En Charente, vingt ans de lutte contre les mégabassines

L'une de ces bassines dans les Deux-Sèvres a été la cible d’un sabotage lors d’une manifestation en novembre 2021. Photo d'illustration. - Twitter/Bassines non merci
L'une de ces bassines dans les Deux-Sèvres a été la cible d’un sabotage lors d’une manifestation en novembre 2021. Photo d'illustration. - Twitter/Bassines non merci
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Mégabassines Eau et rivièresLes dernières manifestations contre les mégabassines ont mis en lumière les problématiques liées à ces réservoirs d’eau. En Charente, les opposants les refusent depuis des décennies.
Angoulême (Charente), correspondance
La contestation s’annonce intense. Dès le 25 mars, une nouvelle mobilisation est prévue contre les mégabassines. Le lieu ? Dans les Deux-Sèvres, en Nouvelle-Aquitaine, où tout s’est embrasé en octobre dernier. Près de 7 000 personnes s’étaient rassemblées à Sainte-Soline pour dénoncer l’« accaparement de l’eau » incarné dans ces projets de retenues d’eau géantes. Ce territoire, et de nombreux habitants de toute sa région, sont des opposants de longue date aux mégabassines : celles construites dans le nord de la Charente suscitent la controverse depuis deux décennies. Dernière preuve en date : le sabotage d’une mégabassine de Les Gours, revendiqué le 21 mars.
Cela fait plus de vingt ans que les opposants dénoncent ces réservoirs. La première fois, « c’était en novembre 2002 ». Agnès Baudrillart n’a pas oublié cette date. « José Bové était venu prononcer un discours dénonçant les réserves de substitution, qu’il a appelées “bassines”. Le terme est resté depuis », précise la présidente de l’Association pour la protection et l’avenir du patrimoine en Pays d’Aigre (Apappa).
Sur ce territoire situé à l’ouest de Ruffec, en Charente, quatorze mégabassines ont vu le jour au cours des années 2000. Ces réserves de substitution stockent sur plusieurs hectares de l’eau puisée dans les nappes phréatiques pour servir aux agriculteurs. La mobilisation d’alors n’a fait que s’amplifier.

Un passage en force
En 2004, l’Apappa a ainsi débuté des recours juridiques contre celles d’Aigre, Mons, Les Gours et Tusson. L’association dénonçait une pratique « agressive » au service de l’agriculture industrielle, menaçant d’assécher les rivières et les nappes phréatiques. Trois ans plus tard, des agriculteurs irrigants de la FNSEA (Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles) ont organisé des actions punitives à l’encontre des membres de l’Apappa, en répandant du fumier devant leurs habitations et dans leurs boîtes aux lettres. Moins médiatisés qu’aujourd’hui, les opposants ne sont pas parvenus à faire entendre leurs arguments.
Au contraire, les tensions se sont accentuées. En 2021, la construction de neuf nouvelles mégabassines a été annoncée au bénéfice de quatorze irrigants, dont deux déjà reliés à des bassines existantes. Les autorisations d’exploiter ont été accordées. En réaction, quatre associations locales, dont l’Apappa, ont fondé le collectif Bassines non merci Aume Couture, tiré du nom de deux rivières charentaises.

Ce dernier a depuis procédé à de nouveaux recours contre les neuf autorisations d’exploiter, toujours en instruction aujourd’hui. Plusieurs manifestations ont été organisées à Longré, et « une pétition signée par 120 habitants sur 180 rejette la construction de la bassine de Longré », précise Agnès Baudrillart. Elle déplore un passage en force : « Alors que la maire de Longré, Dany Menetaud, a refusé de signer le permis d’aménager, la préfecture l’a autorisé à sa place. » Les travaux sont toujours prévus pour débuter en 2023.
Avec la sécheresse, le débat se crispe
Remontée contre ces projets, Agnès Baudrillart met en avant la spécificité du territoire : « Parmi les affluents de la Charente, l’Aume et la Couture sont ceux qui ont été les plus dégradées ces dernières décennies. Les bassines vont pomper dans les nappes phréatiques d’un lieu déjà fragilisé. » La solution, selon elle : « Retourner à un stockage naturel en replantant des haies. » Pour Romain Ozog, chef de projet à l’Établissement public territorial de bassin Charente (EPTB), « la solution unique n’existe pas. La restauration des zones humides et les réserves de substitution ne sont pas incompatibles ».
Alors que ce début d’année est marqué par des sécheresses hivernales, Agnès Baudrillart reproche aux bassines de « permettre aux agriculteurs d’irriguer dans n’importe quelles conditions, comme ils l’ont fait en août dernier en pleine journée, sous un soleil de 30 °C, en toute légalité », affirmant avoir constaté par elle-même de telles pratiques. Romain Ozog relativise : « Selon les estimations à l’horizon 2050 concernant notre région, les sécheresses de cet hiver ne se répéteront pas chaque année. »
« Avec ces bassines, ils veulent augmenter leurs rendements »
Qu’en est-il des pratiques des agriculteurs ? « Certes, ils ont réduit leurs cultures de maïs, admet Agnès Baudrillart. Mais avec ces bassines, ils ne cherchent pas seulement à sécuriser l’irrigation des terres. Ils veulent augmenter leurs rendements. »
Romain Ozog ajoute que « des contreparties en termes d’efforts environnementaux sont en cours de négociations avec les irrigants de l’ASA [Association syndicale autorisée] Aume Couture, porteuse des projets de bassines ». Sollicité, le président de l’ASA, Philippe Barneron, n’a pas souhaité répondre à nos questions.
« Les travaux sont prévus pour le deuxième semestre 2023 », dit Agnès Baudrillart, en ouvrant son agenda. Et d’ajouter : « S’ils ne sont pas annulés, le prochain événement des Soulèvements de la Terre après le 25 mars pourrait avoir lieu chez nous. »