La position française sur la protection des fonds marins est opaque

Un poisson parmi des vers polychètes siboglinidés, dans les grands fonds marins. - © Ifremer
Un poisson parmi des vers polychètes siboglinidés, dans les grands fonds marins. - © Ifremer
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Océans« Il faut accélérer l’exploration des fonds marins » », dit le sénateur Michel Canévet, président d’une mission d’information sur le sujet. Mais celle-ci risque de faciliter, in fine, leur exploitation.
Michel Canévet est sénateur du Finistère, membre du groupe Union centriste. Il a présidé la mission d’information sur les grands fonds marins, qui a rendu son rapport le 21 juin.
La Conférence des Nations Unies sur les océans s’ouvre à Lisbonne, au Portugal, lundi 27 juin. Une dizaine de pays vont annoncer qu’ils ont rejoint une alliance — menée par les pays du Pacifique — en faveur d’un moratoire contre l’exploitation minière des fonds marins. Objectif : que d’autres pays les rejoignent, et notamment la France. Mardi, une alliance parlementaire au niveau européen contre cette exploitation sera annoncée, menée par la députée écologiste française Marie Toussaint. La prise de position de la France est donc fort attendue.
Reporterre — Pourquoi les fonds marins intéressent-ils particulièrement la France ?
Michel Canévet — La France dispose du deuxième plus grand espace maritime au monde, soit 11 millions de kilomètres carrés, et donc de vastes zones de grands fonds. Les fonds marins à proprement parler se situent au-delà de 3 000 mètres de profondeur, et peuvent aller jusqu’à -11 000 mètres. Ce sont des zones largement méconnues car jusqu’ici peu de technologies permettaient de descendre si profond.
Nous avons une très mauvaise connaissance de la vie au fond des mers. Il s’agit d’une vie différente, sans lumière, qui pourrait nous inspirer de multiples solutions terrestres. Les tests PCR sont issus de recherches maritimes et de matières trouvées en mer. Les médicaments de demain se trouvent peut-être dans les profondeurs des océans. Notre pays est pionnier en matière de recherche océanographique, et il est de notre devoir collectif de contribuer à une meilleure connaissance de ces espaces.
Les militaires regardent aussi les fonds marins avec intérêt. L’armée a identifié plusieurs enjeux, en particulier en ce qui concerne nos communications. 90 % des communications mondiales se font par les câbles océaniques… que des puissances étrangères pourraient couper ou utiliser afin de capter des informations.
Le gouvernement français doit-il se lancer dans l’exploitation de ses grands fonds ?
Il est beaucoup trop tôt pour envisager l’exploitation minière. La transition énergétique suscite un vif intérêt pour ces grands fonds, puisqu’ils recèlent des matières premières nécessaires pour les technologies « vertes », en particulier les batteries de véhicules électriques. Pour le moment, il y a assez de ces minerais sur Terre pour assurer les besoins dans les deux prochaines décennies, il n’y a donc pas d’urgence à se ruer vers les océans. La guerre en Ukraine remet cependant en avant l’importance de la souveraineté sur les matériaux stratégiques ; nous sommes aujourd’hui fortement dépendants de la Chine pour notre approvisionnement en minerais et métaux.
Nous ne connaissons pas les éventuelles incidences d’une exploitation de ces grands fonds. Certes, on fore déjà pour extraire du gaz et du pétrole mais les impacts sont relativement mesurés, sauf en cas d’accident. Avec l’extraction minière, il s’agit de ramasser des nodules polymétalliques avec des sortes d’énormes aspirateurs, ou de creuser certains couches sédimentaires… avec potentiellement des dommages importants.
Comment préserver les abysses, refuge d’une biodiversité exceptionnelle et encore largement méconnue, des activités industrielles, notamment minières ou de pêche ?
Il faut accélérer sur l’exploration : cartographier les fonds, mieux connaître les écosystèmes, évaluer très précisément les conséquences d’une éventuelle exploitation. Le gouvernement a annoncé 600 millions à dédier aux fonds marins : cette enveloppe doit aller à la recherche et au développement de technologies made in France pour effectuer cette recherche. Nous plaidons aussi pour la nomination d’un délégué interministériel sur cette question, car aujourd’hui, le sujet est traité par huit ministères différents. Le président de la République a affiché des ambitions pour nos fonds marins, mais les moyens ne suivent pas encore.

Une conférence internationale sur les océans se tient à Lisbonne du 27 juin au 1er juillet. Certains États appellent à un moratoire sur l’exploitation minière dans les abysses. Quelle position doit porter la France ?
En 2021, la France s’est abstenue sur la création d’un moratoire. Pour une raison simple : le moratoire portait sur l’exploration et l’exploitation des grands fonds marins. Or on ne peut pas valider un moratoire qui porterait sur la recherche. Pour préserver les grands fonds, il faut qu’on les connaisse mieux. Le gouvernement doit donc s’opposer à l’exploitation tout en poussant pour l’exploration.
L’exploration ne risque-t-elle pas d’être le pied dans la porte pour faciliter, in fine, l’exploitation ?
Peut-être, mais on ne peut pas rester sans rien faire ! Certains pays s’y mettent déjà : la Norvège a décidé de donner les premières autorisations d’exploitation dès 2023. Tout s’accélère… avec ou sans nous. La France ne doit pas rester derrière.