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TribuneÉcologie et spiritualité

« Laudato Si’ », un ferment de conversion écologique pour les chrétiens

« Laudato Si’ », le texte écologique du pape François, continue à stimuler engagements et conversions en faveur de la « sauvegarde de la maison commune », cinq ans après sa parution. Les initiatives, notamment chez les chrétiens, se multiplient.

Laura Morosini est animatrice d’Église verte, un réseau de 470 églises en « conversion écologique ».


Le 24 mai 2015, le pape François publiait une lettre encyclique sur l’écologie, intitulée Laudato Si ("Loué sois-tu") [1]. C’était le premier grand texte du magistère catholique sur le sujet, six mois avant la conférence sur le climat de Paris (COP21), dont beaucoup pensaient que « seul un miracle » permettrait qu’elle se conclue par un accord. Étonnement, le texte fut un succès de librairie. Il faut dire que le pape avait mis du sien pour en élargir l’audience. Laudato Si’ n’est pas réservé aux catholiques mais « aux personnes de bonne volonté ». Le texte paraît léger : 180 pages dans un vocabulaire clair et incarné (la Terre « abandonnée, maltraitée, opprimée »). Laudato Si’­ constate et explique une crise écologique indissociable de la crise sociale (« clameur de la Terre et clameur des pauvres » §49). Le pape y montre qu’il écoute la science, rend hommage au « mouvement écologique mondial », cite un sage soufi, un patriarche orthodoxe et affirme qu’il faut « accepter une certaine décroissance ».

On notera particulièrement cinq thèmes de Laudato Si’­, dont la pandémie souligne la pertinence : une réflexion sur la vitesse, sur la technologie (« terrible pouvoir »), sur l’économie, « qui détermine la politique », l’affirmation de l’importance de la fraternité et de la dignité de chaque créature (un chapitre dénonce « l’anthropocentrisme moderne », enfin l’insistance sur l’idée que « tout est lié ».

L’un des fruits de Laudato Si’ a été de fonder un grand mouvement regroupant des centaines d’organisations catholiques de par le monde, déjà actives en matière d’écologie, principalement au Sud : depuis des années, le missionnaire Carlo Zacquini dénonce au Brésil, avec Claudia Andujar, le génocide des Yanomani. Aux Philippines Yeb Sano, ancien diplomate devenu responsable de Greenpeace, a mobilisé sur l’écologie l’Eglise locale et l’évêque de Manille, surnommé le "pape rouge". En Amérique du sud, le Réseau Ecojesuit regroupe les jésuites engagés sur l’écologie. Organisé autour de Génération Laudato Si, des jeunes catholiques du monde entier ont fait grève pour le climat en coordination avec Greta Thunberg.

Né juste après l’encyclique, le GCCM (Global Catholic Climate Movement, mouvement climatique catholique mondial), grossit chaque année de nouvelles organisations : Caritas (Secours catholique mondial), diocèses, congrégations, universités… Le GCCM, encouragé par le soutien du pape en vidéo, a appelé à relire (ou découvrir) Laudato Si’ cinq ans après sa publication. Cela a donné lieu à un site Semaine Laudato Si, à une vague de prière mondiale le dimanche 24 mai et à l’encouragement de milliers d’initiatives : webinaires, prières , mini-rassemblements, manifestations aux fenêtres…

« Sonner les cloches pour redémarrer autrement »

C’est cette voie qu’a choisie le mouvement français Chrétiens unis pour la terre (fondé en 2012) : il propose à chacun, chrétien ou pas, de sonner les cloches à sa fenêtre, à 20 h. Après avoir dit merci aux soignants, la phase suivante est de ne pas « revenir à l’anormale ». Sonner les cloches c’est sonner l’alarme, comme lors d’un incendie, puisque « notre maison commune brûle ». L’heure est grave et nous savons que cette décennie est décisive avant que l’irréversible se joue en matière climatique. « Sonner les cloches », c’est aussi un appel au rassemblement parce qu’il faut s’encourager, s’épauler pour changer en profitant de cette période qui a ouvert les yeux de beaucoup (écouter les oiseaux, cuisiner, faire du vélo, ralentir…). Enfin, « sonner sa petite cloche » à la fenêtre, c’est aussi jouer sa note dans un concert par sa « conversion écologique radicale » avec sa dimension d’intériorité et de spiritualité. Comme d’autres, beaucoup de chrétiens estiment que ce qui nous arrive peut être une occasion favorable, un galop d’essai avant l’« effondrement », terme qu’employait déjà Laudato.

En France, une troisième initiative s’est répandue dans les diocèses et auprès des Églises vertes (réseau de 470 églises en « conversion écologique ») : il s’agit de l’exercice issu des réflexions de Bruno Latour « Où atterrir après la pandémie ? ». Le philosophe catholique travaille depuis plusieurs années déjà pour aider le collège des Bernardins (pôle de réflexion parisien) dans sa réflexion sur « les racines de l’insensibilité écologique » et « l’apport du concept de Gaïa à la théologie ». À partir d’un article paru le 20 mars, l’idée simple mais efficace est de recenser lesquelles parmi nos activités ont été suspendues, maintenues ou sont apparues durant le confinement, puis lesquelles on veut conserver, supprimer ou réduire. Le pari est que cette période si exceptionnelle aidera à voir clair dans ce à quoi l’on tient et à s’engager véritablement en trouvant des alliés pour cela. Ainsi cet exercice insolite est diffusé largement dans l’Église, tout comme dans bien des milieux artistiques, politiques ou autres qui s’en sont saisis. Dernier événement, une étape importante dans le désinvestissement des énergies fossiles : 21 organisations catholiques gérant 40 milliards de dollars se sont engagées à ne plus investir dans des entreprises liées au charbon, au pétrole et au gaz. Elles affirment dans une déclaration interconfessionnelle que « les plans de relance ne doivent pas renforcer les pollueurs ».


  • Lire ou relire l’encyclique Laudato Si’

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