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ReportageÉnergie

En Aveyron, alternatifs et citoyens s’opposent aux éoliennes industrielles

Alors que l’éolien, comme les autres énergies renouvelables, commence à prendre une place notable dans la production électrique, des voix s’élèvent dans les zones rurales du pays pour contester l’implantation de ces nouvelles industries. En Aveyron, un projet de transformateur électrique cristallise les débats.


-  Saint-Victor-et-Melvieu (Aveyron), reportage

Jour tranquille sur le marché de Saint Affrique. En cette fin d’été dans le sud de l’Aveyron, il n’y a pas foule pour acheter les légumes des producteurs locaux. Certains affichent néanmoins un sourire complice à l’évocation de la Fête du Vent qui se déroule du 28 au 30 août à Saint-Victor-et-Melvieu. Une affiche sur les étals précise : « Ni ici ni ailleurs, non au transformateur de Saint-Victor, qui ajoute au nucléaire des énergies dites ’vertes’ pour étendre toujours plus le marché de l’électricité au-delà des frontières et des besoins. »

Le ton est donné et reste le même quand on s’élève au dessus de la petite ville pour arriver sur un plateau, à proximité du village de Saint-Victor-et-Melvieu. On tourne sur un chemin de terre pour accéder à la colline qui surplombe le village et nous y voici : yourtes, chapiteau mais surtout une cabane, l’Amassada, "assemblée" en occitan. En contrebas, l’animation bat son plein. Plus de deux-cents personnes sont là, présentes sous différents barnums, écoutant divers conférenciers, tandis qu’ici on boit une bière artisanale devant le bar, et que là des enfants jouent avec un cerf-volant, une girouette et divers jouets de récupération qui volent au vent. On retrouve des têtes connues : militants locaux, agriculteurs, néo-ruraux, voisins du Tarn croisés au moment de la lutte de Sivens, militants libertaires et écologistes.

Pourquoi sont-ils là ? Si l’Aveyron est connu pour ses paysages, son viaduc de Millau et sa gastronomie, le département n’en est pas pour autant épargné par les projets d’aménagement à grande échelle, « inutiles et imposés » selon d’adage. En cause ici : un « méga-transformateur » électrique, porté par RTE (Réseau de Transport d’électricité), filiale à 100 % du groupe EDF qui gère le réseau électrique haute tension dans le pays. Le transformateur ? "C’est un projet nécessaire, dit Jean Marc Perrin, directeur du projet chez RTE, interrogé par Reporterre la semaine précédente, pour augmenter la sécurité du réseau et créer un lien entre le réseau 225 000 volts et le 400 000 volts" (réseau THT). Traduction : il faut désencombrer les routes et autoroutes de l’énergie qui sont aujourd’hui saturées.

-  Ecoutez Jean Marc Perrin :

Or Saint-Victor se situe précisément à un embranchement de ces autoroutes de l’électricité : le secteur récupère l’énergie générée par les nombreux barrages du département ainsi que, depuis quelques années, celle produite par la centaine d’éoliennes construites sur les massifs du sud du Massif Central. Dans le département, cent-vingt autres ont eu leur permis accordé et deux-cent-cinquante sont en cours d’étude.

Point de convergence des lignes THT : Saint-Victor-et-Malvieu

« On est déjà en passe de saturer et on ne peut pas accueillir actuellement de production supplémentaire », assure Jean-Marc Perrin. Un transformateur existe déjà, il en faut donc un deuxième pour accueillir toutes ces nouvelles productions. Coût : 75 millions d’euros, investis par RTE, à quoi s’ajoutera le doublement de la ligne 400 000 volts d’ici dix ans.

-  Télécharger le plan de développement régional :

Mais tout n’est pas si évident. A Saint-Victor, depuis 2010, une association conteste le bien fondé de la construction du transformateur. D’abord tenu secret, c’est une conseillère municipale, Carole Joly, qui révèle en mars 2010 le projet : « Un transformateur électrique sur dix hectares, en vue de la collecte et de la centralisation de toutes les productions d’électricité de l’Aveyron, du nord de l’Hérault et de l’est du Tarn. » L’ancien maire du village, à qui l’on a conseillé de « ne pas ébruiter l’histoire » car « généralement, ça fait des histoires », a donné son aval au projet, sans même consulter le conseil municipal, « parce que cela allait faire de l’argent pour la commune », selon Carole Joly.

Elle a alors lancé avec d’autres habitants une association d’opposants, Plateau Survolté. Pour l’association, au-delà des nuisances pour la population (ondes électromagnétiques, dégradation du paysage, proximité des habitations), la question centrale réside dans le contexte global de la production énergétique et de la mise en concurrence internationale de la production d’électricité via un grand marché européen. Sur des revendications ouvertement hostiles au projet, une liste d’opposition remporte les élections municipales en 2014. Après trois années de bataille, les promoteurs consentent à réduire le projet de onze à sept hectares, « pour minimiser l’impact paysager », selon M. Perrin, mais sans remettre en cause son fondement même.

L’agriculteur et la cabane

Sauf que l’on touche ici à sept hectares de terres cultivables dont une partie appartient à la famille de Victor Vernhet, jeune agriculteur de la commune. « Après avoir été salarié agricole chez mon père, raconte-t-il, j’ai démarré mon installation agricole en septembre 2014. Je connaissais le projet de transformateur de longue date et je sentais qu’on allait dans le mur, il fallait réagir. »

Victor Vernhet, jeune paysan

Aussitôt dit, aussitôt fait, un collectif informel se crée, une cabane est érigée sur le site même de la construction du transformateur avec l’aide d’artisans du secteur. Après un mois de chantier volontaire, le 24 janvier 2015, est inaugurée l’Amassada, du nom du collectif qui l’a créée : « C’est à la fois pour dire que c’est une maison assemblée en plusieurs partie et puis ça signifie assemblée en occitan, le mode d’organisation que nous voulons privilégier. »

L’inauguration de la cabane d’Amassada, en janvier 2015

Dans le village, il a fallu un peu de temps pour apprivoiser le mouvement : « Au début, les gens ont eu un peu peur que ça fasse comme dans le Tarn. Et puis maintenant, les occupants sont mieux acceptés », dit Carole Joly. Désormais, c’est l’Amassada qui prend l’initiative de la lutte contre le transformateur, en complémentarité avec Plateau Survolté. Comme ailleurs, les stratégies diffèrent, mais le but est commun. Après une manifestation de 400 personnes en mars dernier dans les rues de Saint-Affrique, les militants ont décidé d’organiser un grand rendez vous festif et militant « pour montrer qu’il y a mieux à faire avec ce souffle que d’alimenter des moulins à frics, qu’il existe des objets à taille humaine, qui embellissent le ciel au lieu de pourrir nos nuits », m’explique-t-on.

« Une politique colonialiste »

C’est ainsi que se prépare la Fête du vent, occasion de rassembler les militants de diverses régions du pays opposés à « l’éolien industriel » ainsi qu’aux usages productivistes de l’énergie. Exemple avec Christian Roqueirol, syndicaliste paysan, venu parler du problème des fermes-usines, où la production d’électricité se substitue au métier d’agriculteur. Cet éleveur du plateau du Larzac était « au départ plutôt favorable aux éoliennes. On était même enchanté parce que c’était un moyen alternatif pour avoir de l’électricité ». C’est petit à petit que « voyant la façon dont ça se développe, avec des boites privées, qui appartiennent souvent à des grosses boîtes multinationales qui n’ont rien à voir avec l’écologie » qu’il a changé d’avis.

Invitée également, Fleur Daugey, journaliste, auteure et éthologue venue décrypter l’impact des éoliennes sur les oiseaux, sujet de controverse y compris dans le milieu scientifique. On croise aussi l’économiste, ou plutôt « anti-économiste », Jacques Fradin qui travaille sur le lien entre technique et politique et brosse un portrait peu reluisant des ingénieurs et de leur rôle dans l’aménagement du territoire.

Sous le chapiteau, des débats intenses pendant la Fête du Vent

Mais sont aussi présents des habitants du village de Saint-Victor, comme Francis, qui ne prend pas de gants pour dénoncer « une politique colonialiste. Ce qui me révolte, c’est que ça s’impose alors que c’est une connerie économique comme écologique ». Pour lui, la solution viendra des économies d’énergies, de la rénovation et de la construction de logements économes « qui eux, au moins, font vivre un territoire et des artisans locaux ».

Pour Pauline, habitante de la commune de Saint-Affrique, « ça ne sert à rien de faire une usine à vent si tu ne repenses pas tout le système qui va avec. Les éoliennes comme elles sont faites, ça pète tous les liens sociaux, ça divise les gens et ça fait primer l’intérêt individuel sur l’intérêt collectif ». Car le premier bénéficiaire d’une éolienne est le propriétaire du terrain sur lequel celle-ci est construite. Et quand c’est un maire ou un élu qui est concerné, le conflit d’intérêt n’est pas loin.

Comme un pied de nez aux projets « industriels », le collectif a érigé une petite éolienne artisanale qui permet d’alimenter en électricité la buvette ainsi qu’un studio radio délocalisé sur place par une radio associative du secteur. « On ne se trompe pas : ce n’est pas l’éolien qui est le problème, c’est l’ensemble de la politique de développement et de croissance de l’énergie qui est en cause », dit Alexandre.

Avec près de trois-cents participants, cette fête du vent marque un nouveau pas pour la lutte contre le transformateur. Le projet lui, s’il est toujours en discussion, avance malgré tout. Pour Jean-Marc Perrin, de RTE, « nous savons que derrière la contestation du projet, c’est la contestation de l’implantation d’éoliennes. Nous prendrons le temps nécessaire pour discuter. Ce sera à la commission d’enquête publique, désignée par le tribunal administratif, de décider si ce projet est d’utilité publique ». D’ores et déjà, alors que l’enquête est prévue début 2016, les militants dénoncent une « simulation de concertation » et préparent une manifestation d’ampleur dans la semaine qui précèdera l’ouverture de l’enquête.

En attendant, l’Amassada est aujourd’hui déclarée construction illégale. Un permis de construire a été déposé a posteriori, mais a été refusé. Une première bataille juridique est entamée pour demander un recours gracieux devant le tribunal administratif. Mais rien qui n’arrêtera les militants aveyronnais, qui veulent empêcher leur territoire de devenir « une zone industrielle de l’électricité » et, jouant de l’occitan clament : « Amassada, pas res nos arresta ».

-  Ecouter la complainte de l’Amassada :

-  Plus d’infos : écoutez l’émission le douze douze le vendredi 4 septembre, à 12h ou en podcast sur Radio Saint Affrique.


L’AMASSADA OU COMMENT POPULARISER UNE LUTTE

Tirant certains enseignements des mobilisations passées, les militants de Saint-Victor ont décidé de prendre les devants pour ne pas se retrouver devant un chantier qui démarre et un passage en force. Un ancien occupant de Sivens constate qu’au Testet, « on a toujours été dans l’urgence, pris de court ».

Prête à être utilisée pour s’opposer aux travaux, la cabane de l’Amassada n’est pas, pour l’heure, un lieu d’occupation et de vie, mais un pôle de rencontre, rassemblement, avec des réunions ouvertes organisées une fois par semaine.

Autre problème rencontré ailleurs : le lien avec le territoire, qui fut si difficile à Sivens ou à Roybon. Quand on leur demande comment l’Amassada fait le lien avec les gens du coin, Marion, membre du collectif, répond : « Mais c’est nous les gens du coin ! On habite presque tous ici ou dans les villages voisins. » Et de fait, le collectif est présent sur les marchés locaux et rencontre régulièrement les habitants des communes du secteur. Et pour accentuer ce lien, le collectif a organisé une « paume », reprenant cette coutume des fêtes votives du sud de la France où le comité des fêtes fait la tournée des hameaux et du village en fanfare.

Enfin, dans sa volonté d’ouverture, le collectif n’hésite pas à rencontrer d’autres mouvements anti-éolien. Une position simple selon Marion : « La plupart des gens ne sont pas pro nucléaire par conviction mais parce que ça leur parait la seule alternative. A nous [ndlr : ouvertement anti nucléaire] de les convaincre d’autre chose. »

Au final, plus qu’à la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, l’inspiration se retrouve peut-être plus du côté des mouvements italiens contre la ligne à grande vitesse Lyon Turin« la lutte n’a pas été le fait de quelques militants, mais d’une population tout entière ». Reste à voir si les Aveyronnais réagiront avec la même ardeur pour « défendre leur territoire ».

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