Éolien industriel : un vent frondeur souffle sur l’Aveyron

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Le 21 janvier dernier, une constellation d’associations a manifesté à Rodez, dans l’Aveyron, son opposition aux multiples projets d’éolien industriel prévus dans la Région.
- Rodez (Aveyron), reportage
Sourires, fanfare, chansons : l’ambiance est chaleureuse, sous un doux soleil d’hiver, ce 21 janvier 2017 dans le chef-lieu du Rouergue. Au beau milieu de passants affairés pendant les soldes dans les magasins huppés du cœur bourgeois de Rodez, c’est un cortège relativement imposant et bigarré qui s’élance. Venus de toute la région Occitanie, Hérault, Tarn, Aveyron, mais aussi de l’Aude et l’Ariège, ils ont un mot d’ordre commun : « Non à l’éolien industriel ».
En tête, menant plusieurs chars et scandant des slogans franco-occitans, les militants sud-aveyronnais de l’Amassada. Jeunes, très dynamiques, ils sont l’une des forces motrices de ce mouvement. Et pour cause, ce sont eux qui, depuis maintenant deux hivers, ont construit une cabane sur les lieux d’implantation d’un transformateur électrique sur cinq hectares dans la commune aveyronnaise de Saint-Victor-et-Melvieu.
Ce collectif s’illustre notamment par la diversité de ses actions, souvent teintées de bonne humeur et de portée symbolique. Dernier fait d’armes : l’irruption d’une cinquantaine de personnes en pleine réunion du parc naturel régional des Grands-Causses au moment du vote du schéma de cohérence territoriale, le 2 septembre 2016.

L’occasion de semer la zizanie dans la salle et de jeter une préparation à base de betterave au visage du président du parc, Alain Fauconnier. Un évènement qui fit les gorges chaudes de la presse locale, et qui occulta quelque peu la « semaine du vent » qui avait précédé, temps d’échanges et de réflexions entre différentes luttes (No-TAV, ligne THT en Haute-Durance…) et présentations d’initiatives alternatives dans la région.

Absence de démocratie et de concertation
Aujourd’hui, l’inspiration est plus celle du carnaval, avec des chars improvisés, une piñata à l’effigie de quelques édiles locaux et des caddies transportant des sacs de terre et de feuille mortes « pour enterrer leur projet ». Pour Jordi, l’un des membres du collectif de l’Amassada, le lien entre le transformateur de Saint-Victor et « l’éolien industriel » est clair : « S’ils construisent le transfo, ça leur permettra d’autant plus de développer l’éolien en Aveyron et dans les départements voisins. »

Mais si l’Amassada récoltait la palme du dynamisme, le cortège était pour l’essentiel constitué de la myriade de petites associations locales qui se battent contre leur projet éolien. On y retrouve tout le panel des griefs contre le développement de ce type d’énergie. En premier lieu : les questions paysagères, chères au cœur de Didier Pacaud, de l’association Sauvegarde des maisons et paysages du Tarn. Lui qui siège à la commission des sites à la préfecture du Tarn constate avec dépit l’impuissance des citoyens contre ces projets. « L’élu d’une commune vote pour le projet de l’élu voisin et le voisin soutient ensuite le projet sur la commune du premier. Ils se tiennent tous. »
Autres arguments évoqués : l’absence de démocratie et de concertation, comme dans la commune aveyronnaise de Bertholène, où étaient prévues six éoliennes dans une zone forestière d’importance. La population est majoritairement opposée au projet, l’enquête publique a conclu un avis défavorable et le préfet du département a fini par refuser le projet au printemps dernier. Pourtant, le promoteur, la société Vents d’Oc, sous-filiale de la société allemande cotée en bourse MVV Energie, attaque désormais l’arrêté préfectoral en justice. Pour Pierre Van Ommeslaeghe, président de l’Association Sauvegarde des Palanges, cela montre bien qu’ils « ne sont pas là pour apporter une richesse, mais pour prendre leur intérêt propre ».
Toujours dans l’Aveyron, à Séverac-le-Château, Bruno Ladsous, de l’association Protégeons nos espaces pour l’avenir, évoque avec colère : « Une unique réunion d’information il y a deux ans où seuls les propriétaires concernés par le projet éolien ont été invités. Depuis, le maire refuse de recevoir notre association, comme de répondre à nos courriers et il s’en vante publiquement. » Pour M. Ladsous, ancien DRH et coach en entrepreneuriat, l’éolien « ce n’est que de la finance ».

En l’occurrence, le porteur du projet est le groupe Valeco, déjà présent dans le Tarn, sur les monts de Lacaune, dans le Haut-Languedoc. Sur ce plateau frontalier avec l’Aveyron, déjà plus de trente mâts sont installés et de nouveaux projets sont prévus. « C’est comme s’ils ceinturaient toute la zone, explique Jacques, un habitant inquiet. C’est la première fois qu’on implante à grande échelle une industrie sur des zones de montagnes. Mais, nous, notre seule richesse c’est cette nature. » Propriétaire d’un gîte, il relate les coups de téléphone des touristes qui lui disent désormais de but en blanc : « Si c’est pour avoir des éoliennes qui clignotent devant la fenêtre, non merci ! »
Plus rares, mais présents également, des professionnels intéressés à la préservation de l’environnement. Ainsi, Vincent Romera, écologue et ornithologue, réalise des études d’impact pour les projets éoliens. À l’instar d’autres associations de protection des oiseaux, il dénonce les ravages de la multiplication des projets sur les populations fragiles. « Le problème, c’est le cumul des risques entre destructions des haies, lignes à haute tension et la multiplication des mâts éoliens sur les couloirs de migration. »
Les grands rapaces, comme le vautour fauve, espèce protégée, sont particulièrement exposés. Des chercheurs de l’université de Brandebourg, en Allemagne, s’évertuent à compiler toutes les données disponibles sur l’impact des éoliennes sur des oiseaux et des chauves-souris depuis le début des années 2000.
Selon leurs données, en Espagne, près de 2.000 vautours fauves ont été tués en une décennie par des aérogénérateurs. Un nombre qui doit être mis en relation avec les 24.000 couples recensés en 2008 dans la péninsule ibérique, où niche la plus importante population d’Europe. En France, à ce jour, seule une dizaine de cas ont été recensés, notamment dans l’Hérault.
« Violences aggravées avec jets de feuilles »
Comme souvent dans les discussions sur l’éolien, il reste difficile de démêler le vrai du faux, les arguments sur les problèmes réels et les extrapolations et confusions faites par des militants de bonne foi. Toute initiative des promoteurs est entachée de soupçons, de tentative de passer en force. Une attitude renforcée par les promoteurs eux-mêmes lorsqu’ils refusent de fournir aux militants le nom des bureaux réalisant les études d’impacts ainsi que les données, qui restent désespérément privées.

Reste la question, souvent posée, du nucléaire. En off, certains admettent : « C’est vrai qu’il y a de tout dans les anti-éoliens, y compris des défenseurs farouches du nucléaire. » Exemple avec la Fédération environnement durable, le regroupement national de nombreuses associations opposées à l’éolien parrainé par des figures aussi peu écolos que Marcel Boiteux, ancien PDG d’EDF ou Christian Gérondeau, qui préside l’Automobile club de France.
Mais beaucoup de militants refusent d’être enfermés dans l’alternative entre énergies renouvelables et nucléaire, comme Nelly : « La transition énergétique, ça n’existe pas. C’est simplement de l’accumulation énergétique. On ajoute aux centrales nucléaires des énergies renouvelables, pour produire toujours plus. » Pour Victor (prénom modifié), un autre membre de l’Amassada, « c’est toute une logique qu’on remet en cause ». Et de mettre en balance « d’un côté, la circulation libre et encouragée de l’énergie comme marchandise, partout et sans raison » et de l’autre, « le contrôle aux frontières de la circulation des êtres humains ». Pour ces militants, l’éolien s’inscrit bien dans une critique globale de l’État et du capitalisme. Une critique teintée d’inspirations libertaires et des dynamiques autonomes, avec les mouvements ZAD et No-TAV, mais une lutte ancrée, fortement marquée par son territoire, aveyronnais et occitan, comme en témoigne l’utilisation de visuels beaucoup plus proches de ceux des fêtes de villages du Sud-Ouest.

Cette pluralité de sources leur permet de se retrouver ainsi au côté de personnes loin de partager leur vision du monde, mais qui luttent avec eux contre ces éoliennes « industrielles ».
C’est unie que cette joyeuse troupe termina son parcours devant la préfecture, dans une atmosphère un peu plus tendue. Une action de dépôt de terre et de compost « pour enterrer symboliquement les projets » éoliens a occasionné quelques réactions immédiates des forces de l’ordre, avec jets de gaz lacrymogènes sur les plus âgés comme les plus jeunes, qui ont pu goûter ainsi le charme piquant du gaz au poivre dans les yeux. L’occasion aussi pour trois pandores de se retrouver les yeux rougis à cause de leurs collègues. Alors que le cortège se dispersait après ce petit évènement, l’un des militants a été interpellé par les gendarmes dans son véhicule. Après une nuit de garde à vue, il est aujourd’hui accusé de « violences aggravées avec jets de feuilles ». Procès attendu au mois de mai, même si certains soupçonnent le vent d’être à l’origine de toute cette affaire.

À SAINT-VICTOR, LE TRANSFORMATEUR EST ENCORE LOIN D’ÊTRE CONSTRUIT
On l’a appris la semaine dernière, à l’occasion de la venue à Saint-Victor-et-Melvieu du directeur du projet de transformateur chez RTE (Réseau de transport d’électricité, le promoteur du projet) : l’enquête publique, préalable obligatoire au chantier, vient une nouvelle fois d’être repoussée à l’automne 2017. Une annonce qui ne surprend pas après deux reports successifs. Pas de quoi inquiéter pour autant les élus qui soutiennent le projet, Alain Fauconnier, président du parc régional des Grands-Causses, José Bové, député européen et Alain Marc, sénateur, qui étaient reçus début décembre à Paris au ministère de l’Environnement (que nous n’avons pas pu joindre). D’ores et déjà, les militants de l’Amassada ont annoncé qu’ils ne participeront pas à l’enquête publique, une « mascarade ». Leur énergie est plutôt consacrée à construire une seconde cabane, en pierre, et à bâtir petit à petit un véritable hameau de résistance sur la zone même du futur chantier. Parallèlement aux constructions physiques, les opposants ont aussi érigé une « barricade de papier » en créant une indivision : « Au lieu de devoir expulser deux paysans, comme actuellement, ils devront bientôt expulser en plus 136 personnes propriétaires à part entière d’une partie des terres », explique Jordi. Autant de procédures juridiques supplémentaires pour le porteur du projet quand celui-ci tentera de démarrer les travaux.