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ReportagePolitique

L’écologie à Hénin-Beaumont, la vitrine du Front national ? Un vernis vite craquelé

Bien placé pour remporter les élections régionales ce week-end en Nord-Pas-de-Calais-Picardie, le Front national a fait d’Hénin-Beaumont, ville qu’il dirige, son « laboratoire politique ». Reporterre a rencontré des habitants et le maire, Steeve Briois, pour parler écologie, et regarder derrière la « façade ripolinée ».

-  Hénin-Beaumont (Nord), reportage

S’il est une région qui n’a pas attendu les attentats du 13 novembre pour voir le Front national monter encore dans les sondages, c’est le Nord-Pas-de-Calais-Picardie. Marine Le Pen y est donnée favorite pour prendre la tête du Conseil régional – une possibilité qu’aurait « conforté » les récents événements.

Le Front national est déjà au pouvoir dans le fief de la présidente du FN, Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais). Depuis sa victoire aux municipales de 2014, Steeve Briois dirige cette commune de 27.000 habitants devenue la vitrine du parti nationaliste. Une des villes les plus en vue, gagnées au suffrage universel, un suffrage universel qui représente le graal frontiste. Même si seulement moins d’un tiers des électeurs inscrits ont voté pour lui, Steeve Briois a bien été élu dès le premier tour, le 23 mars 2014. Et, dix-huit mois plus tard, cette victoire se serait transformée en plébiscite : « S’il y avait une élection municipale dimanche prochain, je gagnerais à 65 ou 70 % dès le premier tour », fanfaronne l’édile local.

« Le nouveau maire a fait un super marché de Noël »

Ce matin du vendredi 13 novembre, jour de marché au centre-ville, les interlocuteurs se montrent souvent plus réticents à donner leur nom que leur avis sur ce changement à la tête de la ville. « On est bien à Hénin, ah oui ! assure une cliente venue acheter des oreilles de porc séchées pour son chien. Quand on voit ce qu’il se passe dans le reste du monde, la guerre,… » Un peu plus loin, un revendeur de fruits et de légumes refuse catégoriquement de juger mais concède que « les clients ne s’en plaignent pas ».

Au PMU, Ben, 78 ans, ancien harki, fait la moue : « Pour l’instant, y’a pas grand-chose à dire. Le nouveau maire a fait un super marché de Noël. Et aussi une nouvelle école, mais je crois qu’elle était prévue avant. » En grattant son Amigo sur le comptoir, il refait l’histoire de l’Algérie française – « pendant 132 ans » – jusqu’au travail dans la mine et les fours à coke, « pendant 34 ans, sept jours sur sept, même le nouvel an ». Le problème est là, pour celui qui dit n’avoir jamais eu de soucis avec la police : « S’il y avait du boulot pour tout le monde, il n’y aurait pas d’histoires. »

Un contexte socio-économique difficile dans lequel la baisse des impôts locaux annoncée par le FN10 % en 2014 puis 5 % en 2015 – a été particulièrement appréciée. « Une fois passé le 10 du mois, c’est dur », constate le vendeur de friandises qui tient l’un des plus grands stands du marché – et s’inquiète de la fin des sacs en plastique à partir de l’année prochaine : « Ça va devenir plus cher et qui va payer ? »

Une bienveillance générale à l’endroit du maire justifiée par l’aspect encore récent du changement : « La seule chose qui bouge par rapport à l’ancien maire, c’est l’entretien et les espaces verts, c’est tondu régulièrement. Pour le reste, c’est trop tôt pour juger », juge un autre « Monsieur anonyme », son pain au chocolat à 60 centimes à la main. Un sentiment largement partagé par Jalal et Moustapha, devant leur étal de coques téléphoniques. « Tout ce qui est diabolisé par les médias, on s’en méfie, ça veut dire qu’ils gênent », estiment les deux trentenaires, avant d’ajouter : « Franchement, ceux qui étaient à la mairie avant le FN étaient plus racistes. »

Un passant se met alors à soliloquer : « Hénin-Beaumont est une ville qui a changé en bien. Quel changement ? C’est difficile de savoir, c’est un général (sic). Sûrement le fait de foutre un grand coup de balai à tous ceux qui détiennent le pouvoir, toute cette gauche qui ne sert à rien… Marine Le Pen, c’est le renouveau, elle propose des solutions, les gens se sentent plus sécurisés et le maire est plus proche des gens. »

Artisans de la « normalisation » du FN

Quelques mètres plus loin, au milieu de l’allée, Steeve Briois, costume-cravate et sourire indéfectible accroché aux lèvres, écoute attentivement les doléances de ses concitoyens. Quels que soient l’âge ou la couleur de peau, les habitants patientent pour venir lui serrer la main et raconter leurs problèmes de voisinage ou de voirie, que le jeune chef de cabinet consigne immédiatement dans son carnet. Des problèmes de logement ? Le maire évoque avec calme sa politique « d’urbanisation des vieilles friches ».

Autour de lui, l’équipe postée devant le stand d’informations municipales dit n’avoir aucun lien avec le FN mais pourfend « les fonctionnaires qui s’encroûtent ». Avant de s’enquérir de la raison de notre présence. L’écologie ? M. Bernard s’en offusque : « Il faudrait déjà faire le ménage chez les autres. Regardez en Chine, toute la pollution. Et ce serait à nous de trinquer ? Qui paye pour le tri et le déchet ? C’est le contribuable ! Et on se chaufferait comment, alors ? Si vous voulez vraiment revenir à l’écologie, il faut revenir au Moyen Âge, s’éclairer à la bougie, ne pas rouler en voiture… Il vaut mieux balayer devant sa porte avant de donner des leçons. »

Bruno Bilde, l’homme qui filtre les rendez-vous avec les journalistes, y voit pourtant un intérêt : « Vous êtes les premiers à venir nous interroger sur l’écologie. C’est bien. Du fond, pas de la polémique. » M. Bilde qui, à côté de son rôle à Hénin-Beaumont, occupe les fonctions d’assistant parlementaire européen en plus d’être le directeur de campagne de Marine Le Pen pour les régionales, est un des artisans de la « normalisation » du FN, dont Hénin-Beaumont se veut le laboratoire. L’écologie est partie intégrante de cette stratégie.

« Il faut bien que la mairie montre l’exemple »

Après avoir acheté ses légumes – pas bio, le marché n’offrant que du « raisonné » – et réglé un dernier problème de GPS – une rue d’Hénin-Beaumont ne serait pas répertoriée – Steeve Briois se pose donc dans un café avec le journaliste de Reporterre pour parler écologie, « un travail de tous les jours ». Dénonçant « un retard considérable et des politiques environnementales au niveau 0 » hérités de ses prédécesseurs, l’homme de 43 ans justifie sa première mesure en la matière, la modernisation de l’éclairage public, par l’immédiateté de sa mise en place, « sans besoin de réunion ou de commission, ou d’autres contraintes administratives ».

Difficile toutefois de savoir combien de points lumineux ont été concernés par ces opérations de « relamping » - seul le stade municipal semble pour l’heure équipé de nouvelles ampoules LED, « plus écologiques et donc plus économiques ». L’autre chantier sur les économies d’énergies, c’est la rénovation thermique des bâtiments publics : « Avant de demander aux particuliers de faire des efforts, il faut que la mairie montre l’exemple. » Mais, hormis un audit des services techniques de la mairie, rien de plus concret pour l’instant que « ce projet de travaux d’isolation à terme ». La faute aux financements : « À l’Etat de donner les moyens aux communes qui souhaitent investir dans ce domaine. J’aimerais bien, par exemple, que l’État nous fasse un crédit de 10 millions d’euros pour la rénovation de l’ensemble des bâtiments, pour mettre des pompes à chaleur dans les écoles, etc. »

Steeve Briois, le maire frontiste d’Hénin-Beaumont.

Ces objectifs ne sont pas directement justifiés par la question du réchauffement climatique. Pourtant, à quelques jours de la COP 21, Steeve Briois en reconnaît l’existence… grâce à l’observation météorologique :

S’il admet l’origine anthropique du phénomène – « les industriels, les habitants, c’est un peu tout le monde qui est responsable » – Steeve Briois se montre gêné à engager la parole du FN au niveau national. À son échelle locale, il promet des pistes cyclables. Encore invisibles : « Ce n’est pas évident à mettre en place, ça ne se fait pas en claquant des doigts. » Principale difficulté selon lui ? La culture de la consommation : « Il faut changer le comportement des usagers qui sont habitués au tout-automobile, qui n’ont pas de moyens de transport doux. On est dans l’hyper-consommation. C’est culturel. » Pourtant, au Parlement européen, où il est élu député, Steeve Briois reconnaît avoir voté en faveur des grands projets autoroutiers portés par l’Union européenne, notamment en Europe de l’Est, au prétexte de leur retard de développement : « Je ne suis pas dogmatique, si on veut désenclaver certains secteurs, il faut commencer par le routier. »

« Un bon coup de pied au cul »

Plus encore qu’une vitrine, Hénin-Beaumont apparaît comme l’allégorie de la « mascarade du FN » en matière d’écologie [1]. « Quel Héninois sait que la mairie FN valide un parc éolien dans la Somme (sur des terres lui appartenant) après avoir voté contre de tels projets sur son propre territoire ? », dit Marine Tondelier, la jeune mais tenace opposante écolo d’Hénin-Beaumont, seule élue EELV au conseil municipal. Le FN continue ainsi à tenir des discours anti-éolien, en acceptant les éoliennes chez les autres…

Cette schizophrénie s’applique in fine à l’ensemble de la politique municipale, comme en témoignent les traitements subis par le Secours populaire ou la Ligue des droits de l’homme (LDH). « Le Front national cherche à lisser son image par une politique démagogique de séduction des citoyens, autour de fêtes populaires, de réalisations symboliques – comme l’inauguration d’une stèle au général de Gaulle – ou de mesures spectaculaires de protection, avec la vidéosurveillance par exemple, analyse Alain Pruvot, président de la LDH à Hénin. Mais derrière cette façade ripolinée, qui porte certes ses fruits, c’est nettement moins réjouissant. »

Quand le journaliste interroge Steeve Briois à ce sujet, il finit par s’entendre dire qu’on mérite « un bon coup de pied au cul »

Une violence verbale dont des responsables politiques témoignent quand ils décrivent les manifestations publiques ou conseils municipaux tenus par le maire. « Ce n’est pas un fantasme, ce sont des fous », juge un élu d’une commune voisine. Une violence contre laquelle la justice permet toutefois encore de lutter : il y a trois semaines, le tribunal administratif de Lille annulait ainsi l’arrêté antimendicité déposé en mai 2014 par Steeve Briois, quelques jours après son installation à la tête d’Hénin-Beaumont. Mais, dans un contexte politique consacrant la suspension de l’État de droit et la dérive du tout-sécuritaire, le Front national n’a jamais semblé en meilleure posture d’imposer par les urnes sa culture de la violence en politique.

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