Reportage — Grands projets inutiles
Les commerçants s’engagent contre Europacity

Durée de lecture : 6 minutes
Grands projets inutiles LuttesLe gouvernement a relancé le projet de mégacentre commercial Europacity, à Gonesse, dans le nord de Paris. Depuis, les membres du collectif Europas du tout arpentent les marchés des villes voisines pour dénoncer les risques que le projet fait peser sur les centres-villes. Jeudi 27 septembre, Reporterre les a suivis à Aulnay-sous-Bois.
- Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), reportage

Ce jeudi 27 septembre dans la matinée, le marché d’Aulnay-sous-Bois a accueilli le rassemblement du collectif Europas du tout, qui dénonce la menace que représente le mégacentre commercial Europacity pour les commerces de proximité et la qualité de vie des centres-ville.

Sur un fond de musique jazzy diffusé par les haut-parleurs du marché, l’animateur a pris le micro toutes les 10 minutes pendant plus de 3 h pour inviter les badauds à signer la pétition qui dit « Non au mégacentre commercial Europacity ».

Pendant ce temps, des membres du collectif Europas du tout se sont répartis sur le boulevard de Strasbourg où le marché s’installe trois fois par semaine, chapeau de paille sur la tête, pétition vierge et stylo à la main.

Résultat au bout de 3 h : plus de 1.000 signatures. Beaucoup de signataires viennent d’eux-mêmes et certains s’étonnent même de devoir signer à nouveau : « Je croyais qu’il était abandonné, ce projet fou d’Europacity ! » s’étonne Michel, un Aulnaysien de longue date. En effet, comme Reporterre vous le racontait en mai dernier, Europacity a été relancé par le gouvernement et le feuilleton qui dure depuis 2010 a repris de plus belle.
Dans ce nouveau chapitre, les commerçants et les élus ont choisi d’unir leurs forces pour enterrer définitivement ce « projet mortifère et nocif, destructeur des commerces de proximité et des terres du triangle de Gonesse », comme le souligne le maire d’Aulnay-sous-Bois, Bruno Beschizza (LR).

« Ici, on n’a pas besoin d’un centre commercial supplémentaire ! Dans un périmètre de quatre kilomètres, on en a déjà trois, et ça, c’est sans compter les supermarchés ! » s’exclame Maria Dasilva, représentante en Île-de-France de la Fédération des marchés de France, qui a rejoint le collectif Europas du tout il y un an et demi. « Le tsunami Europacity va nous détruire, on n’en veut pas ! Ce mégacomplexe est toxique et ce sont nos qualités de vie qu’il met en danger », ajoute-t-elle pendant sa prise de parole.

Évelyne et Josiane (de gauche à droite ci-dessous), deux commerçantes à la retraite, sont venues au rassemblement pour renforcer l’opposition au projet. « Un centre commercial supplémentaire, c’est trop ! Ils vont se bouffer les uns les autres. En plus, ce genre de centres, ce sont toujours les mêmes grandes enseignes. Les indépendants n’y vont pas, c’est trop cher ! » explique Josiane sur un ton révolté. « Oui, c’est au minimum 10 fois plus cher », ajoute Évelyne.

Une position appuyée par Kamel Lakal (ci-après à droite), le président de l’association des commerçants Au cœur des commerces d’Aulnay : « C’est très compliqué de faire vivre les centres-ville et les zones commerçantes. Dès que les commerçants disparaissent, les problèmes reviennent et l’âme des centres-ville disparaît. Sans compter que, si Europacity voit le jour, c’est une saturation assurée du trafic routier. » Kamel s’exaspère également de l’action contradictoire du gouvernement avec le plan Mézard, du nom de l’actuel ministre de la Cohésion des territoires : « On veut construire un centre commercial de 500 boutiques sur 230.000 m2 là où les centres-ville essaient de se restructurer, ça n’a pas de sens ! » Ce plan gouvernemental de revitalisation des centres des villes petites et moyennes, baptisé « Action cœur de ville », a officiellement été lancé en décembre 2017.

Alain Boulanger (ci-dessus à gauche), président de la Capade (Comité aulnaysien de participation démocratique) affirme, quant à lui, que « le débat public qui a eu lieu en 2016 a abouti sur un désaccord entre les deux départements concernés par Europacity : le Val-d’Oise et la Seine-Saint-Denis, mais c’était un débat orienté. Aujourd’hui, on veut que la région Île-de-France, qui a une vision globale, se prononce en s’appuyant sur les études réalisées et que donc, elle abandonne Europacity ».
Pendant le rassemblement, on croise aussi des habitants de Gonesse qui agissent de plus en plus étroitement avec les organisations mobilisées des communes alentour. On retrouve Bernard Loup, le président du Collectif pour le triangle de Gonnesse, qui porte le projet Carma dont l’objectif est de « maintenir l’agriculture dans le triangle de Gonesse et de la faire évoluer vers une agriculture bio. Le cœur du projet est de développer des champs partagés, en lien avec les communes de Gonesse et Roissy notamment, pour une restauration collective locale et bio ».
Julien, 20 ans et Steven, 21 ans (de gauche à droite ci-dessous) sont deux jeunes Gonessiens qui ont également tenu à être présents. En discutant avec Évelyne (à droite), aulnaysienne, trésorière de la Capade, ils se trouvent des points communs puisque tous les trois défendent une participation citoyenne active dans l’avenir de leur territoire. Pendant plusieurs années, Julien et Steven étaient tous les deux membres du conseil municipal des jeunes de la ville de Gonesse. « On s’est heurtés à un refus de débattre de la part du maire de Gonesse, qui n’aime pas vraiment être contredit. Quand on proposait des questions pour le débat public autour d’Europacity, il voulait avoir un droit de regard et la plupart de nos questions étaient édulcorées. En 2014, il a même supprimé le poste de président du conseil municipal des jeunes », explique Julien.

Aujourd’hui, les deux étudiants, qui ont constaté que les jeunes de leur génération ont une conscience écologique accrue et d’autres aspirations de vie que les emplois proposés par le projet Europacity, ont créé en mars 2018 l’association Nous Gonessiens. Leur objectif : proposer un projet alternatif aux municipales 2020.
Julien considère qu’à Gonesse, « le débat est endormi par la propagande politique. En face de la mairie, la Maison du triangle de Gonesse accueille régulièrement des enfants de l’école. Il leur montre la grande maquette d’Europacity sans parler, évidemment, des conséquences écologiques et sociales désastreuses ».

Le collectif Europas du tout entend bien continuer à sillonner les marchés pour ensuite aller toquer à la porte du gouvernement et lui remettre les milliers de signatures qui disent non au mégacentre commercial d’Europacity, dont les conséquences néfastes évoquées dans la pétition ressemblent à une liste à la Prévert : faillite des commerces de proximité et des centres commerciaux existants, 8.000 emplois menacés, fragilisation des lieux culturels de proximité, perte de lien social, désertification des centres-ville, engorgement des axes de circulation, artificialisation des sols, destruction de terres agricoles fertiles, étalement urbain, transformation des lieux de vie en villes dortoirs.