Le gouvernement relance le projet Europacity

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Grands projets inutilesLe gouvernement a fait appel de la décision de justice qui retoquait le projet de mégacomplexe commercial et touristique dans le Val-d’Oise. Et les opposants au projet sont sommés de quitter la parcelle qu’ils cultivent sur place. Mais ils maintiennent la mobilisation prévue le 27 mai pour sauver les terres agricoles du triangle de Gonesse.
Le feuilleton Europacity n’est pas terminé. Vendredi 11 mai, l’État a fait appel de la décision du tribunal administratif de Cergy-Pontoise. Le 6 mars, ce dernier avait annulé l’arrêté du préfet du Val-d’Oise qui autorisait la création de la zone d’aménagement concerté (Zac) du triangle de Gonesse, devant accueillir le mégacomplexe commercial et de loisirs (250.000 mètres carrés de surface, plus de 500 boutiques, une piste de ski artificielle, etc.). Motif, « l’étude d’impact mise à disposition du public dans le cadre de l’enquête publique, ayant eu lieu du 25 avril au 25 mai 2016, était insuffisante sur plusieurs points ». Mais le gouvernement ne veut pas en rester là, et fait donc appel, tout comme l’établissement public Grand Paris aménagement a également fait appel de cette décision.
De surcroît, le Collectif pour le triangle de Gonesse (CPTG), qui lutte contre le projet Europacity depuis 2010, a reçu un courrier de l’Établissement public foncier d’Île-de-France (Epfif) le sommant de quitter un champ cultivé depuis mai 2017 — les opposants à Europacity y ont encore semé les pommes de terre une semaine auparavant et le tour des citrouilles et des tomates devrait bientôt arriver. « Nous sommes convoqués pour une audience en référé au tribunal de grande instance de Pontoise ce mercredi 16 mai, a indiqué Bernard Loup, président du CPTG, lors d’une conférence de presse mardi 15 mai. Ils nous demandent d’évacuer des légumes ! » Mais derrière l’ironie, l’inquiétude est réelle. Dimanche 27 mai est prévue la Fête des terres de Gonesse, de 10 h à 18 h sur la parcelle en question. « Ils cherchent à nous empêcher de tenir ce rassemblement, mais nous serons présents, prévient Bernard Loup. Nous espérons seulement que l’Epfif ne fera pas appel aux forces de l’ordre, même si aujourd’hui la situation est loin d’être aussi dure que sur la Zad de Notre-Dame-des-Landes. »
Il énumère les différentes raisons pour lesquelles le collectif est déterminé à poursuivre son combat. « 280 hectares de terres parmi les plus fertiles d’Europe seraient bétonnés à cette occasion, dont 80 hectares pour Europacity. Ce processus serait irréversible, puisque des sols qui ont mis des millénaires à se former seraient irrémédiablement compactés. » Pourtant, ces terres permettraient d’atténuer les impacts du changement climatique : « Quand les vents continentaux apportent de la chaleur, le triangle de Gonesse permet de rafraîchir l’atmosphère d’un à deux degrés Celsius à Paris, trois ou quatre dans les communes alentours. » Quant à la promesse de mille emplois créés, Bernard Loup n’y croit pas : « C’est illusoire. Un grand nombre d’emplois seront détruits dans les centres commerciaux existants. Et le chômage n’est pas dû à une pénurie d’emplois — la zone de Roissy peine déjà à trouver une main-d’œuvre locale — mais à des problèmes d’inadéquation entre les emplois proposés et les profils des actifs du territoire. »
« Le “en même temps” de M. Macron est une supercherie »
Francis Palombi, président de la Confédération des commerçants de France, abonde : « Nous travaillons avec le ministère de la Cohésion des territoires à une opération “cœur de ville” pour redynamiser les centres-villes. Gonesse est l’une des 222 villes pilotes de ce programme. Cela signifie que si le gouvernement veut soutenir le centre-ville de Gonesse d’un côté et fait appel en faveur du projet Europacity de l’autre, il dit tout et son contraire ! »
Et Bernard Loup d’énumérer tous les avis défavorables à Europacity exprimés ces derniers mois : la Commission départementale de la préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers du Val-d’Oise (CDPENAF), qui a voté contre la révision du plan local d’urbanisme (PLU) en mars 2017 ; le commissaire-enquêteur chargé d’examiner la révision du PLU, qui s’est prononcé contre Europacity en juillet 2017 ; et enfin, la décision du tribunal administratif de Cergy-Pontoise, le 6 mars. Même l’exécutif devrait logiquement se prononcer contre, selon le président du CPTG : « Le point numéro 5 du programme environnemental d’Emmanuel Macron prévoyait d’accompagner les transitions en mettant fin à l’artificialisation des terres. Et, en juillet dernier, Nicolas Hulot a estimé que le projet Europacity n’était pas compatible avec les objectif du plan climat. »

La journaliste et réalisatrice Marie-Monique Robin a accepté de devenir la marraine du CPTG. « Europacity comme Notre-Dame-des-Landes sont des symboles importants. Il s’agit d’aberrations écologiques et économiques. L’humanité est entrée dans une zone de turbulences, avec un risque réel d’effondrement et de nombreux défis à relever pour survivre. » En premier lieu, lutter contre l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre. « Elle n’a jamais été aussi rapide, 3 % par an ces dernières années. Nous nous rapprochons des pires scénarios du Giec, avec des impacts sur la production alimentaire, les migrations climatiques, les phénomènes climatiques extrêmes — inondations, sécheresses, etc. Je ne comprends pas comment la France peut signer l’accord de Paris sur le climat et “en même temps” soutenir un projet où l’on pourra skier en plein été aux portes de Paris. Là, le “en même temps” de M. Macron est une supercherie, pour rester polie. » Autre défi, l’érosion extrêmement rapide de la biodiversité. « Une étude récente a indiqué que les populations d’oiseaux avaient diminué de 30 % en quinze ans. Pour les insectes, c’est de l’ordre de 80 %. Ce déclin s’accompagne d’une détérioration massive des terres qui menace les capacités des humains à se nourrir. »
Dans ce contexte de crise écologique, le maintien de terres agricoles est un enjeu majeur, insiste Marie-Monique Robin. « Nous avons besoin de ces terres aux portes de Paris pour créer une filière alimentaire locale et bio. Cela permettrait aussi de combattre les épidémies de maladies chroniques évitables provoquées par des aliments de mauvaise qualité et les pesticides. Europacity repose sur une conception ringarde du développement, très XXe siècle, où les autoroutes, les aéroports et les ronds-points étaient les marqueurs du progrès. Pour mon documentaire Sacrée croissance, je suis allée à Toronto, où des terrains avaient été réquisitionnés pour l’agriculture urbaine et où des ateliers de permaculture étaient organisés pour les habitants. C’est de ça dont nous avons besoin. »
« Nous sommes sûrs de pouvoir rassembler une majorité de personnes, y compris d’élus, contre l’urbanisation du triangle de Gonesse »
Cyril de Koning porte le projet Carma, pour groupement de « Coopération pour une ambition rurale et métropolitaine agricole », qui consisterait en un ensemble cohérent d’activités respectueuses de l’environnement et des habitants : « Maraîchage, grandes cultures, élevage, mais aussi éducation, formations à l’agriculture biologique, méthanisation, tri des déchets, recherche… Les débouchés pour les productions existent, notamment dans la restauration collective alentours », insiste Cyril de Koning. La liste des activités fait miroiter de nombreuses possibilités d’emplois, mais les porteurs refusent de rentrer dans « ce jeu de chiffrage des grands groupes. Même si, effectivement, on peut s’attendre à des impacts très positifs : la culture des céréales va permettre à des boulangers de s’installer, l’élevage va attirer des bouchers et des ateliers de transformation… »
Reste que ce projet ne pourra dépasser le stade du papier que lorsque le projet Europacity sera définitivement abandonné. Pour cela, Bernard Loup réfléchit déjà au coup d’après : « Notre objectif, c’est de remettre en cause la décision prise en 2013 d’urbaniser le triangle de Gonesse lors de la prochaine révision du schéma directeur de la région Île-de-France [Sdrif]. Nous sommes sûrs de pouvoir rassembler une majorité de personnes, y compris d’élus, contre cette urbanisation. »
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