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ReportagePolitique

L’écologie au pouvoir : bilan d’un mandat à Grenoble

Unique métropole remportée par un élu écologiste, Grenoble fait depuis six ans office de laboratoire de l’écologie municipale. Les Verts ont-ils su passer du rôle de contre-pouvoir à celui de décideurs, capables de mettre en œuvre un projet écologique ? Dans la « capitale des Alpes », les réussites pratiques s’opposent aux débâcles symboliques.

  • Grenoble (Isère), reportage

« Tout le monde m’interroge sur mon bilan », soupire Éric Piolle. Depuis sa conquête par l’équipe écologiste un soir de 2014, la gouvernance de la « capitale des Alpes » a été scrutée, jaugée, questionnée. Avec une même interrogation : la révolution verte a-t-elle eu lieu ? Le nouvel élu l’avait pourtant promis sur le parvis du musée de Grenoble : « Nous sommes des pionniers ! Nous avons inventé quelque chose de nouveau, que beaucoup regardent aujourd’hui, et qui peut donner de bonnes idées ailleurs ! » Six ans ont passé depuis cette soirée, et les tempes d’Éric Piolle ont grisonné. Dans un café associatif du centre-ville, le maire de Grenoble — venu comme à l’accoutumée à vélo — sirote un thé au jasmin. Entre deux gorgées, l’édile dresse le bilan, les réussites et les frustrations de son mandat « pionnier ».

« Nous avons réussi à changer la pratique autour de la politique, et à appliquer les règles de la vie de monsieur tout-le-monde à la vie publique, tout en ayant des niveaux d’indemnités qui soient publics et abordables », se félicite Éric Piolle. Dans les premières mesures de son mandat figurent la baisse de 25 % des indemnités attribuées aux élus, et de 78 % pour les frais de bouche. L’équipe Piolle, à ses débuts composée de nombreux militants pas tous formés à l’exercice du pouvoir, a tenté d’appliquer à la lettre le programme écologiste, comptant les succès et les débâcles. Dans l’inventaire des victoires se trouvent le passage de 60 % des cantines à l’alimentation bio, la tarification sociale de l’eau, le bannissement des panneaux publicitaires, la prime air-bois et la fourniture en énergie verte qui devrait couvrir à 100 % les ménages d’ici 2022.

Eric Piolle discutant dans la rue avec une Grenobloise.

L’un des effets les plus tangibles du mandat écologiste reste la généralisation de la zone 30 et la construction d’une autoroute à vélo, qui ont refaçonné les rues de la préfecture de l’Isère et ses modes de déplacements. Avec 15,2 % de ses actifs rejoignant au quotidien leur travail en bicyclette, « Grenoble se positionne dans le tiercé de tête des grandes villes françaises où le vélo est le plus utilisé », notait l’Insee en 2017. Depuis, la dynamique du cycle a été renforcée par la création du réseau « Chronovélo », soit des itinéraires directs réservés aux cyclistes, qui devraient relier en 2022 onze communes de la métropole. La ville en a été récompensée par la Fédération des usagers de bicyclette, qui la place en pôle position sur les métropoles de 100.000 à 200.000 habitants.

« Avant, Grenoble était réputée pour la pollution. Aujourd’hui, c’est pour l’autoroute à vélo »

Pour décrasser l’image de cuvette polluée qui collait à la métropole, l’ancienne capitale industrielle s’est vue doter de la plus grande zone à faible émission de France. Ce qui lui a permis de se placer seconde au classement Greenpeace des douze agglomérations luttant contre la pollution de l’air. « C’est ça qu’on retient d’Éric Piolle, il a transfiguré le centre-ville. Avant, Grenoble était réputée pour la pollution. Aujourd’hui, c’est pour l’autoroute à vélo », s’enthousiasme Agathe, une Grenobloise logeant à proximité de la place Grenette, située dans le centre-ville.

Mais cette politique aurait un prix, payé par les automobilistes et les boutiquiers, à en croire Dominique Grand, le président de l’association Grenoble à cœur. Pour cet ingénieur à la retraite, le recul de la voiture en ville congestionne la périphérie. Grenoble serait passée de la dixième ville la plus embouteillée de France à la quatrième place de ce classement de cancre.

Les difficultés pour rejoindre et se garer au centre-ville affecteraient également les commerçants. « Leur chiffre d’affaires a baissé d’environ 30 % depuis 2016, et le taux de vacances des commerces du centre-ville “tape” à 10,4 %. Beaucoup ont dû fermer ! » assure Dominique Grand, en désignant plusieurs boutiques aux volets clos et aux locaux vides. S’il compatit avec les problèmes des commerçants, Olivier, primeur aux halles Saint-Clair, modère la situation. Bien qu’il fasse quotidiennement le trajet de Gières à 10 km en heures creuses, le marchand de légumes ne s’estime pas entravé dans ses déplacements. « Cela fait très longtemps que la circulation en heures pleines est un souci, et ça s’est accentué. Mais que ça plaise ou non, Piolle a accompli son programme : il a restreint la circulation. Maintenant, si les Grenoblois ne sont pas d’accord, ils peuvent le faire valoir dans les urnes le mois prochain. Mais le vrai enjeu des élections, ce sera la sécurité », assure-t-il.

Olivier, primeur aux halles Sainte-Claire.

Dans une ville « pourrie et gangrenée par le trafic de drogue », selon la formule choc de son procureur Jean-Yves Coquillat, la sécurité est au cœur des préoccupations. Le maire en est bien conscient et n’a pas de pudeur à cet égard : « Personne n’est satisfait de la sécurité à Grenoble. Nous avons ici un poids très lourd du trafic de drogue, et qui génère une violence réelle. » L’élu a néanmoins obtenu le classement de six quartiers en zone de reconquête républicaine, permettant le détachement de 70 policiers nationaux et d’une prime de zone difficile pour ses agents.

« Nous avons été trop idéalistes dans beaucoup de domaines »

« Nous avons été trop idéalistes dans beaucoup de domaines », soupire Vincent Comparat, président de l’Association pour la démocratie, l’écologie, et la solidarité (Ades), et artisan de l’union entre le Front de gauche, Europe Écologie-Les Verts et les partis citoyens en 2014. « C’est le principe de la politique, se coltiner la réalité, et finalement d’avoir des frustrations parce qu’on ne réussit pas tout », constate Éric Piolle, l’air amer. Une partie de ses projets a été balayée dès le début du mandat par la situation financière de la ville. « Le budget était insincère quand nous sommes arrivés à la mairie », affirme Vincent Comparat. Il est vrai qu’en 2018, la Cour des comptes alertait sur la « situation très dégradée à la fin de l’exercice 2015 », soit un an après la prise de fonction de l’équipe écologiste. Pour éviter la mise sous tutelle de l’État, la mairie a été forcée de se « réorganiser pour survivre », se remémore le président de l’Ades.

Vincent Comparat, président de l’Ades, cheville ouvrière de la victoire de 2014.

Un des stigmates de cette réorganisation reste encore un sujet sensible à aborder. Pour faire face à la baisse des dotations de l’État en 2016, la municipalité a élaboré des coupes budgétaires, dont la fermeture de trois bibliothèques municipales. L’image d’une mairie écologique sacrifiant la culture a choqué. Un souvenir douloureux au sein de la majorité, qui a subi des interruptions de conseils municipaux à coups de casseroles et qui a vu dresser des murs de livres sur le parvis de la mairie. Finalement, seuls deux établissements sur trois ont fermé leurs portes. Pour panser ses plaies, la mairie a établi un « plan lecture » et voté la gratuité des bibliothèques l’été dernier.

Aujourd’hui, Éric Piolle se veut rassurant sur l’état des finances de la ville : « Nous avons absorbé des baisses majeures de recettes qui ont été impulsées par Manuel Valls, puis la pression financière permanente imposée par Macron. La dette, qui a explosé sous Alain Carignon [maire de 1983 à 1995] est stable depuis 1995, et nous avons stoppé facilement le peu d’emprunts toxiques qu’avait la ville. » Selon les calculs d’une étude de l’Ifrap, Grenoble occupe la 15e place des villes les mieux gérées de France, et la deuxième sur sa capacité de désendettement. Une situation qui, sans être très mauvaise, ne laisse que peu de marge de manœuvre financière à l’hôtel de ville.

L’autoroute à vélo grenobloise.

Parmi les frustrations, l’expérience des votations citoyennes tient une place de choix. Pilier des promesses de coconstruction de 2014, cet outil démocratique aurait permis aux pétitions concernant un sujet de la compétence de la ville recueillant plus de 2.000 signatures d’être débattues en conseil municipal, et d’y être soit validées, soit soumises au vote des Grenoblois afin d’obliger la majorité à appliquer la proposition. Une belle idée, « sabordée par le gouvernement », selon l’équipe municipale. Saisi par le préfet de l’Isère, le tribunal administratif a retoqué cette procédure. Mais l’outil fut également mal saisi par les citoyens. En deux ans, seules trois pétitions ont été signées. Et elles n’ont été motivées que par opposition aux décisions de la majorité municipale, contrairement aux souhaits de l’équipe Piolle, qui rêvait d’initiatives citoyennes. « Le dispositif n’a été utilisé que pour contrer des décisions déjà prises. Nous aurions aimé un débat sur un sujet qui n’était pas encore décidé », regrette Vincent Comparat.

« La guerre des gauches s’est terminée à Grenoble avec un arc humaniste qui va de la France insoumise à la moitié du PS »

C’est sur ces déceptions que les adversaires d’Éric Piolle capitalisent pour prendre le contrôle de la « capitale des Alpes ». Les vieilles rancœurs entre écologistes et Parti socialiste persistent. Les Grenoblois n’ont pas oublié comment Jérôme Safar, le candidat PS, a refusé de fusionner sa liste au deuxième tour de 2014, provoquant une quadrangulaire dangereuse pour EELV.

Pour la cuvée 2020, le profil du nouveau candidat socialiste clive tout autant. Adoubé par le PS sans en avoir l’étiquette, Olivier Noblecourt veut reconquérir la préfecture de l’Isère. Mais sa participation au gouvernement d’Emmanuel Macron, où il était délégué interministériel chargé de la pauvreté, lui ferme des portes à gauche. S’il affirme n’avoir fait que son devoir envers l’État, certains à Grenoble lui reprochent d’avoir été « un salarié politique, et non un haut fonctionnaire », au motif qu’il n’aurait pas passé de concours.

Olivier Noblecourt, candidat soutenu par le PS aux municipales 2020 de Grenoble.

Le déchirement est tel que la moitié des socialistes locaux ont fait défection pour rejoindre l’équipe Piolle. Un rapprochement dont ce dernier tire une certaine fierté : « La guerre des gauches s’est terminée à Grenoble avec un arc humaniste qui va de la France insoumise à la moitié du PS. » Et qui comprend également Génération.s, le Parti communiste et des mouvements citoyens dont l’Ades. Quant à l’idée d’une union totale des gauches au second tour, elle restera une utopie : « Je n’ai jamais eu vocation à faire l’union avec la macronie, qui relève d’une autre logique », tranche sèchement le maire sortant à l’égard d’Olivier Noblecourt.

En dépit de cette perte sèche, le candidat des socialistes pense encore pouvoir faire office de challenger au deuxième tour des municipales : « Il espère passer devant Émilie Chalas (candidate LREM et députée de l’Isère) au premier tour, pour ensuite former une alliance et récupérer les voix », pense un militant du PS. D’autant qu’aux dernières élections européennes, LREM devançait EELV de 23,96 % contre 22.36 % à Grenoble.

Un autre challenger, surgi du passé, tente lui aussi de reprendre le siège de l’hôtel de ville. Alain Carignon, condamné en 1996 pour corruption, abus de biens sociaux et subornation de témoins, est de retour. Candidat « de la société civile », l’ancien maire [RPR|Rassemblement pour la République, classé à droite] entend bien récupérer sa ville avec le soutien de Les Républicains. « Un pan de la campagne se joue en ce moment dans les quartiers sud. Carignon et Noblecourt y sont très présents, et tentent de récupérer une partie de l’électorat qui se sent délaissé par la mairie », observe un militant associatif. De quoi faire grisonner un peu plus les tempes d’Éric Piolle.

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