Le changement climatique pourrait étouffer la vie dans les lacs

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Eau et rivières ClimatUne étude révèle que les niveaux d’oxygène des lacs baissent à une vitesse rapide. Ce phénomène, causé par le réchauffement du climat, menace les espèces d’eau douce et les réserves d’eau potable tandis que les proliférations d’algues toxiques risquent de se multiplier.
Anguilles, grenouilles, carpes, libellules et tritons… Bien qu’ils n’occupent que 3 % de la surface terrestre, les lacs font partie des endroits les plus riches en biodiversité de la planète. Ces écosystèmes sensibles sont aujourd’hui menacés par le bouleversement climatique, comme le révèle une étude publiée dans la revue Nature le 2 juin. En quarante ans, les niveaux d’oxygène des lacs situés dans les régions tempérées ont diminué à une vitesse trois à neuf fois plus rapide que celle observée dans les océans. Ce déséquilibre peut avoir de graves conséquences pour les espèces d’eau douce, le climat et la qualité de l’eau.
L’équipe de chercheurs internationaux du Global Lake Ecological Observatory Network (Gleon) a étudié plus de 45 000 échantillons d’eau issus de 400 lacs situés principalement en Europe et en Amérique du Nord. Les résultats de leurs analyses sont préoccupants : depuis 1980, les niveaux d’oxygène des lacs étudiés ont en moyenne baissé de 5,5 % dans les eaux de surface et de 18,6 % dans les eaux profondes. La raison ? L’augmentation des températures moyennes à la surface du globe, diminuant la capacité d’absorption de l’oxygène par les lacs.

« La capacité de rétention de l’oxygène par l’eau dépend de sa température, explique à Reporterre Stephen Jane, l’un des principaux auteurs de cette étude. Plus l’eau est chaude, moins elle peut en absorber. Parce qu’elles se réchauffent, les eaux de surface des lacs peuvent absorber moins d’oxygène qu’auparavant. » Depuis 1980, la température moyenne des eaux de surface des lacs a augmenté de 0,38 °C par décennie. Leur concentration en oxygène a simultanément diminué de 0,11 mg/l tous les dix ans.
Un mécanisme différent explique la perte d’oxygène des eaux profondes. En temps normal, les différents plans d’eau des lacs se mélangent vers la fin de l’automne : en se refroidissant, les eaux de surface deviennent plus denses. Elles plongent alors vers les profondeurs du lac, charriant avec elles de l’oxygène. L’augmentation des températures entrave ce phénomène naturel. Les eaux de surface, plus chaudes, ont tendance à moins se mélanger avec les autres strates du lac, rendant plus difficile le renouvellement en oxygène des eaux profondes.
« Si le niveau d’oxygène baisse trop, les lacs peuvent devenir des habitats inappropriés [pour de nombreux êtres vivants] »
Deux tiers des 400 lacs étudiés par l’équipe de chercheurs ont ainsi vu leurs niveaux d’oxygène baisser au cours des quarante dernières années, indique à Reporterre Kevin Rose, professeur au Rensselaer Polytechnic Institute et co-auteur de cette étude. Si cette tendance se poursuit, les conséquences pourraient être très sérieuses. « Beaucoup d’organismes ont besoin d’eau hautement oxygénée, dit Stephen Jane. Si le niveau d’oxygène baisse trop, les lacs peuvent devenir des habitats inappropriés pour les saumons, les truites et beaucoup d’autres créatures. » Ce phénomène est d’autant plus inquiétant que les écosystèmes lacustres font déjà partie des plus menacés au monde : selon un rapport du WWF, les populations d’espèces d’eau douce ont baissé de 83 % depuis 1970.
La baisse du niveau moyen d’oxygène bouleverse également la chimie des lacs. « Lorsque l’eau devient anoxique, certains nutriments, comme le phosphore, sont libérés par les sédiments, ce qui peut fertiliser le système et générer des proliférations d’algues toxiques », explique Stephen Jane. Le chercheur craint particulièrement que la modification de l’équilibre chimique des lacs ne soit favorable aux cyanobactéries. Ces microorganismes peuvent produire des toxines dangereuses pour les humains et les animaux et rendre l’eau impropre à la consommation. En août 2014, 400 000 personnes avaient ainsi été privées d’eau potable à Toledo, aux États-Unis, en raison de leur prolifération. À long terme, la désoxygénation des lacs pourrait donc réduire la quantité d’eau potable disponible sur terre.

Autre risque, et non des moindres : l’émission dans l’atmosphère de méthane, un puissant gaz à effet de serre. « Les eaux anoxiques sont propices aux bactéries qui le produisent, précise Stephen Jane. Le méthane peut ensuite être libéré dans l’atmosphère à la fin de l’automne, lorsque les eaux du lac se mélangent. »
Le chercheur craint que nous n’assistions aujourd’hui à un bouleversement « total » des écosystèmes lacustres. « Nous avons désormais des preuves que les changements atmosphériques affectent d’ores et déjà ces écosystèmes. C’est en cela que ces résultats sont préoccupants. »
Au niveau local, Stephen Jane recommande de limiter autant que possible la quantité de nutriments liés aux activités humaines (notamment agricoles) déversée dans les lacs. Ces derniers favorisent en effet la prolifération de cyanobactéries. Ces mesures doivent être couplées à une réduction drastique de nos émissions de gaz à effet de serre. Si rien n’est fait pour atténuer le dérèglement du climat, les conséquences de la désoxygénation des lacs pourraient s’aggraver encore davantage. « Les changements que nous observons risquent de devenir de plus en plus importants à mesure que nous avançons, à moins que les choses ne changent. »