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Politique

La loi Macron porte un nouveau coup à la protection de l’environnement

Articles 28, 29, 54… Plusieurs dispositions de la loi Macron s’attaquent directement à la protection de l’environnement, et affaiblissent le droit en la matière. Les écologistes n’ont pas su s’organiser pour faire reculer le gouvernement, qui applique toujours davantage le dogme néo-libéral à l’environnement.

C’est l’article 28 du projet de loi Macron qui mobilise le plus les critiques. Comme Reporterre l’a déjà écrit, il vise à permettre au gouvernement de simplifier le droit de l’environnement par ordonnances, sans consultation des élus, afin d’accélérer « l’autorisation des projets de construction et d’aménagement et de favoriser leur réalisation ».

Chez EELV comme dans les associations écologistes, on partage au moins le constat du gouvernement : « Nous sommes pour la modernisation du droit de l’environnement car les procédures se sont bureaucratisées », explique Denis Baupin, député écologiste parisien. « Par exemple, malgré des avis défavorables, de mauvais projets se poursuivent. Les procédures actuelles ne garantissent pas que les avis défavorables soient écoutés. »

« Il y a urgence », renchérit Morgane Piederrière, de France Nature Environnement (FNE). « Les processus de participation du public ne sont pas satisfaisants et cela crée de la tension. Les observations du public ne sont pas forcément prises en compte, sans que cette absence de prise en compte soit justifiée. Nous demandons qu’une réponse soit faite à l’avis du public consulté. Nous demandons aussi que soit organisée une contre-expertise. Sur des projets comme celui du barrage de Sivens, cela aurait évité que la situation dégénère. »

Légiférer par ordonnances tout en prônant la démocratie participative

Les choses se compliquent dès que l’on aborde la manière de faire évoluer le droit de l’environnement. « Notre objectif c’est l’abandon de cet article », dit clairement Denis Baupin pour EELV. Alors que Morgane Piederrière explique que pour FNE, « nous ne sommes pas contre le fait de prendre des ordonnances si c’est le ministère de l’Écologie qui les écrit, et que le CNTE [Conseil national de la transition écologique, instance consultative en place depuis 2013] donne son avis. » Un amendement demandant à ce que les ordonnances soient approuvées par le CNTE a en effet été adopté.

- Denis Baupin -

Cette question de méthode révèle les incohérences du discours gouvernemental. « Le projet de loi pour la croissance et l’activité tend à traduire l’objectif du Gouvernement de mener rapidement et dans la concertation la modernisation du droit de l’environnement pour le rendre plus lisible, mieux proportionné et plus efficace », peut-on lire dans la feuille de route issue de la conférence environnementale rendue publique mercredi 4 février par Manuel Valls et Ségolène Royal. La ministre de l’Écologie s’est par ailleurs engagée à ce que soit ajouté un amendement garantissant le principe de « non-régressivité » du droit de l’environnement.

« C’est complètement contradictoire », selon Denis Baupin. D’autant plus que l’article possède une « fragilité constitutionnelle : le droit de l’environnement ne peut se faire que par la loi, c’est écrit dans la constitution ». Passer par des ordonnances consiste justement à permettre au gouvernement d’écrire le droit sans que les législateurs (les députés et sénateurs) ne donnent leur avis.

Même analyse pour Florent Compain, président des Amis de la Terre : « Alors que François Hollande vient de lancer le chantier de la démocratie participative, ce passage par ordonnances est tout sauf de la démocratie participative ». Autre argument, avancé par l’avocat Arnaud Gossement : le recours aux ordonnances ne fera que compliquer et ralentir la procédure :

-  Ecouter Arnaud Gossement :

Des lois fourre-tout qui compliquent le travail de pression des associations

Quant à la possibilité de consulter le CNTE, il s’agit selon Florent Compain d’un « simulacre de démocratie ». Il rejoint en cela Arnaud Gossement : « Chacun sait que le CNTE jouera un rôle particulièrement limité. [...] Ce sont principalement les conclusions du futur rapport de M. Duport (mission pilotée par Matignon) et l’avis du Conseil national de l’industrie (Bercy) qui inspireront la rédaction des ordonnances à venir » (à lire sur son blog). « L’avis du CNTE c’est quoi ? Les huit associations qui en font partie ne pèsent rien », renchérit Florent Compain.

Cependant, même si elles sont opposées à cet article 28, les associations avouent ne pas être en mesure de porter le fer. « Globalement, on n’a pas les moyens de faire campagne à chaque fois. C’est le gros problème de ces lois fourre-tout : elles touchent à cinquante mille sujets. Alors il y a une cristallisation sur quelques-uns et le reste passe à la trappe », analyse Florent Compain.

28, 54, et le numéro complémentaire… le 29

Outre l’article 28, certains évoquent le 54. Il permet à l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) de vendre « des prestations de conseil et des missions d’appui technique » aux autorités nucléaires d’autres pays. Selon Florent Compain, il s’agirait pour le gouvernement de faciliter l’exportation du nucléaire français, qui devrait faire l’objet d’une opération de communication au moment de la COP21.

En réalité cet article fait bondir au sein même de l’ASN, selon les informations du Journal de l’environnement qui cite un responsable de l’autorité : « L’État nous demanderait de certifier les réacteurs qu’Areva proposerait à l’international, ce qui est tout à fait contraire à la doctrine française en la matière ».

La doctrine en question, présentée sur le site de l’ASN, dit bien que chaque pays se lançant dans un programme nucléaire doit se doter de sa propre « Autorité de sûreté qualifiée et indépendante ». « On ne peut sous-traiter [la sûreté] à un gendarme étranger », explique le responsable interrogé par le Journal de l’environnement.

Là encore, les députés écologistes ont déposé un amendement pour demander la suppression de l’article. Selon eux (dans l’exposé des motifs), le texte aurait pour but de « permettre à l’ASN d’être rémunérée par les industriels potentiellement exportateurs pour ses examens de conformité. Cela place donc l’Autorité en position de cliente des entreprises qu’elle contrôle sur le territoire français. »

Chez France Nature Environnement, on insiste aussi sur l’article 29. Il vise à réduire considérablement les situations dans lesquelles une construction déclarée illégale pour cause de manquement dans l’attribution du permis de construire doit être démolie.

Là encore, selon Denis Baupin, « l’article est fragile constitutionnellement car c’est une incitation à ne pas respecter les règles ». EELV et FNE demandent sa suppression. Morgane Piederrière raconte que « l’article avait été réécrit en commission d’une manière qui était plus satisfaisante, mais un amendement a été déposé depuis par les rapporteurs, visant à rétablir la version originale... »

Sur tous ces points, le député Baupin reconnaît que la probabilité de gagner est faible. « Mais si le ministre a fait preuve de souplesse dans certains domaines, comme la rémunération des professions réglementées ou le secret des affaires, il pourrait avoir la même lucidité sur le droit de l’environnement. Il faut se mobiliser pour. »

L’article 28 a finalement été adopté vendredi 6 février tard dans la soirée. Le principe du non-régressivité du droit de l’environnement n’a pas été retenu, au motif que cette notion n’était pas suffisamment bien définie. Néanmoins, un amendement de la députée PS Sabine Buis garantissant que l’avis du parlement serait pris en compte dans la rédaction des ordonnances a été adopté, contre l’avis du gouvernement semble-t-il : « Le Parlement est informé et consulté au cours du processus d’élaboration des ordonnances prévues et des travaux organisés au sein du Conseil national de la transition écologique, au moyen notamment de la mise en place d’un comité de liaison composé de parlementaires ».

Par ailleurs, Denis Baupin a déclaré avoir « fait inscrire des garanties de protection de l’environnement et la priorité donnée aux projets de transition énergétique ainsi que la modernisation des procédures de concertation ». « Grâce à nos amendements, les ordonnances de l’article 28 de la loi Macron sont un peu mieux encadrées. Mais la procédure reste inacceptable ».


Complément d’information :

. Le point de vue critique de la Fondation Nicolas Hulot

. Jean-Claude Boual, "Loi Macron : une nouvelle menace pour les associations et la vie démocratique", pour le Collectif des associations citoyennes, sur Bastamag.

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