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Pédagogie Éducation

L’éducation populaire : un quotidien où se cultivent le respect et la bienveillance

Pour en savoir davantage sur les dynamiques du moment et l’avancement de la réflexion sur l’éducation populaire, la revue « Silence » est allé à la rencontre du Caravansérail Café, à Villeurbanne, et, à Lyon, des branches locales du Planning Familal, des MJC et du Crefad.

-  Lyon, correspondance

Le Caravansérail Café, à Villeurbanne, nous ouvre d’abord ses portes. Le lieu est clair, décoré simplement, mais avec goût (ce qui suffit à le différencier des locaux anonymes des collectivités locales), et donne sur un espace vert de belle taille. Son aisance surprend dans le cadre du centre commercial La Perralière, situé au milieu d’habitations à loyer modéré [1]. Comme les caravansérails d’autrefois, ce lieu dit « café-pont » mêle les dégustations artistiques et alimentaires (plat du jour bio et végétarien). Je remarque qu’on y parle plusieurs langues, qu’on y porte ― ou non ― un voile, un boubou ou toute autre tenue vestimentaire en relation avec un courant de pensée ou de religion, dans le respect du libre-arbitre de chacun.

Nathalie, l’une des fondatrices du lieu, me dit que l’objectif est de faire de ce local un point de rencontre pour les habitants du quartier. Il y a par exemple un espace destiné aux enfants, avec des jeux éducatifs et des livres, mais ce n’est pas une halte-garderie où l’on pourrait poser les petits pendant le temps des courses ! C’est plutôt un lieu où parents et enfants viendront partager un moment enrichissant en se frottant à d’autres modèles familiaux.

 Fonctionnement collaboratif et participatif

Les valeurs prônées par le lieu sont l’empowerment (anglicisme pour désigner le fait de se réapproprier du pouvoir), l’éthique, le respect et la bienveillance.

À l’origine se trouve une association, Éducation en héritage, qui croit à la force de l’intelligence collective et se définit comme une organisation apprenante.

L’esprit du projet : le Caravansérail Café est associatif et répond aux exigences de l’économie sociale et solidaire grâce à un fonctionnement collaboratif et participatif : une valorisation du travail bénévole et la mise en place d’échanges non monétaires ; la promotion d’une éducation éthique et respectueuse du sujet ; la valorisation d’une autre consommation.

Au Caravansérail Café, à Villeurbanne.

L’information sur les événements organisés (conférences, expositions, débats…) est diffusée de cercle en cercle sur le réseau des partenaires, parmi lesquels on compte les Colibris, les rencontres Dialogues en humanité [2], les Amap, etc.

Comment et de quoi vit ce type de structure ? « L’équilibre financier du Caravansérail Café est précaire, explique Karima Mondon, présidente d’Éducation en héritage. L’association trouve son équilibre dans la détermination, l’envie et l’énergie de ses fondateurs et bénévoles. »

Détour par le centre de Lyon où Ève Deneuche, de la MJC du Vieux-Lyon, exprime ses questions. Sa structure « offre aujourd’hui une large palette d’activités de loisirs et de pratiques amateurs, accueille les enfants pendant les vacances et sur les temps périscolaires, dispose d’un bar associatif, offre une programmation de concerts, de spectacles, d’expositions et de débats citoyens, met en place des animations familiales et s’attache à faire vivre le quartier en proposant des événements festifs et conviviaux. Mais tout cela ne suffit pas à faire un projet d’éducation populaire en soi », ajoute-t-elle.

« Dans une MJC, c’est l’engagement global au sein de la maison qui est sollicité. Le projet d’éducation populaire devient alors tel, par sa mise en œuvre elle-même : par exemple, les animateurs d’activités ne sont pas de simples enseignants d’une technique. Ils participent à la vie de la maison, partagent son éthique, sensibilisent les adhérents à une démarche collective. Les adhérents ne sont pas des clients : ils sont régulièrement invités à s’exprimer, à prendre leur part de responsabilité au sein du groupe, à confronter leurs points de vue et à transmettre leurs suggestions. Cette pratique vise à ce qu’ils accèdent à leur propre épanouissement et acquièrent une meilleure compréhension du monde qui les entoure. Le conseil d’administration, composé d’adhérents, citoyens actifs, se mobilise et s’engage afin de proposer les orientations culturelles et pédagogiques les mieux adaptées à la demande collective et les plus cohérentes pour une société en perpétuelle évolution. Chacun, animateur, adhérent, bénévole, est convié aux commissions, espaces de réflexion et force de proposition citoyenne. »

« Nous n’avons pas de définition construite et stable de l’éducation populaire »

Comme l’ensemble des antennes du Planning familial, le planning du Rhône met en place des activités d’information, d’écoute, de soins et de formation, ainsi que des actions militantes, en lien avec la sexualité et la vie affective. Au sein de son équipe, les questions affluent sur ce qu’est leur mission d’éducation populaire. « Nous n’avons pas de définition construite et stable de l’éducation populaire. C’est quoi, l’éducation populaire ? Un mouvement, une idée, une méthode ? Tant de courants, de définitions se succèdent… Ce que nous avons, plus certainement, ce sont des pratiques empreintes d’une forme d’éducation populaire, au sens où elles interrogent la répartition et la hiérarchisation des savoirs et des positions », expliquent les membres de l’équipe.

Au Caravansérail Café, à Villeurbanne.

« Nous travaillons avec un ensemble de savoirs, socialement hiérarchisés : en général, on accorde plus de valeur et de légitimité aux savoirs médicaux sur le corps qu’aux savoirs que les femmes construisent au fil de leur expérience. En donnant une place réelle aux savoirs considérés habituellement comme profanes et en donnant accès à d’autres formes de savoirs, nous pensons contribuer, à notre mesure, à renforcer la confiance en soi de chacun-e, et sa capacité réelle à vivre sa vie affective et sexuelle en faisant ses propres choix (contraceptifs, amoureux, de santé…). Nos tentatives de dé-hiérarchiser les savoirs se traduisent également dans notre organisation interne : la cogestion mise en place (CA – salariées) s’appuie sur l’idée que tous les points de vue ont la même légitimité et importance dans les discussions stratégiques. Le transfert régulier de savoirs et de compétences entre toutes permet de faciliter la participation réelle de chacune aux prises de décisions. » [3]

Comment penser et structurer son action dans la complexité ?

Le Crefad Lyon, association issue du réseau Peuple et culture, cherche à questionner et renouveler son approche de l’éducation populaire. Situé dans les locaux d’un collectif artisans-artistes, sur la Croix-Rousse à Lyon, « L’atelier des Sarrazineurs », il revendique comme valeurs la laïcité, la lutte contre les inégalités, les injustices et les intolérances, et pratique « l’entraînement mental » visant à la pensée critique alliée à la pratique. Il organise entre autres des « ateliers renversants », par exemple du théâtre-forum (« jouer pour déjouer les rapports de domination »), ou encore des méthodes de lecture collective sur le thème « radicalité et principe de réalité ».

Son questionnement central : comment penser et structurer son action dans la complexité ? Il propose également des espaces originaux tels que l’orchestre des lecteurs, atelier où l’on expérimente des lectures à plusieurs voix, avec solos et arrangements sonores, ouvert aux curieux de la musicalité du langage, de l’entrelacement des voix et des textes, et des ambiances sonores. Ce sont des conventions de formation et les financements ponctuels qui permettent à l’association de vivre au jour le jour.

Une diversité d’initiatives qui reflète celle de l’éducation populaire en général, multiforme dans ses thématiques, dans ses projets comme dans ses influences. On retrouve quand même une unité dans leur projet commun d’être des lieux et des vecteurs d’émancipation populaire pour permettre de mieux prendre sa vie en main face aux dominations de toutes sortes.


LE SECTEUR JEUNESSE ET ÉDUCATION POPULAIRE EN CHIFFRES

-  plus de 430.000 associations d’éducation populaire (soit 49 % des associations françaises)
-  six millions de bénévoles
-  un budget cumulé de l’ordre de 18 milliards d’euros, soit 1,4 % du PIB
-  autour de 680.000 emplois (environ 330.000 équivalents temps plein).

Plus de 70 mouvements nationaux de jeunesse et d’éducation populaire sont représentés auprès des pouvoirs publics par le Comité pour les relations nationales et internationales des associations de jeunesse et d’éducation populaire (Cnajep).

Ce dossier est donc loin de faire le tour des acteurs et des expériences, ne serait-ce qu’en France ! Silence a déjà largement donné la parole à des éducateurs des secteurs loisirs et vacances de l’enfance et de la jeunesse — spécialement à travers les alternatives en région —, et nous n’avons donc pas proposé de nouveaux témoignages dans ces domaines. Idem pour les activités artistiques engagées qui s’en réclament, dans la mesure où nous avions déjà interrogé le responsable de la compagnie de théâtre « Brut de béton » au sujet du spectacle La Prière de Tchernobyl, la Compagnie des 4, qui participe à la lutte pour l’égalité des femmes, les cafés « Lecture et écriture » et les Réseaux d’échanges et de savoirs.


POUR ALLER PLUS LOIN

Bibliographie (non exhaustive)

-  Benigno Cacérès, Histoire de l’éducation populaire, Le Seuil, 1964
-  Geneviève Poujol, L’Éducation populaire : histoires et pouvoirs, Ouvrières, 1981
-  Paulo Freire, Pédagogie des opprimés, La Découverte, 1982
-  Éducation populaire, le retour de l’utopie, Politis, hors-série n° 29, février-mars 2000
-  Jean Bourrieau, L’Éducation populaire réinterrogée, L’Harmattan, 2001
-  Jean-Marie Mignon, Une histoire de l’éducation populaire, La Découverte, 2007
-  Éducation populaire : une actualité en question, Agora, débats/ jeunesse, septembre 2007, no 44
-  Bazin Hugues, « Les enfants non reconnus de l’éducation populaire », in Agora débats/jeunesses, septembre 2007, no 44, pp. 46-61, L’Harmattan
-  Franck Lepage, L’Éducation populaire, Monsieur, ils n’en ont pas voulu… Inculture(s) 1, éd. du Cerisier. 2007
-  De l’éducation populaire à la domestication par la « culture ». Histoire d’une utopie émancipatrice. Le Monde Diplomatique, mai 2009, no 662, pp 4-5
-  Christian Maurel, Éducation populaire et puissance d’agir, L’Harmattan, 2010
-  Damien Cerqueus, Mikaël Garnier-Lavalley (dir.), Dix raisons d’aimer (ou pas) l’éducation populaire, éd. de l’Atelier, 2010
-  Hugues Lenoir, Pour l’éducation populaire : 1849-2009, éd. Libertaires, 2012
-  Hugues Lenoir, Autogestion pédagogique et éducation populaire, éd. Libertaires, 2014
-  Marc Heber-Suffrin, L’Éducation populaire – une méthode, douze entrées pour tenir ouvertes les portes du futur, Chronique sociale, 2014

Sur le web

-  www.education-populaire.fr
-  www.hugheslenoir.fr
-  Groupe de réflexion sur la recherche en éducation populaire,
-  www.mondefemmes.org voir « Féminisme, comment dire le juste et l’injuste. Pour une éducation populaire féministe », Hansotte M., 2003. Une réflexion prospective pour l’éducation populaire aujourd’hui, séminaire, janvier-juin, Liège, Belgique.

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