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ReportageAlternatives

« La permaculture ne propose pas de recettes miracles »

Clément et Émilie se sont installés il y a sept ans avec une ambition : réduire au maximum leur impact écologique, à l’aide de la permaculture. Ils questionnent aujourd’hui ce mouvement en plein essor.

Soumont (Hérault), reportage

L’endroit a tout d’un jardin d’Éden. Un creux de vallon verdoyant, où glougloute un ruisseau. Le maquis méditerranéen laisse çà et là place à des clairières savamment aménagées. Des poules rousses picorent non loin des fruitiers en fleurs. Dans le potager, les soucis orangés côtoient les jeunes pousses de salades. Au milieu, une maisonnette en pierres sèches et en bois capte les rayons du soleil matinal. « Il y a dix ans, tout ceci n’était qu’une friche avec une ruine », sourit Clément. C’est ici que cet ex-chimiste est venu accomplir son rêve : vivre le plus sobrement possible, et « sauver le monde avec la permaculture, rien que ça ! » ironise-t-il.

Lire aussi : Ça y est ! J’ai compris ce qu’est la permaculture !

Mais si la permaculture rencontre un franc succès, elle se heurte parfois à la réalité du terrain. Et suscite des désillusions.

Néflier d’Allemagne sur aubépine, Reine des reinettes sur pommier sauvage... Émilie et Clément se sont mis à greffer des fruitiers comestibles. © David Richard / Reporterre

Un succès… commercial

Née dans les années 1970 en Australie, la permaculture désigne une démarche visant à produire sans détruire. « Prendre soin de la nature, des êtres humains et partager équitablement », selon la formule consacrée. En France, elle a connu un essor dans le sillon du documentaire Demain (1 million d’entrées au cinéma en 2015), suscitant un engouement commercial et un flot de reconversions.

En France, l’Université populaire de permaculture (UPP) — qui réunit une quarantaine de centres de formation — accueille « quelques milliers de stagiaires par an », selon un de ses membres, Philippe Deregel. Depuis le début des années 2000, « le nombre de personnes formées se compte en dizaines de milliers », précise-t-il.

Ils utilisent désormais un ancien forage pour avoir de l’eau. © David Richard / Reporterre

Des dizaines de livres et de vidéos, des formations en ligne ou dans des fermes dédiées… Certaines vidéos YouTube cartonnent : près de deux millions de vues pour « La Tomate de A à Z (presque) », près de trois millions de vues pour la « Maison autoconstruite et 100 % autonome ». « Beaucoup de personnes sont venues chercher des solutions pour réussir leur jardin, constate la sociologue Laura Centemeri, qui a écrit un livre sur le sujet. Or la permaculture offre un cadre, une méthode générale pour penser de manière écologique, pas des recettes miracles. »

Émilie était ingénieure agronome avant de changer de vie. © David Richard / Reporterre

Un concept vidé de sa substance

Vivre le plus écologiquement possible et cultiver selon les principes permacoles : c’est le défi que se sont fixé Clément et Émilie, sa compagne, dans leur val héraultais.

Côté autonomie, « au début, on a commencé extrême », raconte le trentenaire. Il a fallu défricher une partie des 3,6 hectares de bois touffu, retaper la bâtisse, installer des panneaux solaires afin d’avoir un peu d’électricité. « Nous avons eu des moments difficiles », témoigne Émilie, ingénieure agronome de formation.

Côté permaculture, le couple s’est formé ; Clément a passé son accréditation puis coécrit un film, L’éveil de la permaculture, qui a séduit quelque 120 000 spectateurs. Enseignement, conférences... « Nous nous sommes engagés à fond dans la diffusion de cette discipline qui nous avait inspirés », précise-t-il.

Au bout d’un moment pourtant, le doute s’est installé. « Je me suis rendu compte en préparant mes cours que certains des fondamentaux de notre idéologie ne reposent pas sur des faits scientifiques avérés. Par exemple, l’idée selon laquelle l’agriculture conventionnelle produit de manière inefficace du point de vue énergétique n’est pas exacte. » Autrement dit : la promesse permacole de « regarder pousser ses tomates » n’est pas si facile à tenir.

Des plans poussent dans leur serre. © David Richard / Reporterre

Plus généralement, « il y a un manque de rigueur dans l’enseignement de la permaculture, estime Clément. Ça peut mener à des échecs dans la mise en pratique des différentes méthodes par les adeptes ». Le couple s’est ainsi peu à peu senti en décalage avec le monde permacole. « En dix ans, le discours s’est considérablement simplifié pour le grand public, devenant presque une compilation de techniques de jardinage », expliquent-ils.

Autre problème, selon eux, « certains leaders du mouvement se sont approprié l’idéologie et l’ont modifiée à leur sauce », entraînant une confusion. Le terme « permaculture » aurait ainsi été vidé de sa substance originelle. On parle désormais de permaculture humaine, végane, régénérative...

Des principes généraux, plutôt que des « trucs et astuces »

« Ce sont des principes d’action, pas des “trucs et astuces” pour réussir son potager, abonde François Léger, chercheur à AgroParisTech, spécialiste de l’agroécologie. Si vous vous contentez de faire des buttes et des associations de culture sans penser la gestion de l’eau ou l’autonomie en termes de matière organique, ça risque en effet d’échouer. »

Le couple pense le paysage en fonction de l’eau. Ici, un petit fossé amène les eaux de pluie vers une mare. © David Richard / Reporterre

L’agronome a cependant identifié des principes qui lui paraissent efficaces : il s’agit notamment de « donner la priorité au futur », autrement dit « ne pas chercher à maximiser la production annuelle, mais au contraire se préoccuper avant tout de la capacité du milieu à durer et à se perpétuer », en veillant à la fertilité des sols ou à la biodiversité alentour. Est-ce que ça marche ? « On n’a pas de résultats aussi mirobolants qu’en conventionnel, mais on a plus de garanties de sortir des revenus raisonnables », estime le chercheur. En clair, les fermes permacoles sont peut-être moins profitables, mais plus résilientes.

Une serre attenante à la maison. © David Richard / Reporterre

Aujourd’hui, Émilie et Clément ont lancé une pépinière professionnelle. « On continue de faire de la permaculture, mais sans le revendiquer », précise Émilie.

Parmi les préceptes appliqués sur la ferme, « on essaye de s’appuyer sur le vivant, de penser le paysage en fonction de l’eau – pour ralentir et répartir son écoulement —, d’être autonomes d’un point de vue de la matière organique », liste le pépiniériste, intarissable. Ici, un petit fossé amène les eaux de pluie vers une mare ; là, le poulailler mobile permet de fertiliser de petites parcelles et de limiter l’enfrichement. Le duo est aussi passé maître dans l’art de greffer : « Nous avions de nombreux arbres sauvages sur notre terrain, détaille Clément. Alors, on s’est mis à y greffer des fruitiers comestibles. » Néflier d’Allemagne sur aubépine, Reine des reinettes sur pommier sauvage. La ferme comprend près de 200 poiriers, pommiers, pruniers et autres pêchers.

Même constat, à quelque 200 km de là, dans le village lotois de Bio : « Je ne dis plus que je fais de la permaculture, car ça suscite trop d’incompréhension, explique Charlotte Pasquier, éleveuse qui s’est formée aux principes permacoles il y a une dizaine d’années. Mais sur la ferme, nous la pratiquons tous les jours ! » Côté autonomie, tout — ou presque — est réutilisé sur la ferme : le son de la meunerie nourrit les brebis, leur fumier alimente les grandes cultures, la paille s’est retrouvée dans les murs du fournil. « L’agriculture paysanne, dans les fermes en polyculture élevage notamment, utilise plein de principes de la permaculture, constate-t-elle. Sauf que cette agriculture est souvent invisibilisée dans les discours et les médias. »

Émilie et Clément plantent des tulipes afin d’encourager la présence d’insectes utiles. © David Richard / Reporterre

La « perma » peut ainsi paraître moins politique. Moins clivante. « Même si elle peut être présente sur des lieux de lutte, il est vrai qu’elle s’articule rarement avec les mouvements sociaux et écologistes », constate Bétina Boutroue, sociologue qui a consacré deux mémoires de recherche à cette question.

Dans ses travaux, la chercheuse estime que cette pratique « a contribué à diffuser un mode d’engagement nouveau à l’échelle française, qui se distingue par son individualisme ». Elle parle à ce propos d’un « mouvement de réforme de soi », un terme qui permet de « qualifier des groupes qui privilégient le changement individuel comme prémices d’un changement social ». Change et le monde changera.

Pour Laura Centemeri, « il ne faut jamais oublier la dimension collective ». Car le but, in fine, de la permaculture, « c’est d’offrir des outils pour penser une société réellement écologique », insiste la sociologue. À Soumont, Émilie et Clément s’investissent dans les réseaux paysans locaux, forment à la greffe sur arbres sauvages, et tentent ainsi de « participer à la transition vers des territoires plus durables, autonomes et résilients ».


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