Les Insoumis, amers contre les Verts

Dans les allées des Amfis (2023), les campagnes en solitaire de leurs alliés laissent les insoumis amers. - © Moran Kerinec / Reporterre
Dans les allées des Amfis (2023), les campagnes en solitaire de leurs alliés laissent les insoumis amers. - © Moran Kerinec / Reporterre
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PolitiqueAux universités d’été de La France insoumise, les débats sur le futur de la Nupes ont tourné au dialogue de sourds. Les élues écologistes présentes y ont été huées à cause de la candidature unique des Verts aux Européennes.
Châteauneuf-sur-Isère (Drôme), reportage
« Unité ! Unité ! Unité ! » Face aux huées, Marie Toussaint est restée de marbre. « On discute ou pas ? Je peux vous parler ou pas ? », a-t-elle demandé à la salle comble et belliqueuse. Venue participer au débat « La Nupes peut-elle dépasser ses différences sur les questions européennes ? » lors des universités d’été de La France insoumise – les « Amfis » — près de Valence, l’eurodéputée écologiste a été accueillie par un tollé. Les Insoumis, favorables à une alliance de la gauche, ne lui pardonnent pas de mener sans eux la liste écologiste aux élections européennes de 2024.
À peine une heure plus tard, c’est Sandrine Rousseau qui était la cible de sifflets à la conférence « Un nouveau souffle pour la Nupes ! » Pourtant partisane d’une candidature commune, la députée a tenté d’expliquer son absence : « La Nupes s’est faite dans un moment rapide et a laissé sur son chemin des deuils de militants qui auraient aimé faire les choses différemment sur leurs territoires. » Surtout, la « domination » de Jean-Luc Mélenchon et de La France insoumise (LFI) sur la Nupes « n’a pas été réinterrogée dans le processus post-législatif ». L’écologiste l’admet : « Nous avons tous fait des erreurs et il faut le reconnaître pour ne pas se faire cornériser dans des espaces où il n’y a que rancœur. C’est une forme de rééquilibrage au sein de la Nupes. » L’analyse provoque une bronca. « Honte à vous ! » lance une militante insoumise. « Continuez de me siffler et je rentre chez moi et on dira que personne ne peut débattre avec les insoumis, même Sandrine Rousseau », réplique l’élue.

Dans les allées des Amfis, les campagnes en solitaire de leurs alliés laissent les insoumis amers. « Ils ont la mémoire courte. On les a aidés lors des législatives et ils nous abandonnent dès qu’ils n’ont plus besoin de nous », grince Alice, militante dans le Puy-de-Dôme. Samia de Valence regrette un calcul politique erroné : « Les écologistes et les communistes pensent qu’ils vont avoir plus de mandats en partant seuls aux élections. Ils ont tort, l’union fait la force si on veut représenter un bloc face au Rassemblement national. D’autant qu’avec EELV, on est déjà très proches sur beaucoup de thématiques. »
Tous les partisans de l’union dressent le même diagnostic : un départ divisé aux prochains scrutins poserait la première pierre du chemin de Marine Le Pen vers l’Élysée. « On aura l’air malin quand on aura réussi à capter quatre ou cinq sièges de député [à Bruxelles] alors que Marine Le Pen se prépare à prendre le pouvoir de la deuxième économie européenne », alerte Ali Rabeh, maire Génération.s de Trappes, dans les Yvelines. L’édile se dit « en colère contre nous, collectivement, dans toutes les formations », fustige le « spectacle déplorable » des dirigeants politiques qui s’interpellent sur X (anciennement Twitter), allusion directe aux échanges vifs entre Olivier Faure et Jean-Luc Mélenchon, et met en garde ses « camarades écologistes » qu’ils « prennent une responsabilité lourde devant l’histoire, qui va entraîner fatalement notre division à l’élection présidentielle ».
« L’union fait la force face au Rassemblement national »
Certains craignent que ces divisions ne profitent à la majorité présidentielle et à l’extrême droite, qui tentent d’imprimer sur la Nupes, et plus particulièrement La France insoumise, l’image d’un parti hors des clous de l’arc républicain. Si l’édition 2022 avait attiré trois ministres en exercice — Olivia Grégoire, Marlène Schiappa et Clément Beaune — aucun membre du gouvernement ni député Renaissance n’est venue débattre à Valence cette année. « La petite musique est devenue un concert généralisé qui trace un trait d’égalité entre extrême gauche et extrême droite, voire que l’extrême gauche est pire », observe François Ruffin. Pour le député de la Somme, la mise au ban les guette : « La diabolisation, si on a ça sur le dos, on en prend pour vingt ans. »
« Il faut considérer la douceur comme une force politique »
Faut-il changer de style pour convaincre ses partenaires et désamorcer les attaques adverses ? « Pour donner confiance, il faut rassurer. Dire que notre projet n’est pas radical mais de bon sens », assure François Ruffin. Pour y parvenir, le Picard veut mettre en lumière le travail de terrain des élus Nupes. De passage aux Journées d’été des écologistes au Havre, il a échangé avec la maire Europe Écologie-Les Verts (EELV) de Poitiers, Léonore Moncond’huy, et vante son dispositif de vacances à 10 euros pour les enfants précaires. Soit : des actes plutôt que du fracas. « Vous allez dire : “Il est gonflé le mec” », badine François Ruffin, qui a habitué l’Assemblée nationale à des coups d’éclat lors de son premier mandat.
Sur la scène de l’amphithéâtre Louise Michel, Marie Toussaint se place sur la même ligne : « Ajouter du tumulte au tumulte, ça ne nous permettra pas de nous dépasser. Il faut considérer la douceur comme une force politique. On ne deviendra jamais majoritaire sans la douceur. » Manon Aubry n’est pas convaincue. « Il ne faut pas tomber dans cette crainte de brusquer, parce que la réalité sociale est brusque en France, soutient l’ancienne porte-parole d’Oxfam, pour qui répondre sur le fond est suffisant. Notre boussole doit rester la même : parler des préoccupations quotidiennes. Quand la majorité présidentielle nous traite d’antirépublicains, nous sommes ceux qui défendent la gratuité des fournitures scolaires et le blocage des prix de l’essence. »

Pourtant, LFI pâtit également de l’image du leader insoumis. L’assistante d’une parlementaire dans un territoire rural l’assure : « Dès que je dis que je travaille pour La France insoumise, il y a un effet de rejet vis-à-vis de Jean-Luc Mélenchon. Je me retrouve à devoir le défendre alors que je veux parler du travail de ma députée ! » Manon Aubry balaie : « Si c’était quelqu’un d’autre, il serait attaqué de la même manière. » L’eurodéputée déroule l’exemple de Yolanda Díaz, ministre du Travail espagnol et cheffe de file du mouvement de gauche Sumar, accueillie aux Amfis : « Lorsqu’elle était candidate, les médias racontaient du matin au soir qu’elle était une communiste qui allait détruire le monde du travail. On voit ces méthodes dans tous les pays où la gauche est en position de renverser la table. La meilleure stratégie pour sortir de cette cornérisation, c’est l’unité. » Reste à la façonner sous les huées.