagers ».
GRAND-EST VEUT FAIRE DES ÉCONOMIES
« Nous sommes les premiers à avoir réuni les conditions pour ouvrir une partie du réseau à la concurrence », annonçait fièrement début janvier, aux auditeurs de France Bleu Alsace, David Valence, le vice-président (LR) aux transports. L’élu envisage qu’au moins 10 % des lignes TER feront l’objet d’appels d’offres à l’horizon 2021. Selon un document du comité d’établissement régional de la SNCF, que nous avons consulté, sept lots de lignes sont à l’étude :
- Charleville-Mézières / Givet / Sedan / Reims ;
- Reims–Châlons-en-Champagne / Épernay / Fismes / Laon ;
- Metz – Forbach – Sarreguemines / Sarrebourg ;
- Nancy – Pont-Saint-Vincent / Saint-Dié / Remiremont ;
- Strasbourg – Saint-Dié / Sélestat ;
- Strasbourg vers les gares du nord du Bas-Rhin ;
- Les étoiles de Mulhouse et de Colmar ;

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David Valence veut faire des économies. « Un train au kilomètre coûte entre 20 et 30 % plus cher en France qu’en Allemagne », affirmait-il. Outre-Rhin, le rail est libéralisé, mais ce que ne dit pas l’élu, c’est que la dette de l’historique Deutsche Bahn, a été reprise par l’État avant que la compagnie ne devienne un poids lourd européen. Tandis que la dette de la SNCF reste plombée, par l’effort sur les lignes nouvelles, à près de 53 milliards d’euros et sert de variable d’ajustement pour déshabiller les petites lignes.
Les politiques conjointes de la région et de la SNCF mettent à mal les lignes les moins empruntées. Les rames et le personnel sont mis à disposition en priorité sur les lignes principales entre les métropoles d’Alsace et de Lorraine et pour les relations avec Paris. « Des trains sont annulés sur les petites lignes parce que les conducteurs ou le matériel roulant sont détachés sur les lignes principales qui sont cadencées », nous explique Sébastien Neau, secrétaire CGT des cheminots de Reims. Pour le syndicaliste, comme pour ses collègues qui manifesteront à Paris jeudi 8 février, l’ouverture à la concurrence est « le moyen de détruire le statut des cheminots » et est « contraire à la notion de service public ». En septembre, Emmanuel Macron proposait d’ailleurs un « grand deal » pour la reprise de la dette de la SNCF, en échange de la fin des régimes spéciaux de retraite des cheminots. Au conseil régional, David Valence croit à la relance des « petites lignes rurales qui n’intéressent plus la SNCF » par d’autres prestataires. Sans évoquer davantage que son collègue de Paca les problématiques de financement des infrastructures.

BOURGOGNE-FRANCE-COMTÉ SUIT LE VENT LIBÉRAL
« La question n’est pas pour ou contre l’ouverture à la concurrence, ça va se faire », répète à l’envi Michel Neugnot, le vice-président aux transports (PS) de la région Bourgogne–Franche-Comté, également président de la commission transports de l’Association des régions de France. Sa région prépare une « ouverture progressive » avec 10 à 12 % des lignes TER qui passeront par des appels d’offres en 2021.

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Cédric Journeau, président de la Fédération nationale des associations d’usagers des transports (Fnaut) en Bourgogne–Franche-Comté, se dit favorable à l’ouverture à la concurrence, « à condition que l’État et les collectivités s’engagent à investir dans l’entretien et le renouvellement des infrastructures ». Au vu du désinvestissement du réseau hors TGV depuis des décennies — si vous ne l’avez pas encore fait, consultez le premier volet de l’enquête réalisée par Reporterre —, rien n’est moins sûr.
Inéluctable est l’ouverture à la concurrence. Reste à savoir comment elle sera encadrée par la future loi d’orientation sur la mobilité intérieure qui sera débattue au Parlement ce printemps. Une chose est certaine, la SNCF pourra répondre aux appels d’offres. Tout comme ses filiales, dont Keolis et Ouibus pour le transport de voyageurs. Loin du souci quotidien des usagers, l’entreprise publique se prépare depuis longtemps à l’échéance.