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ReportageClimat

Greenpeace contre Air France : le procès annulé pour détention illégale des activistes

Des militants de Greenpeace réunis en soutien dans le parc en face du Palais de justice.

En mars dernier, neuf activistes de Greenpeace repeignaient en vert un avion d’Air France à Roissy-Charles-de-Gaulle. Leur procès, jeudi 4 novembre, s’est soldé par une victoire : ils sont tous repartis libres grâce à des vices de forme.

Paris, reportage

« Où est-ce que je les ai retrouvés ? En pleurs, dans les geôles du tribunal infestées par les punaises de lit et les excréments, sans même une couverture pour dormir. » Les paroles de l’avocat de la défense, Me Alexandre Faro, ont résonné dans la salle terne. « Monsieur le Président, cette rétention était illégale, je vous demande donc de constater que vous n’êtes pas saisi. » Neuf activistes de Greenpeace étaient jugés, jeudi 4 novembre, au tribunal judiciaire de Bobigny. Huit mois plus tôt, ils avaient fait irruption sur le tarmac de l’aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle et avaient partiellement repeint en vert un Boeing 777 de la compagnie Air France. Poursuivis pour dégradation de bien d’autrui en réunion et trouble au fonctionnement d’installations à usage aéronautique, les militants encouraient pour chaque motif une peine de cinq ans d’emprisonnement et plusieurs milliers d’euros d’amende. À la surprise générale, les accusés ont eu le droit de repartir libres, après à peine une heure d’audience, la défense ayant soulevé une série de vices de forme.

Le cortège à l’entrée du tribunal. © Emmanuel Clévenot/Reporterre

Quelques minutes avant l’audience, de l’autre côté du périphérique, Sarah Fayolle tentait de motiver la petite centaine de personnes venues soutenir les prévenus. Enveloppée dans son épais manteau, micro à la main, la militante de l’association est revenue sur les raisons qui ont poussé ses camarades à mener cette action de désobéissance civile : « Le gouvernement ne prend pas ses responsabilités sur la question de la régulation du trafic aérien. Emmanuel Macron ne jure que par l’avion vert. Il le voit comme une solution miracle, alors que les meilleurs scientifiques ont démontré que ça ne suffirait pas. Il faut aussi et en priorité réduire le trafic si l’on veut remettre le secteur aérien sur les rails de l’Accord de Paris. » Aux alentours de 9 h, escortée par les policiers, les yeux plissés face à la bruine, la troupe a traversé la passerelle bleue pour s’en aller rejoindre les bancs de la salle d’audience.

Lire aussi : Des activistes repeignent un avion en vert à l’aéroport de Roissy

Une rétention illégale plombe la défense du procureur

Assise sur des chaises pliantes installées pour l’occasion, la cohorte de prévenus s’est levée d’un geste, à l’arrivée des trois juges. La grande pièce sombre était entourée de colonnes en béton. Après examen de l’identité des accusés, le Président a invité à la barre Me Marie Dosé, avocate de la défense avec Me Alexandre Faro. « Mes clients ont été interpellés le 5 mars, aux alentours de 10 heures. Leur garde à vue a débuté à 19 h 16 et a pris fin le lendemain, à 16 h. Pourtant, au lieu de les laisser repartir chez eux et de leur envoyer une citation à comparaître, Monsieur le procureur a préféré les placer au dépôt du tribunal pour une nuit supplémentaire. Comment justifiez-vous ce déferrement arbitraire et illégal ? » Le ministère public balayant la question d’une moue, l’avocat de la défense l’a alors apostrophé : « Il serait bon de retourner à l’école, on apprend ça en première année. »

Lise, 28 ans, et les autres prévenus encouraient une peine de cinq ans d’emprisonnement et plusieurs milliers d’euros d’amende. © Emmanuel Clévenot/Reporterre

Interpellés par les nombreuses violations aux droits fondamentaux présentées par la défense, le président et ses assesseurs ont décidé de suspendre l’audience pour en discuter. Au retour de la cour, quelques minutes plus tard, le brouhaha s’est évanoui. Dans un grincement de chaise, le juge à la robe noire s’est assis. Il a éclairci sa voix, puis : « Au vu de la procédure et de l’enquête, le tribunal constate que le parquet ne justifie ni de la nécessité, ni de contraintes matérielles ayant motivé cette procédure dérogatoire de rétention. Intervenue dans de telles conditions, elle est en conséquence entachée d’illégalité, a-t-il déclaré à la salle suspendue à ses paroles. La convocation des prévenus et la saisie du tribunal doivent donc être annulées. L’audience est levée ! »

À la sortie de la salle, l’effervescence a gagné le rang des militants. « Dire que j’espérais pouvoir sécher les cours toute la journée », s’est amusé l’une d’entre eux. Au centre d’un cercle d’oreilles attentives, Me Alexandre Faro a précisé : « La défense du procureur, dans ce genre d’affaires, c’est de dire qu’on ne va pas examiner les raisons qui poussent les militants à désobéir. Il ne veut s’intéresser qu’à la matérialité des faits, à savoir la dégradation d’un avion ou le fait d’entrer sur un tarmac. Eh bien là, on l’a pris à son propre jeu en disant : “Chiche ! Vous voulez parler de la forme, parlons-en. Les conditions dans lesquelles vous avez détenu ces personnes sont illégales, donc la procédure est caduque.” Et les juges nous ont donné raison. »

Les militants dénoncent l’obsession d’Emmanuel Macron pour « l’avion vert ». © Emmanuel Clévenot/Reporterre

Cette décision juridique sonne comme une victoire pour Greenpeace. Un nouveau procès pourrait cependant se tenir si le Parquet décidait de citer de nouveau à comparaître les prévenus. Avocate de la partie civile, Me Claudia Chemarin pourrait ainsi requérir l’euro symbolique réclamé par la compagnie aérienne : « Nos assurances ont indemnisé les préjudices matériels, qui s’élevaient à environ 60 000 euros. Si l’on demande cet euro symbolique, c’est pour le préjudice d’image. Air France s’est retrouvée dans tous les médias avec cette peinture verte, alors même qu’elle fait beaucoup d’investissements pour améliorer la préservation du climat. »

« J’ai pensé à mes enfants »

Installés dans un jardin à quelques mètres du Palais de justice, amis et militants ont chaleureusement applaudi les prévenus et leurs avocats quand ils les ont rejoints. Les visages marquaient la surprise de ce retour hâtif et la joie d’une bataille remportée. Climatologue, auteur pour le Giec, Gerhard Krinner devait intervenir en tant que témoin : « On m’avait accordé un temps de parole de cinq minutes. Raté, a-t-il souri en haussant les épaules. J’aurais expliqué que l’on sait depuis cent ans que les émissions de CO2 réchauffent le climat. On sait aussi que c’est clairement dû à l’activité de l’Homme et que l’aviation y contribue à hauteur de 3,5 %. » Le menton camouflé sous son col roulé, Charles-Adrien Louis espérait lui démontrer aux juges l’incohérence du mythe de l’avion-vert : « Prenons l’hypothèse que l’on parvienne à concevoir un avion à hydrogène en 2030, avance le consultant, co-auteur d’un rapport sur l’aviation. C’est un pari, alors pourquoi pas ? Seulement, on oublie souvent qu’entre l’inauguration de ce premier prototype et le moment où tous les avions voleront à l’hydrogène, il va se passer un paquet d’années. Résultat : en 2030, on sera très très loin des budgets carbone désirés. »

Eva, brasseur en Ardèche : « Soit on éteint l’incendie maintenant, soit on brûle tous avec. » © Emmanuel Clévenot/Reporterre

Privés de leur tribune, les désormais ex-prévenus ont joué le procès qui aurait pu se tenir sans ces vices de procédure. « Moi, j’avais préparé une belle chute, a confié Eva, brasseur en Ardèche. La maison est en train de brûler et quoi qu’il arrive, on est enfermé dedans. Alors soit on éteint l’incendie maintenant, soit on brûle tous avec. » Ingénieur dans les Hautes-Pyrénées, Étienne ne pouvait occulter les conditions inhumaines de détention : « Le dépôt du tribunal, c’était un retour au Moyen Âge. Lorsque je suis entré dans la cellule, je suis resté immobile pendant vingt minutes, à ne pas oser bouger un orteil. Il y avait de la merde au plafond, du sang sur les murs. Je pensais aux pauvres gens que j’entendais crier à côté de moi. Ceux qui ne parlaient pas français, qui ne savaient pas où ils étaient, qui n’avaient pas d’avocat. C’est un véritable lieu de non-droit. »

Parmi les prévenus : Étienne, 48 ans, ingénieur dans le sud de la France. © Emmanuel Clévenot/Reporterre

À l’écart, un peu plus loin, Olivier discutait au téléphone. Chef d’entreprise dans le sud de la France, il travaille dans les énergies renouvelables. « J’aime ce que je fais, mais ça ne suffisait pas. Voyant chaque jour que ma planète est en danger, j’ai décidé de moi aussi me mettre en danger pour crier haut et fort mon message. » Il a ainsi toqué à la porte de Greenpeace et s’est lié d’amitié avec d’autres membres. Puis, un beau jour, il s’est retrouvé accroupi sur le toit d’un Boeing 777 d’Air France, sur le tarmac de Roissy-Charles-de-Gaulle. « C’était assez effrayant, il y avait des dizaines de forces de l’ordre, des pin-pon partout et… » Il marque une pause, la gorge nouée et les mains tremblantes, puis éclate en sanglots : « J’ai pensé à mes enfants et au fait que j’avais fait tout ce que je pouvais pour leur laisser un monde moins dévasté. »

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