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ReportageGrands projets inutiles

Le mirage EuropaCity fait rêver un territoire frappé par le chômage

Le projet de centre commercial et de loisirs géant porté par Auchan au nord de Paris a connu sa première réunion publique jeudi 17 mars. Dans une salle comble, les débats ont été vifs entre opposants et partisans du projet.

-  Gonesse (Val-d’Oise), reportage

20 h, jeudi 17 mars, la salle des fêtes de Gonesse est comble. La première réunion publique autour du projet d’EuropaCity rameute les foules. Venus de tout le Val-d’Oise, de Seine-Saint-Denis et d’ailleurs, plusieurs centaines de Franciliens se pressent entre les rangées de sièges rouges. Les retardataires s’adossent aux murs, attentifs.

À l’entrée, une maquette interactive présente le futur centre de loisirs. Des habitants observent s’illuminer le « parc des neiges », puis la zone commerciale, la ferme urbaine, le parc d’attraction. Un homme en costume distribue l’imposant dossier du maître d’ouvrage, Alliages et territoires, entreprise rattachée au groupe Auchan.

Car, si le débat public est organisé et chapeauté par la Commission nationale du débat public (CNDP), c’est le porteur du projet qui avance les frais. Une pratique qui ne remet pas en cause « la neutralité, l’indépendance et l’impartialité » de la CNDP, affirme son président, Christian Leyrit.

Du 15 mars au 30 juin, les citoyens sont ainsi appelés à s’informer et à discuter d’EuropaCity, sous la houlette d’une équipe de cinq commissaires dirigée par Claude Brevan. À l’ordre du jour de cette première rencontre : les modalités du débat et le fond du projet.

Argumentaires bien rodés 

Attention, prévient Claude Brevan, « le débat public porte avant tout sur l’opportunité du projet ». Autrement dit, il ne faut pas partir du fait que le projet est acquis et figé. La question essentielle est donc : faut-il faire ce projet-là à cet endroit-là ? Pourtant, à la tribune, le maire de Gonesse et le préfet du Val-d’Oise se succèdent pour exposer brièvement tout le bien qu’ils pensent du complexe commercial. Et, lorsqu’il présente avec force diapositives colorées le futur parc, Christophe Dalstein, le directeur d’EuropaCity, peine à utiliser le conditionnel : « Ce lieu sera… euh, serait, librement accessible à tous, créateur d’emplois et écoresponsable. » Dans la salle, certains rigolent : « Quand on a le Premier ministre et le ministre de l’Économie comme VRP, on voit l’avenir en rose ! » Le projet a effectivement reçu le soutien de l’exécutif.

Christian Leyrit et Claude Brevan, de la Commission nationale du débat public.

Quand la parole vient à la salle, une petite forêt de mains se lève. Les opposants à EuropaCity sont venus en nombre, avec des argumentaires bien rodés. Membres du Collectif pour le triangle de Gonesse, de Terre de liens ou d’autres associations locales, tous portent le même message : « Nous ne voulons pas de ce projet, inutile et nuisible. »

Premier argument, l’artificialisation de terres à grande valeur agronomique. Un habitant de Gonesse parle ainsi « d’un patrimoine local », tandis qu’un membre de France nature environnement (FNE) insiste : « Ce sont parmi les derniers champs en bordure de la capitale, qui importe déjà plus de 90 % de sa nourriture… c’est un couloir vert essentiel ! » Non seulement le projet d’EuropaCity s’étend sur 80 hectares de champs, mais il s’intègre dans une zone d’aménagement commercial, la ZAC du triangle de Gonesse, d’une emprise d’environ 240 ha. Ainsi, sur les quelque 700 ha d’espaces non urbanisés que comptent actuellement le site, seuls 400 ha seront préservés, comme l’impose le schéma directeur de la région (Sdrif). Cet enjeu essentiel devrait être abordé lors d’ateliers consacrés à l’environnement.

Christophe Dalstein, le directeur d’EuropaCity.

Autre point soulevé par les opposants : la question du travail. Si le maître d’ouvrage promet la création de 11.800 emplois directs, beaucoup dans la salle laissent pointer leur scepticisme. Comme Vincent, au sujet de la crédibilité des chiffres avancés : « Qui dit nouveau centre commercial dit destruction d’emplois ailleurs, dans les autres centres ou les petits commerces. » Ou sur l’adéquation entre demande et offre. Un Sarcellois s’interroge ainsi : « Pour travailler dans un complexe touristique, il faut être polyglotte, mais chez nous, qui parle plusieurs langues à part l’arabe ou le bambara ? » Et de conclure : « Ce n’est qu’un énième centre commercial dans une zone déjà saturée en zones commerciales. »

Une « bouffée d’air frais » 

Pendant deux heures, les prises de parole s’enchaînent. Debout contre le mur, Pierre prend enfin le micro : « J’habite Gonesse, pour moi c’est un bon projet, et je trouve dommage que seuls les opposants s’expriment. » Une courte intervention accueillie par une salve d’applaudissements. D’autres jeunes lèvent la main pour intervenir. Tel Raphaël, qui se dit « totalement favorable à EuropaCity, car nous n’aurons plus à louer des bus pour aller au musée ! » Ou ce Beauvillésois, qui espère « voir se transformer le territoire de Villiers-le-Bel, très stigmatisé depuis les émeutes de 2005 ».

La carte de la ZAC du triangle de Gonesse.

À deux pas de l’ancienne usine PSA d’Aulnay-sous-bois, ces villes de l’est du Val-d’Oise comptent en effet parmi les zones défavorisées, mal desservies et frappées d’un chômage endémique. Pour beaucoup, EuropaCity apporterait une « bouffée d’air frais », comme l’explique Benjamin, lycéen gonessien : « Ce projet nous propose tout ce que l’on veut, des loisirs et de la culture… les opposants ne sont pas d’ici, ils ne sont pas concernés par le projet ! »

Pourtant, s’il se fait, le complexe d’Auchan aura bel et bien des effets au niveau national. Avec plus de trente millions de visiteurs attendus dont six millions de touristes, EuropaCity n’a rien d’un projet d’aménagement purement local. D’autant plus qu’il s’intègre dans un mouvement d’urbanisation plus large, avec une gare, une ligne de métro et un raccordement au RER.

Un Gonessien.

Dans la salle des fêtes de Gonesse, il est 23 h. Les rangs commencent à se dégarnir, mais le débat se poursuit, vif. « Nous allons avoir un Disney géant, un parc des expositions comme celui de Villepinte et un gigantesque centre commercial », estime Karim. « Est-ce ce modèle de développement, cette société que nous voulons pour notre région ? »


-  Retrouvez les dates des réunions publiques et des ateliers sur le site de la CNDP.

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