La fast fashion de Shein froidement accueillie à Lyon

À Lyon, le samedi 11 mars 2023. - © Moran Kerinec / Reporterre
À Lyon, le samedi 11 mars 2023. - © Moran Kerinec / Reporterre
Durée de lecture : 4 minutes
Pollutions Luttes QuotidienL’enseigne de fast fashion Shein a ouvert samedi 11 mars une boutique éphémère à Lyon. Elle y a été accueillie par des actions d’Extinction Rebellion et de WeDressFair, qui dénoncent ses ravages écologiques et sociaux.
Lyon (Rhône), reportage
« On est venu dévaliser Shein ! » Employée à Carrefour, Claudia a roulé depuis Chambéry (Savoie) avec son amie Alexia pour l’ouverture d’une boutique éphémère de la plateforme de fast fashion à Lyon. Les deux jeunes femmes se sont levées à 5 heures du matin pour faire la queue dès 8 heures. Derrière elles, plus de 300 personnes attendent sous la pluie l’ouverture du magasin.
Pour Claudia, rémunérée au Smic, « l’argument choc, c’est leurs petits prix. C’est compliqué d’acheter des vêtements avec les prix qui augmentent et ce qu’on gagne actuellement ». Commerciale dans le photovoltaïque, Shahinez, 29 ans, est elle aussi venue « chiner chez Shein », attirée par « les petits prix et les bonnes affaires ! »

Ces bonnes affaires ont un coût, mais ce ne sont pas les clients qui le payent. Pour renouveler rapidement ses collections sans augmenter le prix de ses vêtements, l’enseigne rogne sur les conditions de travail de ses employés. « Une salariée textile chez Shein gagne 18 euros pour ses 18 heures de travail quotidien, ce qui revient en moyenne à 2 centimes d’euros par rapport au vêtement qu’elle produit », dit Marie Nguyen, cofondatrice de WeDressFair, une boutique lyonnaise de mode éthique.
Ces économies se répercutent aussi sur la faible qualité des habits produits… Au point d’affecter la santé des usagers : 15 % de ces vêtements contiendraient des polluants toxiques. L’incitation à la surconsommation de la marque est également nocive pour l’environnement. D’après l’Ademe, l’industrie de la mode émet chaque année 1,2 milliard de tonnes de gaz à effet de serre, soit 2 % des émissions mondiales.
« On va vers ce qui arrange le mieux notre poche »
Les clientes ont connaissance de ces conditions de travail précaires qui soulèvent un malaise et un dilemme : comment faire la balance entre conscience et portefeuille ? « Tout le monde dit “il faut boycotter Shein”, mais ça reste dans nos moyens. On ne peut pas se permettre d’acheter des ceintures ou des vestes Gucci tous les jours », dit Claudia.
« On va vers ce qui arrange le mieux notre poche », résume Shahinez, tout en plaidant que l’absence d’information sur les conditions de travail — malgré la documentation étayée de cette réalité — ne permet pas de faire un choix éclairé : « Il y a des on-dit, mais ce n’est peut-être pas vrai. Ça permettrait à beaucoup de personnes de ne plus acheter chez Shein s’ils étaient mieux informés. » Lycéenne à Lyon, Aymie hésite : « On n’est pas sûr, on entend des rumeurs… » Sa copine Lou la coupe : « C’est de l’esclavage carrément ! Je crois qu’on devrait partir ».

L’ouverture de la boutique éphémère n’a pas attiré que des clientes venues la dévaliser. À peine deux heures après son ouverture, du faux sang éclabousse les chaussures des vigiles, des fioles de boules puantes éclatent entre les rangées de vêtements tandis que des membres d’Extinction Rebellion aspergent les vêtements d’eau pour entraver leur vente.
Au même moment à l’extérieur, et sans concertation avec les activistes écologistes, les employées de WeDressFair distribuent des tracts et déploient aux fenêtres d’un appartement en vis-à-vis du magasin des affiches qui soulignent les ravages sociaux et environnementaux provoqués par Shein.

WeDressFair n’espère pas attirer la clientèle de Shein dans sa boutique. Sa gamme de produits « éthiques » ne peut pas concurrencer ceux de la fast fashion. « On n’est pas une alternative, la différence de prix est trop élevée, reconnaît Marie Nguyen. Mais on peut faire de la sensibilisation sur le juste prix d’un vêtement, ses conditions de fabrication, les bonnes matières premières… Une jeune fille qui vient pour les prix, je lui recommande d’aller fouiller les friperies qui n’ont pas l’impact ou la visibilité de Shein. »
Un conseil qui frappe juste, car les prix employés par Shein déçoivent ses clientes. « 50 euros le pantalon ? Sur le site il ne coûte que 15 euros, ma chérie ! » s’indigne une mère de famille. Dépitée, une jeune femme quitte le magasin : « C’est trop cher, on va aller ailleurs ! »