Plutôt que le béton à Gonesse, une belle alternative est possible

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Grands projets inutilesLes opposants au projet de mégacomplexe commercial EuropaCity, dans le Val-d’Oise, portent une alternative ambitieuse : faire du triangle de Gonesse un pôle d’excellence de l’agroécologie périurbaine. En guise de « première pierre » de leur projet, ils organisent ce dimanche 21 mai des semis collectifs dans les champs de Gonesse.
« Nous ne pouvons pas seulement nous opposer, il faut proposer : porter une alternative fait partie de la résistance. » Attablé dans un café du sud parisien, Cyril de Koning revient sur la genèse du groupement Carma (Coopération pour une ambition rurale métropolitaine et agricole), qui a conçu un projet alternatif à EuropaCity, le mégacomplexe touristico-commercial aux portes de Paris, dans le triangle de Gonesse (Val-d’Oise).
Pourtant, pas question aujourd’hui de disserter sur les méfaits sociaux et écologiques du projet d’Auchan. « Pour le moment, EuropaCity n’existe que sur le papier, ce sont des images de synthèse et un modèle économique, rien de plus », balaie Robert Spizzichino, pilote du projet Carma et ingénieur-urbaniste chevronné. Il préfère se tourner vers un autre avenir possible. « La persistance de terres agricoles au nord de la métropole est une opportunité immense. Il faut non seulement les préserver, mais aussi se saisir de cette chance : faire du triangle de Gonesse un hub de l’agriculture périurbaine, un technopôle de l’agroécologie », s’enthousiasme-t-il.
En gestation dans la tête des opposants à EuropaCity depuis le début, le projet Carma s’est cristallisé fin 2016, en réponse à l’appel à projets « Inventons la métropole du Grand Paris », qui proposait sur certains terrains métropolitains — dont 15 hectares du triangle de Gonesse — d’imaginer des innovations urbanistiques.
« La demande pour une alimentation de proximité n’a jamais été aussi grande »
Pour porter ce « projet phare consacré à l’agriculture urbaine et périurbaine et aux territoires en transitions », Robert Spizzichino, Cyril de Koning et d’autres ont fait appel à Terre de liens Ile-de-France, qui devient le maître d’ouvrage. Biocoop, France nature environnement, Fermes d’avenir, Les Champs des possibles, le réseau Amap se sont greffés à l’initiative. Résultat, Carma regroupe aujourd’hui tout ce que la région compte comme acteurs de l’agriculture et du développement rural.
Sur le papier, Carma ne manque ni d’ambition ni d’innovation. Sur les 700 ha du triangle, il prévoit — outre des cultures céréalières bio — une ferme maraîchère solidaire « permettant d’alimenter les cantines scolaires, les banques alimentaires et des circuits courts », un « Farm Lab » pour former à différents métiers agricoles, un centre d’échanges autour des enjeux de sécurité alimentaire, un atelier artisanal et participatif de transformation (conserves, boissons), un espace santé lié à l’alimentation et à la naturopathie, un forum permanent des arts de vivre, des écovillages en bordure des champs.

« Nous nous inscrivons en faux contre la vision prédominante selon laquelle les espaces agricoles sont des espaces vides, insiste Robert Spizzichino. Aujourd’hui, le rural est une source d’inspiration pour les urbains. » « L’Ile-de-France perd 1.400 hectares de terres agricoles par an, et ce depuis 10 ans, alors que la demande locale pour une alimentation de proximité n’a jamais été aussi grande », rappelle également leur dossier d’intention.
Côté viabilité économique, les promoteurs mettent en avant un mix de financement participatif, de mécénat et de subventions, tout en indiquant que certains « modules » du projet devraient « trouver leur équilibre d’exploitation du fait de leur activité, par exemple l’atelier artisanal ».
« Y’a-t-il eu un veto politique du maire de Gonesse ? »
Mais ce « projet béton » est écarté début mars 2017 par le jury de l’appel à projets, qui leur indique toutefois que leur initiative est « excellente », et « intéressante à réaliser ». « Y’a-t-il eu un veto politique du maire de Gonesse, ardent défenseur d’EuropaCity, pour écarter Carma ? » s’interroge Robert Spizzichino. Le projet fait en revanche partie des trois nominés du Grand Prix Convergences, qui récompense « les partenariats innovants pour la réduction de la pauvreté à travers des projets innovants et viables ».
Sur place, dans le Val-d’Oise et la Seine-Saint-Denis, « plus on parle de Carma, plus les gens estiment qu’il est nécessaire, note Cyril de Koning. EuropaCity a séduit avant tout grâce à l’argument de l’emploi, or les gens déchantent car ils se rendent compte que les chiffres avancés [11.800 emplois à l’origine] sont exagérés, que ces postes sont précaires, dégradés, ou inaccessibles pour les populations locales. » Que propose Carma pour répondre au problème du chômage et de l’inégalité ? « Nous nous gardons bien d’avancer des chiffres, car notre projet est un projet de territoire, qui vise à impulser une dynamique de transition écologique, avance Robert Spizzichino. Mais les emplois créés, dans l’agriculture, les commerces de proximité, le compostage, la santé, l’écoconstruction seront durables, utiles et adaptés aux besoins locaux. » Le dispositif de formation et d’aide aux porteurs de projets agricoles fait ainsi partie intégrante de Carma.

« Le défi est immense, reconnaît Cyril de Koning. Le modèle de développement à Gonesse a toujours été celui de l’étalement urbain et commercial. Et c’est justement pour ça qu’il est vital de tester un autre modèle ! » Mais comment transformer cette ébauche utopiste en une alternative crédible au géant EuropaCity ? Les promoteurs de Carma veulent y croire, et comptent bien interpeller Nicolas Hulot, le nouveau ministre de l’Écologie, à ce sujet. Il est certain que le vent de l’urbanisation galopante commence à tourner. De nombreuses métropoles, d’Ottawa à Milan en passant par Détroit, développent des projets similaires — ceinture verte, jardins collectifs : « environ 800 millions de personnes pratiqueraient l’agriculture urbaine dans le monde, qui produirait ainsi 15 % des denrées alimentaires mondiales », indique le dossier du groupement.
Se réapproprier les terres nourricières, gagner en autonomie alimentaire, énergétique. Pour marquer leur « indignation » face à la destruction programmée des surfaces agricoles du triangle, les opposants organisent ce dimanche 21 mai des semis collectifs dans les champs de Gonesse. De 10 h à 18 h, plantations collectives, bal paysan et manifestation devraient marquer une nouvelle étape dans la mobilisation contre EuropaCity : une étape tournée vers un autre avenir possible pour ce territoire.
