Ils nient le changement climatique et le clament sur Twitter

Semer le doute et saboter la diffusion des connaissances scientifiques : tel est l'objectif des utilisateurs de Twitter climatosceptiques. - Kristin Hardwick / StockSnap / CC
Semer le doute et saboter la diffusion des connaissances scientifiques : tel est l'objectif des utilisateurs de Twitter climatosceptiques. - Kristin Hardwick / StockSnap / CC
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NumériqueDepuis l’été 2022, une communauté de 10 000 comptes climatosceptiques s’est structurée sur le réseau social, selon une étude scientifique. On retrouve nombre d’antivax, de prorusses ou de proches de l’extrême droite.
En France, le réseau social Twitter connaît un regain de climatoscepticisme depuis l’été 2022. Publiée le 13 février, une étude indique que près de 10 000 comptes actifs fabriquent et diffusent une multitude de contrevérités sur le changement climatique. Pour ces twittos, l’objectif est simple : semer le doute et saboter la diffusion des connaissances scientifiques.
Rattachés à l’Institut des systèmes complexes Paris Île-de-France, une unité du CNRS, quatre scientifiques ont passé au macroscope deux années d’échanges sur Twitter — une somme d’informations considérable. Au total, plus d’un quart des comptes français abordant les questions climatiques sont « dénialistes », c’est-à-dire qu’ils rejettent les faits bénéficiant d’un consensus au sein de la communauté scientifique compétente. S’ils restent minoritaires, leur nombre n’est pas négligeable, d’autant que certains abritent jusqu’à 300 000 followers. À titre de comparaison, Valérie Masson-Delmotte, climatologue de renom, en compte à peine plus de 70 000.
La structuration soudaine de cette communauté climatosceptique made in France aurait été engendrée par une triple actualité : la série d’événements météorologiques extrêmes, la tenue de la COP27 marquée par l’emprise des industries fossiles, et enfin « la convergence des enjeux du réchauffement climatique et de la sécurité d’approvisionnement en pétrole et en gaz du fait de la guerre en Ukraine », détaille l’étude. Cerise sur le gâteau, à l’automne 2022, le milliardaire américain Elon Musk s’est emparé du réseau social et a décidé de fermer des services de modération.

Antivax, extrême droite et pro-Kremlin
Alors quels visages se cachent de l’autre côté de l’écran ? Qui alimente ces comptes ? Les quatre chercheurs ont tenté d’établir un portrait-robot de ces climatosceptiques. Premier constat : 60 % d’entre eux ont relayé la propagande pro-Kremlin sur la guerre en Ukraine. Un grand nombre sont « antivax » et ont participé aux campagnes numériques « antisystèmes », telles que le convoi des libertés à l’hiver 2022 ou la vague complotiste autour du variant Omicron, à l’automne 2021.
« Mise à part une proportion non négligeable de comptes impliqués dans la sphère informationnelle de Reconquête ! [le mouvement d’Éric Zemmour], la communauté dénialiste n’est a priori pas composée de militants politiques relevant des partis traditionnels », note le mathématicien David Chavalarias, principal auteur de l’étude. Autre enseignement, en décembre 2022, 6,2 % de ces comptes étaient des « bots » — des comptes programmés pour twitter automatiquement. Cette armée de robots a ainsi amorcé la construction de la communauté.
[Thread]🧶Toute personne ayant une certaine formation scientifique et prenant la peine d'étudier les sujets abordés est rapidement amenée à conclure que les arguments du GIEC sont inexacts, pour de nombreuses raisons dont voici une liste non exhaustive.
— Ξlpis (@Elpis_R) December 5, 2022
Devenu maître dans l’art de la désinformation écologique, @Elpis_R a reçu des scientifiques la triste couronne du compte le plus influent de la communauté. D’abord militant antivax et discret relais de la propagande de Vladimir Poutine, le mystérieux anonyme s’attaque désormais exclusivement aux membres du Giec, le groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, et à leurs confrères et consœurs depuis juin 2022.
Son mode opératoire s’appuie sur la rhétorique dite des « 5D » : discrédit, déformation, distraction, dissuasion et division. Rares sont les publications injurieuses de cet homme aux 17 800 abonnés. Celui-ci emprunte au contraire « une stratégie policée » pour conquérir le cœur de ses lecteurs et « renvoyer l’image d’un expert » en déformant et reprenant hors contexte « des résultats d’articles académiques », précise l’étude.
Une véritable arme géopolitique
Si l’influence réelle de ces discours est difficilement quantifiable, les chercheurs assurent qu’ils « arrivent probablement à freiner la dissémination des connaissances scientifiques et des conclusions du Giec en modifiant la perception à la fois de l’urgence à agir mais aussi de la capacité » à le faire.
À leurs yeux, ces soldats anonymes sont devenus une véritable arme géopolitique. De nombreux travaux d’investigation « ont démontré que des États totalitaires comme la Russie ou la Chine mènent depuis longtemps une guerre hybride sur les réseaux sociaux, avec comme stratégie d’amplifier les divisions au sein des démocraties pour les affaiblir », écrit David Chavalarias. L’Agence de recherche internet (IRA) en est l’illustration parfaite. Usine à trolls du Kremlin créée en 2013 par Evgueni Prigojine, également fondateur de la milice Wagner, elle s’est à plusieurs reprises ingérée dans les élections américaines.
« C’est la révolte sociale assurée »
L’apparition d’une communauté climatosceptique française, réceptive à la propagande russe, tracasse les auteurs. Pour adopter les mesures fortes, réclamées par les scientifiques pour faire face à l’urgence climatique, l’exécutif devra convaincre les citoyens de chambouler leur mode de vie. Or, « beaucoup d’entre eux n’accepteront que si le jeu en vaut la chandelle, note l’étude. Insinuer le doute et désinformer sur la réalité du changement climatique [...] est donc une manière très efficace pour déstabiliser les gouvernements en les plaçant au centre d’injonctions contradictoires de la part de leurs citoyens. Quelle que soit la politique adoptée, c’est la révolte sociale assurée. » Et voilà comment les agitateurs de la toile peuvent semer la division à moindre coût et surtout, sans prendre de risque, car leurs activités ne sont pas illégales.