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EnquêteClimat

Le low-cost, rêve du transport aérien, cauchemar de la planète

Le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, où se tient ce week-end un rassemblement festif d’opposants, repose sur l’espoir que le trafic aérien croîtra sans limites. Mais rien n’est moins sûr. Entre dégâts écologiques et subventions cachées, le low-cost pourrait avoir son avenir derrière lui.

Si la science économique a pu démontrer une chose, c’est sa totale incapacité à prévoir l’avenir. Et pourtant. «  Malgré la crise économique actuelle, le transport aérien devrait augmenter d’environ 5 % par an jusqu’en 2030  », avance la Commission européenne sur son site internet. Principal moteur de l’envolée annoncée, le succès des compagnies low-cost. Les chiffres de la décennie passée ont en effet de quoi rendre le secteur optimiste. En 2015, Ryanair a vu son nombre de passagers augmenter de 17 %. Sa concurrente EasyJet, de 6,9 %. Et ce ne serait que le début.

Comment arriver à une telle affirmation  ? «  D’après les statistiques, 1 point de croissance du PIB mondial représente 1,5 point de hausse du trafic aérien. Les prévisions les plus basses tablant sur une croissance de l’économie mondiale de 3 % par an, le trafic aérien devrait bien encore doubler sur les quinze prochaines années  », calculait le journal Les Échos en 2013.

Plus précisément, le modèle économique qui a permis aux compagnies low-cost d’afficher une progression très supérieure à celle de leurs homologues classiques, et donc de doper le trafic aérien, repose sur deux piliers : la baisse des coûts et, moins connu, la transformation de certains d’entre eux en bénéfices supplémentaires. La méthode utilisée pour baisser les coûts d’exploitation est bien connue des passagers : augmentation du nombre de sièges (quelques dizaines de plus), facturation de nombreux services et des bagages en soute, et recours à des aéroports secondaires, donc moins chers pour la compagnie.

Ce a quoi il convient d’ajouter une forte pression sur les conditions de travail des employés : «  La martingale de French Blue consistera à réduire les coûts au maximum. Principalement, les frais de personnel  », écrivait ainsi Le Monde dans un article consacré à cette nouvelle compagnie aérienne lancée en mars 2016. On se souviendra aussi de la condamnation du phare du low-cost européen, la compagnie irlandaise Ryanair, en octobre 2013, par le tribunal d’Aix-en-Provence. Plus de 8 millions d’euros de dommages et intérêts avaient dû être versés pour travail dissimulé et d’autres infractions au code du travail. La compagnie s’était en effet arrogé le droit de faire travailler 127 salariés de sa base de Marignane (Bouches-du-Rhône) sous contrat irlandais, évitant ainsi de payer les cotisations sociales en France. Aujourd’hui, les compagnies à bas coût opèrent une mue en chassant sur les terres des grandes compagnies nationales : aéroports internationaux et longs courriers. Les conséquences sociales pourraient être très lourdes.

Les contribuables compensent avec leurs impôts 

Mais surtout, la grande astuce des compagnies low-cost réside dans leur mise à profit des aéroports de petite ou de moyenne taille. Non seulement ceux-ci sont moins chers (parking, atterrissage, etc.), mais les collectivités locales sont parfois prêtes à leur octroyer de généreuses largesses… au nom du développement du territoire. Les bas prix affichés ne le sont en réalité que parce que les contribuables compensent en partie, avec leurs impôts. La très orthodoxe Cour des comptes était intervenue dans le débat, en 2008, dénonçant dans un rapport [1] les dérives les plus flagrantes de ce système.

Un avion de la compagnie low-cost EasyJet sur la piste de l’aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle (Val-d’Oise).

Les subventions s’élèvent parfois à plusieurs millions d’euros. Pour Ryanair, à Beauvais, le chiffre se serait élevé à 7,4 millions d’euros. Certaines aides sont versées directement aux compagnies  ; d’autres, plus subtilement, par les gestionnaires des aéroports, directement (comme pour l’ouverture d’une ligne), ou indirectement. La Cour note ainsi que «  sur de nombreux aéroports, la gratuité ou les réductions de tarif consenties sur les prestations, non réglementées, d’assistance en escale contribuent aux déficits d’exploitation. À Beauvais-Tillé par exemple, le centre de coût “ assistance aéroportuaire ” était largement déficitaire, de plus de 1,3 million d’euros en 2004 et 2005, en grande partie du fait d’avantages consentis à une compagnie  », en l’occurrence Ryanair. Les collectivités locales vont parfois jusqu’à mettre la main au pot pour aider les gestionnaires à financer «  les actions de promotion menées par les compagnies à bas coût, ou lancées pour attirer ces dernières  » (p. 22 du rapport). Ainsi, 200 .000 euros d’argent public ont été dépensés pour l’aéroport de Reims-Champagne et 450 .000 euros pour Grenoble-Isère (ces chiffres datent du rapport de 2008).

Le déséquilibre ne s’arrête pas là, car les compagnies profitent souvent de «  dispositions contractuelles de désistement fort peu contraignantes  », toujours selon la Cour des comptes. Interruption de dessertes (Poitiers-Biard, Clermont-Ferrand-Auvergne, Dijon-Longvic, Caen-Carpiquet, Reims-Champagne et Deauville-Saint-Gatien), ou fréquence revue à la baisse (Rodez-Marcillac), retrait unilatéral, les compagnies s’octroient certains droits, en dépit des aides déjà touchées. Faute de revenus raisonnables, les gestionnaires d’aéroports décentralisés connaissent une situation de déficit chronique.

L’angle mort des analystes 

Ces facteurs rendent les chiffres de croissance du trafic aérien annoncés pour le moins sujets à caution. Si une nouvelle crise ne vient pas frapper l’économie mondiale, si les prix du pétrole n’augmentent pas de manière trop importante, ils pourraient certes bien se réaliser… à condition que la politique et le climat n’en viennent pas à bout. Car c’est bien là l’angle mort des analystes : les hypothèses de calcul pourraient se résumer à l’affirmation suivante : «  Tout ira bien dans le meilleur des mondes.  » Sauf que les peuples pourraient bien finir, d’ici à 2050, par siffler la fin de la récréation néolibérale, privant les compagnies low-cost d’un des piliers de leur modèle économique : le dumping social  ; qu’une crise écologique majeure est en cours, et que l’idée de faire un Paris-Nantes en avion finira peut-être par sembler une gabegie (on apprend en effet, à la faveur de journaux d’écoliers ayant visité « gracieusement » l’aéroport, que les quatre premières destinations au départ de Nantes-Atlantique sont Paris, Lyon, Marseille et Toulouse  ! [2]. L’aéroport de Nantes-Atlantique serait-il toujours saturé, et le projet de Notre-Dame-des-Landes jugé nécessaire, sans ces liaisons aisément remplaçables par le train  ?

L’aéroport de Bodeaux-Mérignac.

Dans l’Union européenne, 44 % du transport aérien de passagers se réalise à l’intérieur de l’EU-28. Les vols domestiques représentent 18 % du total. Résultat, «  d’ici à 2020, les émissions mondiales du secteur de l’aviation devraient être supérieures de 70 % à celles de 2005, malgré les progrès réalisés en matière de consommation de carburant (2 % par an). Les statistiques de l’Icao [Organisation internationale de l’aviation civile] montrent qu’elles devraient augmenter de 300 % à 700 % d’ici à 2050  », énonce la Commission européenne. Rien n’assure non plus que l’aérien continuera d’être le seul mode de transport public exempté de taxe sur le carburant. «  Le préfet de l’Oise considère que le rapport de la Cour des comptes devrait intégrer le fait que la viabilité de la compagnie low-cost Ryanair, principal opérateur sur l’aéroport de Beauvais-Tillé, est susceptible d’être impactée par la hausse du coût du carburant  », avertissait celui-ci dans les annexes de ce rapport.

Trop dépendantes du modèle de société dans lequel elle s’inscrivent, ces prévisions risquent de s’avérer radicalement fausses au moindre accroc dans le scénario modèle des experts. L’affirmation de la Commission européenne, selon laquelle «  la croissance a besoin du commerce, et le commerce a besoin de transports  », ici aérien, se révèle donc être un peu faible. Mais son intérêt ne réside peut-être pas tant dans leur incapacité à dire de quoi sera fait l’avenir, sinon à justifier la politique du court terme d’aujourd’hui. Réaliser des bénéfices immédiats, en empochant les subventions massives que l’on octroie pour faire croire au miracle ; justifier la construction d’infrastructures nouvelles, pour le bonheur des bétonneurs du jour. Peu importe si, finalement, le low-cost n’existe plus dans trente ans : après nous, le déluge.

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