Grand mensonge : le gouvernement parle climat, mais il relance les autoroutes

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Climat AutoroutesUn nouveau plan autoroutier vient compléter un premier plan de relance toujours en cours. L’État français poursuit le transfert de recettes juteuses aux concessionnaires privés, dans l’opacité et aux frais des contribuables. Stimulant le transport routier, donc les émissions de gaz à effet de serre.
Un an après l’accord de Paris sur le climat, et alors que les diplomates de la COP22 se demandent comment réduire les émissions de carbone des transports mondiaux, la France chouchoute ses autoroutes. Les arbitrages du second plan de relance autoroutier doivent être rendus ce mois-ci. Tout s’est déroulé très vite, sans tambour ni trompette. Dans la torpeur estivale, François Hollande a lancé les travaux d’élargissement de l’A9, à Rivesaltes, réalisés par Vinci dans le cadre du premier plan de relance autoroutier. À la surprise générale, il a annoncé du même coup qu’un second plan allait suivre, avec des chantiers mis en route « au début de l’année prochaine ». Un pari impossible à tenir, mais qui permet au chef de l’État de promettre des emplois tout en faisant un cadeau supplémentaire aux sociétés d’autoroute. Et qu’importe si ces décisions entrent en contradiction avec les engagements pris pendant la COP21.
Le 18 septembre, Alain Vidalies, le secrétaire d’État aux Transports, qui dépend du ministère de l’Environnement, a précisé les contours de ce nouveau plan : 30 chantiers répartis sur l’Hexagone, 5.000 emplois, un milliard d’euros d’investissement financés par les collectivités territoriales et par une augmentation des péages de 0,3 à 0,4 % entre 2018 et 2020. Alain Vidalies en a profité pour discrètement rallonger le délai, évoquant plutôt des travaux mis en route fin 2017.
Des annonces qui ne passent ni auprès des écolos ni auprès des automobilistes. « C’est l’augmentation de trop. Il faut rappeler qu’une fois mise en place, elle va porter sur toute la durée de la concession et s’ajouter à l’augmentation contractuelle annuelle, la compensation de la redevance domaniale jusqu’en 2018, la compensation du gel des tarifs de 2015, de 2019 à 2023… » se plaint Laurent Hecquet, membre fondateur de 40 millions d’automobilistes, aujourd’hui à la tête du groupe de réflexion Automobilité et avenir. Selon lui, cette hausse coûtera, à terme, trois milliards d’euros aux usagers.
« Ce n’est pas aux usagers de payer pour la réélection de députés socialistes »
Depuis 2006, plus de 75 % du réseau autoroutier (presque 9.000 kilomètres) ont été concédés à des sociétés privées. En vendant ses parts pour 14,8 milliards d’euros à Vinci, Eiffage (via sa filiale APRR) et Sanef (groupe Abertis) (voir la carte des concessions), l’État leur a confié, pour plusieurs décennies, la responsabilité de construire, d’entretenir, d’exploiter les autoroutes… et de percevoir les péages. Lors du premier plan de relance autoroutier, signé en 2015, les sociétés d’autoroute ont obtenu un allongement de la durée des concessions de deux ans et demi en moyenne, en échange de leur financement de 21 grands chantiers, soit plus de trois milliards d’euros de travaux sur cinq ans, et de la promesse de générer entre 8.000 et 10.000 emplois directs et indirects. Une longue procédure — le plan avait été conçu en 2011 — qui a requis une dérogation de la Commission européenne.

Cette option trop complexe n’a finalement pas été choisie pour le second plan, mais les délais annoncés par l’exécutif ne semblent pas réalistes pour autant : il faudra tout de même, avant de lancer les travaux, obtenir l’aval du Conseil d’État, puis un avis de l’Arafer, l’autorité de régulation du secteur, mise en place en février. « Si c’est une manœuvre électoraliste, rappelons que ce n’est pas aux usagers de payer pour la réélection de députés socialistes. Notre système est déjà de qualité, je ne vois pas pourquoi on paierait », se méfie Laurent Hecquet.
Alors que le premier plan de relance portait essentiellement sur des travaux d’élargissement des voies, le second devrait être consacré à des travaux d’entretien, de raccordements autoroutiers notamment autour des grands centres urbains, d’amélioration de bretelles d’accès, d’aires de service, et la création de parkings de covoiturages. « Il y aura 30 opérations routières, type échangeurs, véritablement d’intérêt pour les territoires. S’ajouteront la création d’aires de covoiturage et des aménagements environnementaux comme des écoponts, des murs antibruit, pris en charge directement par les sociétés d’autoroutes », a précisé le secrétaire d’État (voir la carte dressée par l’hebdomadaire le Journal du dimanche).
Pour Gérard Allard, du réseau transports et mobilité durables de France nature environnement (FNE), l’augmentation des péages n’est pas le principal problème. « Faut-il faire ces échangeurs supplémentaires ? S’agit-il de décongestionner certaines aires urbaines ou de redonner de la capacité au secteur autoroutier ? Quant aux mesures environnementales, nous ne sommes pas dupes, il s’agit juste de teinter le projet en vert », résume-t-il. « Pour FNE, l’effort d’investissement porté par la collectivité devrait concerner d’abord le transport ferroviaire et fluvial, voire le réseau routier non concédé, qui se dégrade », explique-t-il, précisant que les fédérations locales de FNE se pencheront de près sur chaque chantier annoncé.
« Après la France des ronds-points, on fait la France des échangeurs »
Tout l’enjeu pour le gouvernement est désormais de convaincre les collectivités locales de mettre la main à la poche. Alain Vidalies l’assure, malgré les difficultés financières de ces dernières, il n’est « pas inquiet ». « Ce ne sont pas des investissements disproportionnés, dans une période où les conditions d’emprunt sont bonnes avec des taux très bas », développe-t-il. Raymond Avrillier, ancien élu écologiste de la ville de Grenoble, regrette que l’« on tente d’associer les collectivités territoriales, et donc les impôts des contribuables, à des travaux qui relèvent de la compétence de l’État ». D’autant que la question du contrôle que l’État est censé exercer sur ces concessions reste aussi sans réponse. « Qui ira vérifier qu’on a étalé 5 centimètres de bitume et pas 3 ? » questionne Raymond Avrillier.
Pour lui, les plans autoroutiers successifs sont le signe que « les politiques publiques sont devenues celles des intérêts privés avec l’alibi qu’en coulant du béton ou du bitume, on crée de l’emploi. Après la France des ronds-points, on fait la France des échangeurs, chacun voulant le sien », regrette-t-il. Un mélange des genres dont il est très complexe de saisir les tenants et les aboutissants. Depuis plus d’un an, Raymond Avrillier bataille en effet pour obtenir l’accès aux contrats conclus entre l’État et les concessions autoroutières en avril 2015, lançant le premier plan de relance. Alors que le tribunal administratif de Paris lui a donné raison au mois de juillet, le ministère de l’Économie s’est pourvu en cassation. « Le pourvoi en cassation n’est pas suspensif, donc je devrais accéder aux documents, mais le ministère, qui répond si rapidement aux sociétés routières, ne me répond pas », déplore Alain Avrillier. « Cela mettra un temps fou », il le sait, mais il n’accepte pas que « les ministres signent des documents secrets ».

Pour Laurent Hecquet, « le manque de transparence sur ce dossier » doit être souligné. « On n’y comprend plus rien. Le gouvernement enclenche un second plan alors que le protocole d’accord du premier n’est toujours pas rendu public. Qu’est-ce qui se cache derrière ? Qu’a-t-on promis aux concessions autoroutières ? Après cette première fanfaronnade, on recommence sans aucune réaction des parlementaires ! » interroge-t-il.
Les sénateurs communistes réclament quant à eux depuis plusieurs années une renationalisation des autoroutes. « Vaut-il mieux que l’argent des péages aille dans les portefeuilles des actionnaires ou serve à financer la transition écologique, pour améliorer les transports pour tous ? » demandent-ils dans un communiqué. Pour la sénatrice PCF de Meurthe-et-Moselle Évelyne Didier, qui assure n’avoir pris connaissance de l’existence du second plan de relance qu’avec les déclarations publiques des membres de l’exécutif, un retour des autoroutes au public représenterait une rente annuelle de 1,5 milliard d’euros. « On a un outil de service public aux mains du privé dont la rentabilité est de l’ordre de 8 à 10 % par an. L’intérêt général doit être remis sur la table », explique la parlementaire.
Vinci réalise un chiffre d’affaires sur les concessions autoroutières de 3,9 milliards d’euros pour les neuf premiers mois de 2016
Depuis 2006, les sociétés d’autoroutes concédées génèrent sans conteste des profits juteux. Un rapport du Commissariat général au développement durable publié en mars 2016 observe que leur chiffre d’affaires a progressé de 42,3 % depuis 2009, s’élevant à 9 milliards d’euros. Il est constitué à 97 % des recettes des péages. Le groupe numéro un, Vinci, affiche à lui seul un chiffre d’affaires sur les concessions autoroutières de 3,9 milliards d’euros pour les neuf premiers mois de 2016, une progression de presque 5 % par rapport à l’année précédente. « Les investissements sont en en baisse tendancielle depuis 2008, tandis que les effectifs salariés continuent de diminuer », est-il précisé. En 2013, la Cour des comptes soulignait elle-même dans un rapport « un déséquilibre au bénéfice des sociétés autoroutières » concernant les avenants aux contrats et le suivi des projets.

Des marges énormes et des promesses intenables qui appuient, faut-il le rappeler, des projets qui sont une aberration écologique. « L’A45 Lyon—Saint-Étienne, le grand contournement ouest de Strasbourg, le contournement est de Rouen… On a une liste à la Prévert de projets autoroutiers qui augmentent nos émissions de gaz à effet de serre et gaspillent de la terre agricole », résume Stéphen Kerckhove, délégué général d’Agir pour l’environnement. « Ces deux plans de relance sont une plaie béante dans l’accord de Paris, comme tous les projets climaticides. Si on est conscient du chaos climatique, on ne construit pas des autoroutes. Il va falloir traduire dans les faits les belles envolées lyriques de l’accord de Paris et appliquer la formule d’Yves Cochet : moins vite, moins souvent, moins loin. Mais quand on met bout à bout tous ces projets inutiles, on se dit que les pouvoirs publics nationaux et locaux sont des “pétroliques anonymes” qui n’ont rien compris », déplore le militant.