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Climat

Les activités humaines dérèglent le cycle planétaire de l’eau

Pour la première fois, une étude démontre que les variations saisonnières dans les réservoirs d’eau de la planète dépendent en majorité des activités humaines. Le cycle naturel de l’eau — évaporation, condensation, précipitation, écoulement et retour à l’océan, avec ses pauses pour emplir des lacs et réservoirs — s’en trouve perturbé à une échelle inédite.

L’humanité est une force géologique. Par ses activités, elle est capable de modifier des équilibres naturels si vastes qu’il est aisé de nier la possibilité même qu’une telle influence existe. Une équipe de chercheurs de l’Université de Stanford vient pourtant de démontrer dans une étude parue dans Nature que l’influence humaine est omniprésente, et à des échelles globales. Cette étude, la plus vaste menée jusque-là, permet de constater une différence importante entre la variabilité annuelle du niveau des lacs naturels et ceux gérés humainement.

Mesurer la profondeur d’un seul lac n’est pas chose aisée. Alors, comment procéder pour mesurer la profondeur de tous les lacs du globe en même temps ? Pour mesurer la hauteur d’eau de milliers de lacs et réservoirs, les chercheurs de l’Université de Stanford se sont appuyés sur le satellite ICESat-2 de la NASA, lancé en 2018. Ce satellite est équipé d’un altimètre laser, un instrument qui lui permet d’évaluer précisément sa distance par rapport au sol, et donc de mesurer les variations d’altitude des glaciers, des banquises ou des étendues d’eau. C’est de cette façon qu’il a été possible d’observer les variations saisonnières de 227.386 lacs et bassins naturels ou artificialisés pendant près de deux ans, avec une moyenne de 3.3 observations par bassin sur une période de 22 mois.

Vue d’artiste du satellite ICESat-2.

Pour les lacs naturels, la variation saisonnière est en moyenne de 0,22 mètre, alors que dans les lacs artificiels, elle est près de 0,86 mètre, presque quatre fois plus importante. Cet écart s’explique par l’utilisation humaine de l’eau pour la production d’hydroélectricité ou l’irrigation des cultures qui mobilisent des quantités considérables d’eau.

Tous réservoirs confondus, les scientifiques ont évalué la variabilité saisonnière à un volume de 3.496 km³, près de quarante fois celui du lac Léman ! Sur l’ensemble de ces estimations, 57 % de la variabilité comptabilisée dépend directement des bassins artificialisés, qui ne représentent pourtant que 3,9 % des 227.386 bassins considérés. Dans certaines régions comme la Californie, la variabilité saisonnière des stocks d’eau dépend même à 100 % des humains. Ces chiffres démontrent que la majorité de la variabilité saisonnière mondiale ne dépend que d’une minorité de lacs artificialisés, avec des conséquences importantes pour les écosystèmes en aval de ces bassins.

Artificialisation du cycle de l’eau

« Du fait de l’anthropisation, le stockage de l’eau, dans les lacs et dans les sols est désormais majoritairement d’origine humaine », explique à Reporterre Florence Habets, chercheuse CNRS du laboratoire de géologie de l’École normale supérieure. Selon elle : « Le débit des cours d’eau dépendant de ces lacs artificiels va être modifié. Cela pose des problèmes pour les écosystèmes qui dépendent de ces rivières. »

Le barrage de Fort Peck, sur la rivière Missouri, dans le Montana, aux États-Unis, en 1994.

Le pompage des eaux souterraines joue aussi un rôle très important dans la gestion de cette ressource. « Dans certaines régions très irriguées, comme le nord de l’Inde, cette extraction se voit elle aussi depuis l’espace grâce à la gravimétrie », selon Agnès Ducharne, chercheuse au laboratoire Metis (Milieux environnementaux, transferts et interactions dans les hydrosystèmes et les sols) de l’Université de Paris. La gestion de l’eau douce par l’humanité a même un effet sur la hausse du niveau des mers, dit Florence Habets : « La création des lacs artificiels a réduit sensiblement la hausse du niveau des océans. En revanche, avec le pompage des nappes phréatiques, on remet en circulation une eau qui était stockée depuis longtemps et qui participe alors à l’élévation des mers. » Ainsi, l’anthropisation des stocks d’eau à l’échelle de la planète participe d’un mouvement plus large d’artificialisation du cycle de l’eau.

Un autre paramètre vient altérer le cycle : le réchauffement climatique, lui aussi d’origine humaine. Une dérégulation complète de cette boucle constituerait le franchissement d’une des limites planétaires. Pour Florence Habets, « dépasser un de ces jalons met en danger le système entier. Le grand débat est de savoir si nous l’avons déjà franchi pour le cycle de l’eau. »

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