Grèves, blocages de réacteurs nucléaires... la colère monte chez EDF

Près de 300~000 personnes ont manifesté le 18 octobre « pour l’augmentation des salaires et la défense du droit de grève ». - © Violaine Colmet Daâge / Reporterre
Près de 300~000 personnes ont manifesté le 18 octobre « pour l’augmentation des salaires et la défense du droit de grève ». - © Violaine Colmet Daâge / Reporterre
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Luttes Énergie ÉconomieLes salariés d’EDF ont eux aussi défilé mardi 18 octobre. En grève depuis plus de dix jours, ils réclament une revalorisation des salaires et une sortie du marché de gros, afin de protéger ce « bien commun qu’est l’électricité ».
Paris, reportage
La colère monte chez EDF. Mardi 18 octobre, alors que s’élançaient partout en France des manifestations interprofessionnelles pour la revalorisation des salaires, onze réacteurs étaient affectés par des mouvements de grève. Une situation moins médiatique que celle des raffineries de TotalÉnergies, mais qui pourrait avoir des conséquences sur la remise en état du parc nucléaire français au cœur de l’hiver.
Près de 300 000 personnes selon les organisateurs (107 000 selon le ministère de l’Intérieur) ont répondu à l’appel interprofessionnel des confédérations CGT, FO, Solidaires et FSU ainsi que des organisations de jeunesse à manifester « pour l’augmentation des salaires et la défense du droit de grève ». À Paris, ils étaient 70 000 selon la CGT, 13 000 selon les autorités. Ils ont défilé de la Place d’Italie jusqu’au quartier Montparnasse où des heurts entre forces de police et participants à un black bloc ont eu lieu.
Quelques mètres en amont, une cinquantaine d’agents d’EDF étaient regroupés derrière un drapeau bleu ciel d’EDF-GDF. Une image anachronique finement choisie, pour rappeler les temps où électricité et gaz de France étaient une même entité du service public et n’étaient pas soumis aux affres de la concurrence. [1]

Le calendrier de réouverture des centrales mis à mal
Alors que, depuis septembre, le gouvernement s’évertue à communiquer sur les vertus du col roulé, un mouvement de grève se répand chez l’énergéticien. Le taux de participation global au mouvement social était de 16,3 % à la mi-journée, précise EDF. À court terme, l’approvisionnement en électricité du pays ne devrait pas être affecté. Le gestionnaire du réseau de transport d’électricité en France RTE a estimé mardi que le risque restait faible à modéré. Car, comme pour l’hôpital, la production d’électricité constitue un secteur stratégique essentiel et les salariés ne peuvent pas arrêter purement et simplement la production.
Les salariés disposent toutefois d’un autre levier. Depuis plus d’une semaine, les grévistes bloquent les chantiers de maintenance et de remise en état des réacteurs nucléaires. La technique est simple : dans un secteur extrêmement codifié, la moindre autorisation manquante coince l’ensemble du système. « Cela n’empêche pas la centrale de fonctionner mais le programme de maintenance n’avance pas », explique Arnaud Fernandez, salarié chez EDF depuis vingt-huit ans. Et les premiers effets sont déjà annoncés. Le 15 octobre, la CGT rapportait des retards de un jour à trois semaines pour la remise en activité de cinq réacteurs.

La situation pourrait contrecarrer les plans du gouvernement. Début septembre, celui-ci avait misé sur une remise en fonctionnement rapide du parc nucléaire français : avant Noël pour 26 des 31 réacteurs arrêtés ; à la mi-février pour les 5 derniers.
Une prolongation du mouvement social dans les centrales nucléaires « aurait des conséquences lourdes » sur l’approvisionnement en électricité cet hiver, a ainsi confirmé RTE.
De meilleurs salaires
« Nos revendications sont les mêmes que les autres professionnels : la revalorisation salariale ainsi que la légitimité du droit de grève », précise Arnaud Fernandez. « Chez nous, les agents n’en peuvent plus », poursuit Cédric Liechti, secrétaire général de la CGT Énergie Paris. « Si l’on appliquait la grille salariale, les jeunes embauchés seraient payés 208 euros sous le Smic ! Nous sommes obligés de faire des rafistolages pour les faire passer juste au-dessus. Les techniciens Enedis ou GRDF ont en charge la sécurité du réseau, des biens et des personnes et ils interviennent seuls, contrairement aux autres services d’urgence. Ils sont payés 1 400 euros à l’embauche. C’est inadmissible. » Une précarité grandissante, dénonce-t-il dans un contexte de forte inflation.
Le matin même, un accord de branche pour les industries électriques et gazières a été signé par trois organisations syndicales (CGT, CFDT, FO), a précisé EDF dans la journée. L’accord prévoit notamment une augmentation de 3,3 % du salaire national de base sur 2022 et 2023, dont 2,3 % au titre de 2023. « Chez EDF, des rencontres bilatérales entre les organisations syndicales et la direction auront lieu mercredi et les négociations commenceront jeudi, précise l’énergéticien à Reporterre. L’objectif de ces négociations est de compléter les augmentations générales de branche par des augmentations individuelles d’entreprise. »

Et les salariés ne comptent pas s’arrêter là. Pour Arnaud Fernandez, le compte n’y est pas. « Sur les dix dernières années, nous avons subi 17 % d’inflation pour une augmentation de salaire de 5 % seulement. En dix ans ! J’estime que 3,5 % c’est trop peu. »
Autre revendication majeure des salariés rencontrés sur le cortège : la sortie du gaz et de l’électricité du marché de gros. Objectif : limiter l’augmentation des tarifs. « Il n’y a pas de démocratie dans un pays si les familles ne peuvent pas se chauffer. Nous plaidons pour que l’énergie soit sanctuarisée, pour que cette énergie soit reconnue comme un bien fondamental », insiste Cédric Liechti.
20 % des Français ont souffert du froid l’hiver dernier
Selon l’Observatoire national de la précarité énergétique, 20 % des Français déclarent avoir souffert du froid au cours de l’hiver 2020-2021, pendant au moins vingt-quatre heures. Parmi eux, 36 % l’expliquent par des contraintes financières. Six Français sur dix déclarent avoir restreint leur chauffage pour ne pas avoir de facture trop élevée.
Face à l’insécurité énergétique des Français, et dans un contexte de flambée des prix de l’électricité, les salariés s’interrogent sur la pertinence du marché européen de l’électricité. « L’augmentation des prix ne reflète en rien les prix de la production. Le prix est indexé sur les centrales les plus polluantes d’Europe qui fonctionnent au gaz, au fioul et au charbon. Chez EDF, nous produisons le mégawattheure pour 50 euros. Il est revendu jusqu’à 1 000 euros sur les marchés. À qui profite cette situation ? », interroge Arnaud Fernandez.
« L’énergie doit être reconnue comme un bien fondamental »
Une situation qui permet à certains fournisseurs alternatifs de s’enrichir aux dépens de leurs clients, dénonce encore le salarié. L’entreprise Ohm énergie notamment, actuellement sous le coup d’une enquête de la Commission de régulation de l’énergie, est soupçonné d’avoir fait des profits sur les marchés avec une électricité nucléaire achetée bon marché à EDF.
Le 16 septembre, la Commission européenne a annoncé un plafonnement du prix de revente du MWh à 180 euros, sur les marchés de gros. En parallèle, elle étudie une révision du marché afin que les prix ne soient plus indexés sur le prix du gaz. Un chantier compliqué dont les discussions sont encore en cours.