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L’UMP a usé et abusé de lobbying pour sauver les aéroports inutiles

Des dizaines d’aéroports en France ne sont pas rentables et ne fonctionnent que grâce aux subventions publiques. La Commission européenne voulait y mettre bon ordre. Mais a échoué, à cause d’un lobbying intense - et efficace - de l’UMP.


Tout commence en 2012. Saisie de tous les côtés par les poids lourds du transport aérien, la Commission européenne accepte de se pencher sur la question des subventions accordées aux aéroports régionaux. Les enquêteurs en charge du dossier seront stupéfaits par ce qu’ils découvrent.

Plate-formes sous perfusion sans espoir de rentabilité, absence de transparence dans les contrats, paradis fiscaux et des infrastructures parfois à quelques seulement kilomètres l’une de l’autre… Plus de quatre ans après les révélations de la Cour des comptes sur la gestion des aéroports en France, il semble que les pratiques ont perduré dans l’ensemble.

A Bruxelles, le Commissaire à la concurrence, Joaquin Amulnia, entend « mettre de l’ordre » : il est temps que cela cesse. C’est le branlebas de combat dans les rangs des aéroports français, qui craignent de voir se fermer le robinet des aides publiques. Dès lors, un lobbying intensif se met en place pour lutter contre la machine de guerre européenne. Et en l’espace de deux ans, la position européenne va changer du tout au tout.

Le Languedoc-Roussillon en première ligne

C’est dans un procès-verbal de la communauté d’agglomération de Carcassonne, daté du 19 décembre 2012, que l’on retrouve les premières preuves qu’un lobbying est à l’œuvre à l’échelon européen et ce afin d’infléchir la position de la Commission Européenne et de l’État français sur les aéroports.

Au sein d’un paragraphe intitulé « Motion de soutien à l’aéroport de Carcassonne en pays Cathare », on apprend que la région Languedoc-Roussillon est désignée comme « chef de file pour coordonner les actions de lobbying auprès du Gouvernement français ou de l’Europe ». Rien de surprenant à cela : le Languedoc est la deuxième région après l’Ile-de-France pour l’accueil des compagnies à bas coût, friandes de petits aéroports sous perfusion publique qui ne rechignent pas à payer rubis sur l’ongle les compagnies qui se déplacent jusqu’à eux. Or, toute baisse de la manne publique risquerait d’écarter les transporteurs, un danger que les petits aéroports ne peuvent se permettre s’ils veulent survivre.

Ils prennent donc des mesures, avec une ligne éditoriale claire et trois angles d’attaque :

-  estimer la rentabilité des aéroports non pas en terme de résultat d’exploitation mais de leur rôle dans l’économie locale,
-  prémunir les aéroports de moins d’un million de passagers contre les nouvelles lignes directrices européennes,
-  obtenir de pouvoir réaliser les investissements nécessaires sur les infrastructures dès lors que l’exploitation vise l’aménagement du territoire.

Or, si la région Languedoc est encartée PS, c’est bien au sein de l’UMP que les réseaux seront les plus mobilisés. Pour porter haut les couleurs du pays d’oc, un homme est tout désigné : Franck Proust, eurodéputé spécialiste des transports et accessoirement maire adjoint de Nîmes Métropole qui a inauguré, le 3 avril 2013, des travaux d’agrandissement de l’aéroport très coûteux.

A cette époque, M. Proust défend encore devant les caméras l’idée d’une mutualisation des aéroports et d’une réduction de leur nombre. Trois mois plus tard, les choses vont changer radicalement.

- Franck Proust -

Quand l’UMP s’en mêle

Juillet 2013, la Commission dévoile ses propositions de refonte du système des aides publiques aux aéroports. Le couperet tombe : au-dessus de 200 000 passagers, un aéroport devra se débrouiller par ses propres moyens. C’est sévère, trop sévère pour la région Languedoc-Roussillon qui dispose à elle seule de onze aéroports, qui dépendent des aides publiques, et dont seuls cinq accueillent plus de 200 000 passagers.

Candidat idéal pour mener la révolte dans les halls de Bruxelles, Franck Proust s’empare du sujet. Le 9 juillet, par le biais d’un communiqué, l’eurodéputé, ancien libéral fraîchement converti aux joies de l’Etat-providence, accuse l’Europe de condamner les aéroports régionaux avec ces nouvelles règles d’attribution. Appelant à considérer l’impact positif pour le développement souligné par plusieurs études, il exige derechef une révision des aides.

Le maire adjoint de Nîmes appelle à un grand rassemblement le 17 septembre 2013 au Parlement européen, organisé par l’Union des Aéroport Français et l’ACI Europe, conseil des aéroports européens.

A l’échelle nationale aussi, l’UMP s’organise. Rien de surprenant : Jean-Paul Fournier, vice-président de l’UMP depuis février 2013, est par ailleurs maire de Nîmes. Il brigue un nouveau mandat en 2014 et l’enquête de la Commission ferait tache sur son bilan.

Par le truchement de deux sénateurs, Jean Bizet et Bernard Saugey, le parti de l’opposition publie le 9 septembre 2013 une contre-résolution européenne reprenant les arguments déjà exposés par la région Languedoc en 2012 : loin de nier les subventions et les aides financières accordées aux compagnies à bas coût, on préfère mettre en avant l’impact économique positif pour les régions – en oubliant sciemment que ce dernier fait parfois débat.

Le grand retournement

Fort du succès de son initiative au Parlement et soutenu par les grands pontes de l’UMP, Franck Proust réussit fin 2013 à obtenir une pétition d’une cinquantaine d’eurodéputés, parmi lesquels des personnalités politiques comme Brice Hortefeux ou Rachida Dati.

Le mouvement ne peut plus être ignoré, d’autant plus que Michel Barnier, commissaire européen au service et relais de l’UMP auprès de la Commission, semble être sensible aux arguments de sa famille politique. Franck Proust le remerciera par la suite dans un communiqué, « saluant son action » et « remerciant sa détermination sans faille ». Peut-être est-ce soutien qui lui a permis de rencontrer le 4 février 2014 José-Manuel Barroso afin de négocier de nouvelles aides régionales.

Fort du soutien accordé par sa famille politique, le député réussit sans peine à convaincre l’exécutif européen de se rallier à sa position, surtout de pondérer les ardeurs du socialiste Joaquin Amulnia.

Deux semaines plus tard, les nouvelles lignes directrices sur le transport aérien sont publiées. Elles intègrent à la surprise générale un régime spécial pour les petits aéroports de moins de 700,000 passagers. Mieux, les enquêtes de la Commission portant sur les aides d’Etat accordées à 28 aéroports européens seront jugées à l’aune de la nouvelle réglementation, beaucoup plus souple et avantageuse pour les aéroports.

Pour Bill Hemmings, responsable aviation de l’ONG Transport &Environment, ces lignes directrices ne font pas que « légaliser les subventions » ; elles donnent « un blanc-seing aux aéroports et aux compagnies aériennes qui se sont rendues coupables de mauvaise gestion dans le passé ».

Selon un acteur du transport aérien cité par la Tribune, il s’agit surtout une porte ouverte à la compagnie low cost Ryanair qui aurait bénéficié d’aides au niveau européen pendant de nombreuses années.

Simple coïncidence ? Sur les cinq aéroports du Languedoc, Ryanair opère en monopole.

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