Les luttes se multiplient contre les surf parks, « absurdité environnementale »

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Grands projets inutiles Luttes Eau et rivièresGourmands en eau, énergie et terres, les projets de surf park — grands bassins pouvant accueillir des vagues artificielles — se multiplient en France, au grand dam de collectifs et citoyens écologistes. Grâce à leur lutte, plusieurs projets sont abandonnés.
- Bayonne, correspondance
Dernier né des projets de surf park, celui de Saint-Jean-de-Luz (Pyrénées-Atlantiques) bat un record de proximité avec l’océan Atlantique et ses vagues naturelles : situé à 1,5 kilomètres de la côte, il est à moins d’un quart d’heure du premier spot de surf. S’il voit le jour, les clients pourront surfer les vagues artificielles avec une vue imprenable sur… l’océan. Pour le moment, la colline abrite en son sommet des terres agricoles où pâturent des animaux et une zone boisée sur les pentes. Mais à l’automne 2019, les conseillers municipaux ont voté le changement du plan local d’urbanisme (PLU) et ces zones inconstructibles sont devenues des zones à urbaniser en priorité.
Hugo-Luc Maillos, conseiller municipal d’opposition, a découvert le projet lors du vote. Depuis, lui et son groupe Herri Berri ont lancé une pétition et essayent d’alerter la population sur ce projet qu’ils jugent anachronique :
« C’est une aberration environnementale. À quelques kilomètres d’ici, au Pays basque sud, il y a une station houlomotrice qui utilise les vagues pour créer de l’énergie. Et là, on va consommer de l’énergie pour créer des vagues ! »
L’attrait croissant pour le surf a attiré des entreprises dans la mode des surf parks
Avant celui de Saint-Jean-de-Luz, d’autres surf parks se sont montés sur la côte Atlantique et ailleurs. Une tendance qui date du milieu des années 2010 et la création de technologies capables de reproduire en bassin des vagues « parfaites » pour les surfeurs. L’attrait croissant pour ce sport et sa professionnalisation — il entrera pour la première fois dans le cercle des disciplines olympiques aux jeux de Tokyo à l’été 2021 — a attiré des entreprises. Deux principales sociétés proposent les technologies et se partagent le marché : l’américaine American Wave Machines et la basque Wavegarden dont le siège social est à Bilbao, en Espagne. Gourmands en eau, en énergie et en espaces agricoles et naturels, ces complexes de loisirs rencontrent des résistances partout où ils s’implantent.

Dans les Landes, une « vague baladeuse », comme la qualifie Didier Tousis du collectif local NouTous qui s’y est opposé, a fait une première apparition à Saint-Geours-de-Maremne avant que le projet ne tombe à l’eau car sa rentabilité questionnait. Le projet a réapparu peu de temps après à Castets, une autre commune des Landes. « Dans le premier projet, on nous parlait d’un investissement de douze millions d’euros et ce n’était pas rentable. À Castets, on nous annonce soixante millions d’investissement, et ce serait rentable ? » ironise l’opposant. Un seul entrepreneur landais, Julien Blanc, a annoncé investir à hauteur d’un million d’euros et la région Nouvelle-Aquitaine sollicitée pour accorder une subvention a décliné la proposition. Les porteurs de projet ne répondent plus aux questions, ce qui laisse penser que cette deuxième vague landaise a elle aussi fait plouf, même si les opposants restent vigilants.
À Saint-Père-en-Retz (Loire-Atlantique), le scénario se répète. Après un combat acharné des opposants débuté à l’automne 2018 et un désistement du département, les porteurs de projet ont disparu des radars. « Aux dernières nouvelles, ils seraient en train d’abandonner le projet, comme quoi la résistance ça paye », dit à Reporterre Yoann Morice, paysan bio et membre du collectif Terres Communes qui a lutté pour l’abandon du parc aquatique.
C’est en Seine-Saint-Denis qu’un des plus grands projets de surf park est en cours
Le modèle économique de ces infrastructures, qui reposent sur des investissements de départs importants, reste flou. Et le prix d’entrée, estimé a minima à cinquante euros par personne ferme les portes de ces structures à beaucoup de bourses. C’est pourtant à Sevran, en Seine-Saint-Denis, dans une ville où le revenu moyen est inférieur à la moyenne nationale, qu’un des plus grands projets de surf park actuellement sur la table est porté par une filiale de Bouygues, la société Linkcity. Le projet ne s’arrête pas au seul surf park : sur trente-deux hectares de terres, dont certaines sont agricoles, un pôle d’urbanisation autour de nouvelles liaisons de métro pour attirer des habitants et des visiteurs dans cette ville du 93 est prévu. Face aux critiques sur le fossé entre la réalité sociale de la ville et le coût de ce loisir, les tenants du projet assurent que des tarifs préférentiels seront proposés aux jeunes de la commune.

À Saint-Jean-de-Luz, l’offre ne s’arrête pas non plus au seul surf park, près duquel seraient construits un hôtel et des boutiques. Le porteur du projet sur la petite ville luzienne n’est autre que Boardrider, la société qui détient la marque Quicksilver. Déjà implantée dans la ville — son siège social européen y est situé — l’entreprise a dans l’idée de vendre du matériel et des vêtements autour de ce complexe récréatif créé par Wavegarden. Le surf park ne serait-il qu’un produit d’appel pour attirer de nouveaux surfeurs et vendre du matériel ? Certains le craignent. Que les géants du BTP tel Bouygues se lancent aussi dans cette mode comme à Sevran ou à Castets n’étonne pas Hugo-Luc Maillos, conseiller municipal d’opposition, qui appréhende de voir débarquer « les bétonneurs ». Pour lui, face au changement climatique et à l’effondrement de la biodiversité, « un terrain agricole doit rester agricole ».
Le monde du surf divisé
Du côté de la Fédération française de surf (FFS), le sujet fait des remous. Elle a apporté son soutien à nombre de projets, mais à la suite d’une lettre commune de plusieurs associations et collectifs d’opposants envoyée début 2020, elle a répondu au magazine Surf Session ne soutenir que le projet de Sevran et affirme être très attentive aux conséquences environnementales de ces structures. Dans le même temps, elle insiste sur la nécessité d’avoir à disposition une vague artificielle en France afin d’entraîner les surfeurs professionnels pour les compétitions internationales sans être soumis aux aléas de la météo. Cette position tournée vers la course aux médailles ne convainc pas tout le milieu.

Des voix s’élèvent dans la communauté du surf pour dénoncer une évolution contraire à la philosophie de la discipline, qui requiert une proximité avec la nature. L’ONG Surfrider, une association environnementale de défense des océans créée par des surfeurs, a récemment pris position contre ces piscines à vagues dans un communiqué sur son blog. Elle y dénonce les conséquences environnementales massives de ces projets et concluent que « des écosystèmes en bonne santé permettront à nos sociétés d’être plus à même de s’adapter au changement climatique. Or, les projets d’artificialisation des sols et d’utilisation des ressources en eau, telles que les piscines à vagues, contribuent à augmenter la vulnérabilité des territoires au changement climatique. »
Autre crainte des opposants : l’arrivée d’un tourisme de masse
Outre l’artificialisation des sols, la pression sur les ressources en eau de territoires de plus en plus soumis au stress hydrique et la dépense d’énergie qu’ils requièrent, ces infrastructures attirent aussi un tourisme de masse. Pour être rentables, les piscines doivent attirer plus de 100.000 personnes chaque année. Jon Hegui, directeur d’une école de surf à Saint-Jean-de-Luz, vit du tourisme mais voit d’un mauvais œil une augmentation de la fréquentation touristique :
Cette vague va amener un nouveau public sur nos spots déjà saturés. Car vu le prix à l’heure, ils ne pourront pas passer une semaine entière au parc. Ajoutez à cela le prix de l’immobilier : on n’arrive déjà pas à se loger, alors on construit des immeubles dans l’arrière-pays et la côte devient inaccessible. On créé toujours plus de béton et les locaux sont encore mis de côté. »
Avec près de la moitié de son parc de logement en résidence secondaire, la ville basque est déjà proche de la saturation touristique en période estivale.
Didier Tousis, du collectif Noutous, ne croît plus au futur des piscines à vagues. « Au train où vont les choses, il est possible que tous ces projets ne voient jamais le jour. À Saint-Jean-de-Luz par exemple, il me semble impossible qu’une marque comme Quicksilver maintienne le projet. Elle risque de se couper d’une partie conséquente des surfeurs ». Il conclut, rieur : « Dans les Landes, on est d’accord pour couper des pins pour faire un projet intelligent. Le problème n’est pas de couper les pins, c’est d’avoir un projet intelligent ! »