Les associations s’organisent contre la suppression des emplois aidés

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La décision du gouvernement de supprimer 260.000 contrats aidés sur deux ans constitue un immense plan de licenciement. Il affecte durement le secteur associatif et les associations environnementales.
Le 7 août, le gouvernement annonçait par la voix de Muriel Penicaud, ministre du Travail, un plan de licenciement massif comme on n’en a jamais vu : la suppression de dizaines de milliers de contrats aidés. La décision prise de façon brutale, sans discussion ni concertation, et sans solution de remplacement a surpris tout le monde. Les répercussions sont multiples et les secteurs et personnes concernés nombreuses.
En 2016, 460.000 contrats aidés avaient été signés, tous secteurs confondus. Après avoir annoncé 280.000 contrats aidés pour l’année 2017, le gouvernement a finalement rehaussé ses chiffres à 310.000 contrats aidés. Mais pour l’année 2018, seulement 200.000 contrats aidés sont prévus. Le calcul est simple, rapide, et sans appel : 260.000 contrats aidés en moins en deux ans, soit autant de personnes qui risquent de perdre leur travail.
L’impact sera important sur le monde associatif, déjà fragile. Il se mobilise et une réunion publique s’est tenue à La Bourse du travail à Paris, jeudi 14 septembre. Organisée par le syndicat Asso, elle avait pour objectif de préparer et d’organiser la réaction contre ces suppressions. Asso (Action des salariés du secteur associatif) est un syndicat qui lutte contre les dérives de l’application du droit du travail dans le secteur associatif.
Le monde associatif est globalement précarisé car il manque de financement pérenne. Il compte aujourd’hui 1,8 millions de salariés. 53 % des salariés associatifs sont en CDI (contrat à durée indéterminée) contre 80 % dans le secteur privé. C’est un salariat très féminisé, plutôt jeune avec énormément de contrats atypiques tel que les contrats aidés mais pas seulement : on y trouve aussi de nombreux contrats d’engagement éducatif, des volontariats en service civique, des stages. Parmi ces 1,8 millions de salariés, 130.000 sont des personnes en emplois aidés, soit 8 % du salariat associatif.
Ces personnes sont essentielles au fonctionnement des associations et à la démocratie locale. Nombre d’entre elles sont présentes dans des structures d’insertion professionnelle, sanitaires et sociale (Resto du coeur, Croix rouge), et associations environnementales. La suppression des contrats aidés a des conséquences concrètes dans les associations environnementales comme chez les autres.

Jennifer Lombard est animatrice d’atelier vélo à Metz à vélo. Cette association agit auprès des élus pour qu’une véritable politique d’intégration du vélo soit mise en oeuvre dans la ville. Elle incite les habitants à découvrir l’usage du vélo à travers diverses activités : un atelier associatif de réparation, un atelier de sensibilisation à la réduction des déchets liée au cyclisme, un centre de documentation sur le vélo, des balades hebdomadaires et mensuelles, une école de vélo pour adultes.
Jennifer est l’unique employée de Metz Vélo. Elle a été embauchée pour développer l’association. Les autres personnes qui y travaillent sont bénévoles. Jennifer est en contrat aidé, et celui-ci s’achèvera à la fin du mois. et ne sera pas reconduit. Avec la suppression de son contrat et donc de son poste, c’est l’ensemble des ateliers et le maintien même de l’association qui sont mis en péril. « Si l’association propose moins d’ateliers, il y aura moins de retours, c’est un cercle vicieux », dit Jennifer.
Metz à vélo fait partie d’un réseau d’associations de la région dont toutes sont menacées par la suppression des contrats aidés. Elles ont lancé une pétition qui circule à travers les ateliers du réseau dans le but de sensibiliser et d’impliquer les usagers.

Isabelle Picot est coordinatrice des activités de la recyclerie/ressourcerie Recyclune à Lunéville, près de Nancy. Elle aussi est l’unique employée de l’association et coordonne l’équipe de quinze bénévoles qui s’engagent dans l’association. Comme la recyclerie n’existe que depuis un an et demi, elle n’a pas suffisamment d’ancienneté pour accéder à des subventions.
L’association met en oeuvre « une dynamique collective permettant de consommer autrement, d’agir pour la préservation de l’environnement, de lutter contre le gaspillage et de créer du lien social ». Elle lutte au quotidien contre le gaspillage d’objets et de matériaux en bon ou mauvais état déposés dans les déchetteries ou donnés par leurs propriétaires. Les objets sont récupérés pour être ensuite remis en circulation, en l’état ou après réparation.
Les ateliers à Recyclune sont nombreux : atelier de relooking de meubles, ateliers créatifs, activités d’éducation à l’environnement et de sensibilisation sur nos modes de consommation, tous visant à créer du lien social en favorisant la rencontre de personnes de différents milieux sociaux, de différentes origines, de différentes génération. Un café solidaire y a également été créé, ou l’on peut trouver entre autres un jardin partagé et y échanger des objets, des savoir-faire, des services...
C’est en se rendant à Pôle emploi cet été dans le but d’engager un deuxième salarié en contrat aidé au sein de l’association que les responsables associatifs de Recyclune ont été découvert la décision du gouvernement. Quant à Isabelle, son contrat aidé prenant fin le 1er septembre, elle est maintenant sans emploi, mais continue de travailler à la ressourcerie comme bénévole. Elle a néanmoins récemment appris que son contrat pourrait peut-être être renouvelé un an à partir du 1er octobre. Si tel n’est pas le cas, elle ne sera plus en mesure de gérer les bénévoles et c’est donc tout le fonctionnement de l’association qui serait remis en cause. Si elle le pouvait, l’association pourrait employer cinq ou six personnes en contrats aidés. Elle envisage maintenant de se tourner vers les services civiques pour continuer à tourner.

« La destruction de tous ces emplois n’est pas seulement une catastrophe humaine pour les personnes concernées » dit à Reporterre Florian Martinez, porte parole du syndicat Asso. « C’est aussi une catastrophe sociale parce qu’il y a un certain nombre de service qui ne pourront plus être rendus à la population. » Des services d’intérêt général qui ont été délégué par l’état à des associations et qui sont très importants. « C’est donc une mesure qui pourrait impacter toute la société. C’est pour cela que tout le monde est concerné et doit se mobiliser. »
Et de poursuivre : « Le gouvernement s’en prend à toutes ces personnes éloignés de l’emploi, et de façon générale aux services publics, au secteur associatif et à tout ce qui fait que notre société vit bien ensemble jusqu’à maintenant. »
Pendant la réunion à la Bourse du travail, plusieurs personnes ont évoqué leur situation. Certaines ont d’ores et déjà perdu leur travail, d’autres sont dans l’attente et l’incertitude, d’autres encore devaient embaucher lors de la rentrée en contrats aidés mais se retrouvent bloqués. L’assemblée a coupé court aux témoignages pour se concentrer sur la mobilisation à lancer : interpeller les députés, les élus, se rendre au forum des associations, se syndicaliser, multiplier les happenings, dénoncer la précarité.

Le syndicat a lancé sur son site internet une carto-crise, qui recense le nombre d’emplois effectivement supprimés, de dire quels services ne seront plus rendus aux citoyens et quels impacts à court terme et à long terme pourront avoir ces suppressions d’emplois.
Le syndicat a également organisé plusieurs actions cette dernière semaine et compte multiplier dans les semaines à venir. Mercredi 13 septembre par exemple, un happening à Pôle emploi a été organisé, une action facilement reproductible.
Le gouvernement a reculé pour l’Outre-mer et pour de grosses structures

En Outre-Mer où les contrats aidés sont très nombreux, la population s’est mobilisé rapidement et a obtenu gain de cause, une enveloppe supplémentaire. Une victoire partielle mais une victoire quand même.
A l’Éducation nationale où les emplois aidés des AVS (auxiliaire de vie scolaire) qui accompagnent les enfants en situation de handicap, et des ATSEM (aide technique et éducatives aux institutrices) étaient menacés, les gens se sont également mobilisés et ont pu passer certains accords.
Les Restos du coeur, à Grenoble, ont tout de suite alerté et mis en garde sur le fait qu’ils ne serviraient plus de repas chaud. Les grandes associations avec une importante visibilité comme les Resto du cœur ou la Croix rouge négocient avec le gouvernement le maintien des contrats aidés au sein de leur structure.