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La Pologne a bafoué la loi européenne pour promouvoir le gaz de schiste

Deuxième volet de notre reportage en Pologne sur les gaz de schiste. Ou comment le gouvernement tente de séduire les industriels en promettant une exploitation des gaz la plus rapide possible, tout en ne se fâchant pas avec Bruxelles.


-  Reportage, Varsovie (Pologne)

« Un simple éclaircissement ! » Dans la bouche des cadres de la région de Poméranie, la réforme du code minier polonais n’est qu’une formalité administrative dans la ruée vers les gaz de schiste. En fait, Varsovie est depuis cet été sous le coup d’une condamnation de l’Union européenne : par un arrêté en date du 27 juin, la Cour de Justice a jugé le mode d’attribution des permis d’exploration pour cette énergie non conforme à la législation communautaire. Soucieux de ne pas s’exposer à des amendes, le gouvernement polonais tente depuis de rattraper le coup, sans se fâcher avec les sociétés étrangères venues exploiter.

Distribution de concessions sans appel d’offre

Durant les années récentes, cent dix permis d’exploration ont été accordés à travers le pays, couvrant un tiers du territoire suivant la diagonale nord-ouest / sud-est des ressources présumées en gaz de schiste. Or, chacune de ces autorisations de prospection fut livrée avec la concession pour l’exploitation en cadeau et ce, sans aucun appel d’offre !

Un généreux mode d’attribution qui contrevient au principe de mise en concurrence édicté par le droit communautaire en matière énergétique. La Cour de justice oblige donc la Pologne à découpler les deux phases (exploration et production) et à mettre en concurrence les prétendants aux permis d’exploitation. Une injonction qui n’arrange pas les autorités polonaises.

Au demeurant, le gaz de schiste n’est pas encore une source d’énergie du pays : une cinquantaine de puits ont été forés, dont une quinzaine avec fracturation hydraulique. Aucun ne produit au sens commercial, sinon à Lebien, dont le puits fournit un peu plus de 8 000 mètres cubes par jour.

Puit à Stzeszewo -

« Notre pays n’a pas beaucoup de moyens et documenter nos ressources coûte très cher, explique Małgorzata Maria Klawiter, chargée de mission gaz de schiste auprès du Maréchal (préfet) de Poméranie. Chaque forage de recherche coûte 30 à 35 millions de dollars et les compagnies n’en retirent aucun bénéfice, nous voulons donc que la loi soit équilibrée. » Comprendre : désireux d’exploiter ses ressources le plus rapidement possible, la Pologne ne veut pas faire fuir les compagnies présentes.

Législateurs et techniciens du ministère cherchent donc des manières d’avantager de manière indirecte les titulaires de permis. « Les compagnies qui font de la prospection produisent une documentation géologique précieuse sur les réservoirs, l’environnement du forage... nous pourrions faire peser ce type d’information dans la balance dans l’attribution des permis d’exploitation sur la zone », confie un fonctionnaire.

Administrativement, cette réforme tranche avec la légèreté initiale des contrôles : les premières permis ont été distribués sans consultation des autorités locales, sans exigence d’étude d’impact environnemental préalable ni d’information des populations (y compris des propriétaires des terrains)... Le Texas au bord de la Baltique.

Ne pas fâcher l’Union européenne

« Le gouvernement n’a pas renoncé à écrire la loi au seul bénéfice des industriels, met en garde Ewa Sufin-Jacquemard, membre du parti des Verts polonais. Il impose ses décisions par décret : le 25 juin, il a enlevé aux élus locaux le droit de demander des études d’impact ! » Auparavant, ces derniers pouvaient exiger une étude d’impact environnemental aux investisseurs en cas de doute sur un forage à plus de mille mètres. En abaissant cette limite à 5 000 mètres, le conseil des ministres a rendu toute demande de ce type impossible pour les forages visant les gaz de schiste (ils sont situés en Pologne entre 2 800 et 4 000 mètres).

Cela prive les « wójt » (chefs d’agglomération) d’arguments pour demander l’arrêt des travaux. Une décision poussée par le vice-ministre de l’Environnement, en charge de la protection des ressources... mais aussi de leur exploitation.

Également « premier géologue du pays », Piotr Woźniak a une attitude ambiguë à l’égard des questions environnementales. « Très déçu » par l’arrêté rendu par la Cour de justice de l’Union européenne, le vice-ministre avait cependant déclaré vouloir « modifier la loi » pour y intégrer les appels d’offre sans pour autant toucher « aucun permis ». Un zig-zag entre deux impératifs pour le gouvernement polonais : ne pas menacer la croissance économique du pays et ne pas fâcher l’Union européenne.

Piotr Wozniak -

Spécialiste de l’appel à subvention, la Pologne est le huitième pays de l’Union le plus apte à capter les investissements publics issus des fonds structurels ou des cofinancements communautaires. Mais si les gouvernements des frères Kaczyński et celui de Donald Tusk sont fort avisés pour quadriller le pays d’infrastructures nouvelles (comme durant l’Euro 2012 de football), leur compréhension des questions environnementales s’avère limitée. Un problème devenu financier puisque la stratégie 2020 (qui prévoit notamment la réduction de 20% des émission de gaz à effet de serre) est désormais intégrée aux critères d’attribution de fonds européens.

Conscients de ces nouvelles exigences, le gouvernement a ces derniers temps multiplié les gestes de bonne foi, souvent sans réaliser les conséquences. En attendant de trouver une solution pour la très polluante production électrique du pays, le gouvernement a ainsi interdit durant l’été le chauffage des particuliers au charbon. Une décision pertinente écologiquement, mais qui a placé deux millions de Polonais hors la loi du jour au lendemain, sans que le gouvernement les ait informés d’une solution alternative pour l’hiver ! Mais que ce soit pour les gaz de schiste ou la stratégie 2020, la stratégie d’esquive ne durera pas longtemps.

Mine de charbon à ciel ouvert de Bielszowice -

Le jugement de la Cour de Luxembourg sur le droit minier sonne comme un rappel à l’ordre. « Je pense que l’Union européenne est peut-être la seule force à même d’obliger le gouvernement à réguler efficacement les gaz de schiste, voire la seule capable de les en détourner », espère Ewa Sufin-Jacquemard. La réforme du code minier, qui devrait être présentée avant la fin de l’année, sera un premier test. Et, bien que peu nombreux, les opposants aux gaz de schiste le guettent attentivement, de peur qu’il n’échappe à l’attention des médias...

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