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EntretienClimat

Le Giec prépare la sortie de son 6ᵉ rapport dans un climat extrême

L'œil du super typhon Maysak vu depuis la station spatiale internationale.

Depuis lundi, des représentants des 195 États et des scientifiques préparent la sortie du 6ᵉ rapport du Giec, prévue le 9 août. Alors que pluies diluviennes, températures records et mégafeux dévastent la planète, ce rapport intègre pour la première fois un chapitre sur les événements climatiques extrêmes. Le climatologue Christophe Cassou a répondu aux questions de Reporterre.

Depuis lundi 26 juillet et pour deux semaines, des représentants des 195 États membres de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) et des scientifiques sont réunis pour l’approbation du « résumé pour les décideurs » du sixième rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec). Le premier volet de ce rapport, consacré aux sciences physiques du climat, sera rendu public lundi 9 août.

Alors que les événements climatiques extrêmes se succèdent — températures records et mégafeux en Amérique du Nord et en Sibérie, pluies diluviennes et inondations en Europe, en Chine et en Inde —, « nous ne sommes pas sur la bonne voie pour atteindre l’objectif de l’Accord de Paris et limiter la hausse de la température à 1,5 °C d’ici la fin du siècle. En fait, nous sommes sur la voie opposée, nous nous dirigeons vers une augmentation de plus de 3 °C », a alerté la secrétaire exécutive de la CCNUCC, Patricia Espinosa, lors de la cérémonie d’ouverture. Le climatologue Christophe Cassou, directeur de recherche au CNRS et coauteur du sixième rapport du Giec, a accepté de répondre aux questions de Reporterre.


Reporterre – À quoi servent les rapports du Giec et comment sont-ils élaborés ?

Christophe Cassou – Le Giec a été créé en 1988. Des scientifiques, répartis en trois groupes — le premier sur les bases physiques des sciences du climat, le deuxième sur les risques et les conséquences liées au changement climatique, le troisième sur l’adaptation et l’atténuation — évaluent la littérature scientifique la plus récente sur le climat. Ils publient un rapport général tous les six ou sept ans. Le but de ce rapport est de fournir aux décideurs politiques et aux citoyens l’état des connaissances le meilleur, le plus récent, le plus précis et le plus objectif possible sur le climat.

Le 9 août sera rendu le volet du groupe 1 du sixième rapport du Giec, accompagné de son résumé pour les décideurs. Les parties des groupes 2 et 3 seront dévoilées en 2022 et le rapport de synthèse devrait sortir fin 2022 ou début 2023, si le processus ne prend pas de retard à cause de la pandémie de Covid-19. Cette publication du 9 août a une connotation particulière, puisqu’elle constituera le principal apport scientifique aux négociations internationales sur le climat qui se dérouleront lors de la COP 26, du 1ᵉʳ au 12 novembre 2021 à Glasgow (Écosse).


La session d’approbation du résumé pour les décideurs s’est ouverte lundi. En quoi consistent ces discussions et en quoi sont-elles importantes ?

Il y a trois mois environ, les auteurs du groupe 1 du rapport du Giec ont envoyé aux représentants des 195 États membres les 1 200-1 300 pages du volet 1 du rapport général ainsi qu’un résumé d’une quinzaine de pages. Sur ces 1 200-1 300 pages, les auteurs ont reçu au total plus de 75 000 commentaires, sous forme de remarques et de questions, auxquels les scientifiques ont l’obligation de répondre. Sur le résumé aux décideurs, les représentants des gouvernements ont envoyés plus de 3 000 commentaires.

La session qui s’ouvre est la dernière étape de l’élaboration du rapport. Contrairement à une idée reçue, les représentants des États membres ne rédigent pas le résumé pour les décideurs qui l’accompagne, mais font des remarques et questionnent les scientifiques qui l’ont rédigé sur le fond et sur la forme. En effet, les gouvernements tiennent à s’assurer que les conclusions du rapport du Giec sont totalement justifiées et traçables, c’est-à-dire qu’elles correspondent aux meilleures connaissances scientifiques sur le climat, évaluées à partir des publications scientifiques, et ils veulent bien les comprendre. Mais même si une formulation était modifiée suite à ce processus, la conclusion scientifique, elle, ne change pas. Les scientifiques ont le droit de refuser une modification qui changerait la nature de la conclusion scientifique, son sens et sa portée. Rien n’est écrit qui ne soit scientifiquement correct.

Tout le résumé est approuvé de cette manière, ligne par ligne. Ce processus fait la force du rapport du Giec, qui devient l’émanation commune d’une science objective et précise et de l’approbation des gouvernements de cette science-là. À sa sortie, le 9 août, il ne sera plus seulement un rapport scientifique mais le rapport des scientifiques et des représentants étatiques qui l’auront approuvé à l’unanimité. Et, de facto, il devient le rapport des citoyens.

En Allemagne, les récentes inondations meurtrières (ici à Bad Münstereifel) ont remis le changement climatique au centre des débats. Les États d’Europe et d’Amérique du Nord sont en fort attente de connaissances et d’options face à ces événements climatiques extrêmes. © Thomas Krumbein

La fuite en juin dernier d’un document interne du Giec qui prédit des conséquences dévastatrices au changement climatique bien avant 2030 est-elle de nature à modifier ce processus ou l’état d’esprit dans lequel scientifiques et représentants travaillent ? Par ailleurs, l’actualité est marquée par de nombreux événements climatiques extrêmes : inondations meurtrières en Europe, en Chine et en Inde, températures records et mégafeux en Amérique du Nord et en Sibérie… Quel est le poids de cette actualité sur les travaux du Giec ?

Je n’ai pas à me prononcer sur la fuite d’un document interne du Giec, qui n’était qu’un brouillon et n’était pas passé à travers tout le processus d’élaboration des rapports du GIEC dont on vient de parler. En revanche, il est vrai que la publication de ce rapport s’accompagne d’une succession d’événements climatiques extrêmes : canicules, sécheresses, précipitations extrêmes, etc. En Europe et en Amérique du Nord, l’attente est forte de connaissances et d’options face à ces événements climatiques extrêmes. Mais évitons d’être trop centrés sur ces régions, car le résumé et le rapport sont discutés par les 195 pays du monde entier qui sont aussi très souvent impactés par des événements extrêmes — mais dont on parle moins car ils sont loin de l’Europe.

Le sixième rapport du Giec contiendra néanmoins une nouveauté : le chapitre 11 centré précisément sur les événements climatiques extrêmes — températures extrêmes, qu’elles soient chaudes ou froides, pluies diluviennes, sécheresses, cyclones tropicaux et tempêtes de nos latitudes, feux, etc. — qui évalue les dernières connaissances scientifiques à ce sujet. On en saura plus sur les conclusions de ce chapitre dans quinze jours, à la sortie du rapport. Par contre, on ne trouvera rien sur les derniers événements climatiques extrêmes observés cet été ni dans le rapport, qui a été achevé au printemps 2021, ni dans le résumé pour les décideurs, qui est plus général.

Mais, et je parle en tant que scientifique sans mention au contenu du rapport, il faut arrêter de se demander si tous ces événements climatiques extrêmes sont liés au changement climatique. La réponse est évidemment oui. En tant que scientifique, je suis impressionné par les températures de l’ordre de 50 °C qu’a connues le Canada, mais pas surpris, car cela fait trente ans que les scientifiques alertent sur le fait que le changement climatique joue sur la fréquence, l’intensité et la durée des événements climatiques extrêmes. Nous sommes engagés dans un voyage sans retour — car nous ne pouvons revenir en arrière — en territoire inconnu — car nous n’avons jamais été confrontés à ces défis.

La question désormais est de savoir si nos sociétés sont adaptées ou non à ces événements, extrêmes, résilientes ou non ; assurément pas, semble-t-il. La question est aussi de limiter nos émissions de gaz à effet de serre pour éviter que ces événements ne deviennent encore plus intenses et plus récurrents. Il y a trente ans, les scientifiques prévoyaient qu’on rentrerait dans le dur à la fin de la décennie 2010 ou au début de la décennie 2020. Aujourd’hui, on y est ; et si l’on continue à émettre des gaz à effet de serre au rythme actuel, on va dans le mur, parce que les événements actuels ne sont qu’un petit avant-goût de ce qui risque d’arriver.

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