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ReportageEau et rivières

Les Marseillais se mobilisent pour nettoyer leurs plages

Des Marseillais ramassant les déchets échoués sur une plage, après les fortes pluies du 3 octobre 2021.

Sur les plages marseillaises, des centaines de bénévoles se relaient pour ramasser les tonnes de déchets rejetés sur les plages après les fortes pluies. Celles-ci sont survenues en pleine grève des éboueurs. Métropole et Mairie, elles, se rejettent la responsabilité du blocage du ramassage.

Marseille (Bouches-du-Rhône), reportage

Après la grève, la pluie, voilà le mistral. Sur la plage de l’Huveaune, au bout de l’avenue du Prado, des dizaines de Marseillais pliés en deux face au vent ramassent les milliers de déchets accumulés sur les plages depuis le début de semaine. Dans la nuit du dimanche 3 octobre, il a plu en quelques heures l’équivalent de deux mois de précipitations. L’Huveaune, le fleuve qui se jette ici, est sorti de son lit, emportant sur son passage des tonnes de déchets qui ont fini leur course dans la mer Méditerranée. Un événement climatique exceptionnel, intervenu en pleine grève des éboueurs.

Depuis le 24 septembre, les éboueurs des quatre-vingt-douze communes de la métropole Aix-Marseille-Provence sont en grève. Ils dénoncent l’annonce par la Métropole de sa volonté d’appliquer la loi de transformation de la fonction publique votée en 2019, qui impose l’application des 35 heures au 1er janvier 2022 pour tous les fonctionnaires. Après un accord trouvé entre la Métropole et Force ouvrière/FSU le 1er octobre dernier, les Marseillais pensaient la grève terminée. Sauf que les syndicats CGT et UNSA, mécontents d’avoir été écartés des négociations, maintenaient l’appel à la grève. Une semaine après, force est de constater que les trottoirs de Marseille débordent toujours d’ordures. Devant un tel chaos, la préfecture de police des Bouches-du-Rhône a ordonné mercredi soir la réquisition du personnel pour une durée de trois jours afin de nettoyer les rues.

Toujours est-il que ces milliers de sacs-poubelle non ramassés se sont ajoutés aux déchets habituels rejetés lors de chaque nouvel épisode de pluie. La quantité de déchets amoncelés sur les plages est inédite. Sur les réseaux sociaux, les photos de milliers de canettes, bouteilles et autres rejets sur les plages ont marqué les esprits.

« Ça a été viscéral, je devais faire quelque chose »

Face à ces images, ils ont été nombreux à répondre à l’appel de l’association 1 Déchet par jour ce mercredi soir. Le matin même, plusieurs centaines de personnes avaient ramassé le plus gros des ordures avec l’association Clean My Calanques. Désormais, ce sont les déchets les plus petits qui doivent être récoltés : papiers de bonbons, touillettes à café, masques, gobelets en plastique. Chaque nouvelle vague charrie son lot d’ordures dans un ballet incessant.

« Quand j’ai vu les photos des déchets sur les plages, ça a été viscéral, je devais faire quelque chose. Je ne suis pas particulièrement engagée sur les questions d’écologie, mais j’ai une relation particulière à la mer ; c’est notre ressource et il faut qu’on en prenne soin », raconte Camille, venue du 6e arrondissement voisin, jean et baskets trempés après une heure et demie de collecte. Et d’ajouter : « Je fais ma part, c’est un devoir qu’on a tous. Ça fait un peu neuneu de le dire, mais c’est vrai. »

Ramassage de déchets sur la plage de l’Huveaune, à Marseille. © Marius Rivière/Reporterre

« C’est l’occasion de faire quelque chose », complète Thibaut, arrivé lui aussi après avoir vu les images tourner sur les réseaux sociaux. Il nage trois fois par semaine en mer et a l’habitude de ramener des déchets lors de ces balades. Au-delà de la grève des éboueurs, il pointe « une ville tellement bétonnée, forcément plus imperméable qu’ailleurs » et le « je-m’en-foutisme des Marseillais ». « C’est toujours pareil, quand on a du temps et de l’argent, on n’a plus le temps de se préoccuper de ces questions-là. »

« C’est pour nous qu’on fait ça, pour les poissons qu’on mange, pour la mer dans laquelle on se baigne », dit de son côté Sébastien, salarié d’une association chargée de sensibiliser les entreprises à la protection de l’environnement. Lui aussi attire l’attention sur le comportement des habitants de la ville : « On est à la fois les superhéros et les bons couillons, parce que la plupart des gens s’en foutent. On ne leur demande pas de se mettre au vrac et de produire zéro déchet, mais a minima d’essayer de trier, de réduire un peu leurs ordures. »

Déchets ramassés sur la plage de l’Huveaune, à Marseille. © Marius Rivière/Reporterre

Manque de réponse politique

Certains préfèrent se focaliser sur le positif. « Ça nous a soulagés de voir autant de gens mobilisés. Nous, c’est “normal” qu’on soit là, c’est notre combat, mais les citoyens qui sont présents ont pris de leur temps pour nous aider, ça fait du bien », précise Élise, bénévole pour 1 Déchet par jour. Elle reste toutefois lucide quant à la gravité de la situation : « On est dans un véritable état d’urgence, la grève et la pluie combinées ont créé une situation catastrophique. En bas de chez moi, des riverains ont mis le feu aux poubelles. Les flammes ne brûlent souvent que les sacs, ce qui répand un peu plus les déchets. » « Ce n’est malheureusement que la partie émergée du problème. Cette pollution exceptionnelle vient s’ajouter aux 230 000 tonnes de déchets plastiques déversés en Méditerranée chaque année et se conjugue avec les autres menaces — surpêche, braconnage, destruction du milieu, etc. — qui condamnent la biodiversité », a rappelé Sea Shepherd dans une publication Facebook.

Pendant ce temps-là, Métropole et Mairie s’invectivent par articles de presse interposés pour dénoncer leurs responsabilités respectives dans le ramassage des ordures. Mercredi 6 octobre, Benoît Payan, maire (PS) de la ville, a annoncé avoir écrit à Emmanuel Macron pour demander à ce que la Municipalité retrouve « sa souveraineté ». Lors d’un conseil de territoire, les élus du Printemps marseillais (coalition de gauche élue à la tête de la municipalité) ont quitté l’hémicycle. Au-delà du coup de communication, la Mairie réclame le retour des compétences de proximité (voirie, propreté, transports) cédées à la Métropole. En réponse, Martine Vassal (LR), présidente de la Métropole Aix-Marseille-Provence et du Département des Bouches-du-Rhône, a accusé « le maire de Marseille de faire son peuchère, mais ça fait des mois que je lui ai promis de lui redonner ces compétences ». Lors de sa venue à Marseille le mois dernier, le président de la République a conditionné l’octroi d’aides financières de l’État à une entente entre les deux institutions. Il est à nouveau attendu la semaine prochaine. Nul doute qu’il sera servi.

Sur la plage de l’Huveaune, les Marseillais mobilisés pèsent un à un leurs sacs. Bilan de l’opération : 257 kilos de déchets ramassés en une heure et demie. Pas mal pour de « simples » citoyens.

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