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Politique

La loi Ferme France, cheval de Troie de l’agro-industrie

Le retrait d’un produit phytopharmaceutique décidé par l’Anses pourrait être suspendu « par arrêté motivé ».

Pesticides réautorisés, soutien aux industriels... La proposition de projet de loi « en faveur de la Ferme France » contient de nombreuses régressions environnementales, dénoncent les écologistes.

Une « lettre ouverte au père Noël de la FNSEA ». C’est en ces termes que le président de l’UFC-Que choisir, Alain Bazot, décrit la proposition de loi « pour un choc de compétitivité en faveur de la Ferme France », qui sera débattue en séance plénière au Sénat à partir du 16 mai. Porté par Laurent Duplomb (Les Républicains), Pierre Louault (Union centriste) et Serge Mérillou (Parti socialiste), ce texte a pour ambition d’offrir « une plus grande protection de nos agriculteurs face aux distorsions de concurrence, tant en Europe […] qu’au-dehors ». Il est vivement critiqué par les écologistes, qui craignent d’importantes régressions sanitaires et environnementales.

Premier grief : l’article 13 de cette proposition de loi, qui propose de réviser les missions de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses). Depuis 2015, cette institution est chargée de la délivrance, du retrait ou des modifications des autorisations de mise sur le marché des pesticides. Cet article pourrait nettement compliquer sa tâche. Il requiert que l’Agence présente, dans chacune de ses décisions, « une balance détaillée des bénéfices et des risques sanitaires, environnementaux et économiques ».

Le porte-parole de l’association Générations futures, François Veillerette, juge « très inquiétante » cette proposition législative : « Elle alourdirait les formalités, et risque de dissuader l’Anses de prendre des décisions de retrait. » « C’est très grave, confirme le sénateur écologiste d’Ille-et-Vilaine Daniel Salmon. Elle bat en brèche l’indépendance de l’Anses, en disant que le fait économique doit être pris en compte, devant les problématiques sanitaires et environnementales. »

Épandre les pesticides par drones

Autre motif d’inquiétude : la commission des affaires économiques du Sénat a proposé que le ministre chargé de l’Agriculture puisse, « par arrêté motivé », suspendre le retrait d’un produit phytopharmaceutique décidé par l’Anses. Une idée « effrayante », selon François Veillerette : « Remettre la décision au politique, c’est le fantasme suprême de la droite. Une seule personne pourrait décider de la mise sur le marché d’un produit potentiellement néfaste, directement sous la pression des syndicats agricoles. On peut critiquer les autorisations de mise sur le marché de l’Anses, mais au moins, jusqu’à présent, le système était à peu près transparent, avec une institution qui n’était pas juge et partie. »

« Une seule personne pourrait décider de la mise sur le marché d’un produit potentiellement néfaste », dénonce François Veillerette. Unsplash/CC/Dietmar Reichle

Toutes les personnes interrogées par Reporterre déplorent, par ailleurs, l’orientation technophile du texte. L’article 8, notamment, défend l’épandage de pesticides par drones. Il propose d’expérimenter, pour une durée maximale de cinq ans, « l’utilisation des aéronefs télépilotés ou contrôlés par intelligence artificielle pour la pulvérisation aérienne de produits phytopharmaceutiques ». Une pratique « complètement contraire au principe de précaution », s’insurge Daniel Salmon.

« Avec un aéronef, la dispersion des pesticides est encore plus importante qu’avec un pulvérisateur terrestre », indique François Veillerette. « Cette robotisation va nous mener vers des exploitations toujours plus grandes, sans paysans, sans pollinisateurs… On se dirige vers une campagne silencieuse, à l’exception du bruit des robots », redoute Daniel Salmon.

« Au fond de l’impasse, il y a un mur, et on s’en rapproche sérieusement »

En ce qui concerne l’eau, l’article 15 propose de modifier le Code de l’environnement, en y précisant que les infrastructures de stockage de l’or bleu — comme les mégabassines — présentent « un intérêt général majeur ». « Cela permet de passer outre un certain nombre de contraintes environnementales, et d’amoindrir les études d’impact, traduit le sénateur écologiste. On est là dans une logique jusqu’au-boutiste de soutien à un modèle agricole dispendieux en eau, au profit de quelques-uns, et financé avec de l’argent public. »

La loi prévoit également de repousser de trois ans — c’est-à-dire en 2025 — la date à laquelle les assiettes servies dans les restaurants collectifs devront contenir au moins 20 % de produits biologiques. Des crédits d’impôt sont par ailleurs prévus pour les agriculteurs qui souhaiteraient acquérir du nouveau matériel. « Ceux qui en profiteront le plus seront ceux qui sont déjà dans une logique industrielle », craint Joël Labbé, le sénateur (écologiste) du Morbihan, qui a prévu de déposer une motion de rejet du texte.

Auteur d’un rapport du Conseil économique, social et environnemental sur la compétitivité de l’agriculture française, Jacques Pasquier regrette que ce texte vise uniquement à diminuer le coût de production des aliments français, au lieu d’améliorer leur qualité. Plutôt que de soutenir le développement d’une agriculture locale et biologique, et d’amorcer ainsi un changement salvateur de notre modèle agricole, cette loi promet de nous faire « accélérer dans l’impasse », juge ce partenaire de la Confédération paysanne. « Sachant qu’au fond de l’impasse, il y a un mur, et qu’on s’en rapproche sérieusement. »

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