Enquête — Écologie et spiritualité
Les religions s’engagent pour le climat

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Écologie et spiritualitéLa sauvegarde de la « maison commune », comme le pape François appelle la Terre, est devenue un enjeu pour les croyants et les responsables des principales religions mondiales. À l’occasion de la COP 21, ils le font savoir et prennent position.
Ils sont chrétiens, musulmans, juifs, hindouistes, bouddhistes, Européens, Philippins, Indiens, Sud-Africains… À la veille de la COP 21, ils ont réuni 1.780.528 signatures pour un accord ambitieux et juste pour le climat, qu’ils vont remettre à François Hollande. Mais que vient faire la foi dans cette histoire de climat ?

« C’est une préoccupation très ancienne, un discours que la religion porte depuis bien avant que le sujet ait été abordé par les politiques et les scientifiques. » Pour le pasteur François Clavairoly, président de la Conférence des responsables de cultes en France (CRCF), la légitimité des cultes à parler de climat est une « évidence ». « L’intérêt général des États additionnés ne fait pas le bien commun. Ce qui fait l’universalité du message religieux, c’est que ni les chrétiens, ni les musulmans, ni les juifs… n’ont d’intérêt étatique à défendre », rappelle-t-il. Alors que 84 % de la population mondiale se réclame d’une religion, selon des chiffres de 2010 du Pew Research center – et, parmi eux, de nombreux chefs d’États –, les cultes peuvent faire passer un message commun au delà des frontières.
Certains admettent avec honnêteté un « retard » des religions sur ces questions, mais tous se trouvent aujourd’hui dans la même dynamique. Michaël Azoulay, rabbin à Neuilly-sur-Seine et chargé des questions de société par le Grand Rabbin de France considère qu’« on n’a pas assez insisté sur l’importance de la préservation de la planète » mais se félicite que la thématique environnementale soit désormais « un vrai point de rassemblement » entre les religions. « Il faut qu’on reprenne la main dans nos discours, qu’on évoque la question du consumérisme, du gaspillage, du gâchis, de la plus juste répartition des richesses », souhaite-t-il, en espérant que ces questions soient abordées pour la première fois lors du prochain Congrès rabbinique.
« Nous avons peut-être plusieurs dieux, mais nous vivons sur une planète »
La question climatique est prise de plus en plus au sérieux aux sein des instances religieuses. La plupart des représentants religieux avaient d’ailleurs décidé de participer à la grande marche pour le climat du 29 novembre à Paris, qui a finalement été annulée, et se sont engagés au sein de la Coalition climat 21. Les prises de position des responsables religieux en faveur du climat et de la protection de la planète se sont multipliées cette année : encyclique Laudato si du pape François, déclaration des six principales religions de France et rédaction d’un plaidoyer commun, déclaration musulmane), déclaration hindoue, appel de 154 responsables chrétiens et non-chrétiens, lettre rabbinique sur le changement climatique… Pour finir, une pétition de près de 1,8 million de signatures récoltées à travers le monde pour la COP 21 sera remise à François Hollande.
Et cette voix porte en haut lieu. Christiana Figueres, secrétaire exécutive de la Convention-cadre des Nations unies contre le changement climatique (CCNUCC), et Nicolas Hulot, envoyé spécial de François Hollande pour le climat, étaient présents le 28 novembre à Saint-Denis pour écouter les témoignages de pèlerins pour le climat venus tout spécialement pour le sommet climatique. Patrick Braouezec (FG), élu de la ville, est lui aussi venu accueillir les pèlerins, soulignant à la tribune le « besoin de se rassembler et de faire corps pour que cette planète puisse avoir un avenir » dans un « monde particulièrement perturbé ».

Parmi les marcheurs, Latifa Begum est une musulmane originaire du Bangladesh qui vit au Royaume-Uni. Elle estime que « les religions jouent un rôle très important pour mettre la pression » sur les décideurs. « Nous avons peut-être plusieurs dieux, mais nous vivons sur une planète », explique celle qui prie pour que la COP 21 ne reproduise pas l’échec de Copenhague.
« Le critère du lobby privé n’est pas le bien commun »
Les mots des cultes ont changé. « Nous ne sommes pas du tout créationnistes, je le souligne à trois traits. On accepte la théorie de l’évolution, mais on croit qu’il y a un Créateur et que nous avons une responsabilité », éclaircit Martin Kopp, chargé de plaidoyer de la Fédération luthérienne mondiale pour la justice climatique. Ce doctorant en théologie protestante explique avec clarté que l’anthropocentrisme du judéochristianisme occidental est en pleine évolution. Depuis plusieurs dizaines d’années, l’image de l’humain qui voyait la nature comme un outil à exploiter évolue. « L’anthropocentrisme doit être entendu comme une responsabilité spécifique de l’être humain (...) : on a une liberté une capacité à choisir et on doit répondre de nos actes », analyse-t-il, textes à l’appui. Aujourd’hui « il faut un changement spirituel et moral. Si cela ne se fait pas, c’est qu’il y a un problème de valeurs. Si on suit le lobby privé, on ne suit pas comme critère le bien commun. On n’est pas dans une position d’amour du prochain si on le met en danger », poursuit celui qui avait promu en France le jeûne pour le climat. Le président de l’Union bouddhiste de France ne dit pas autre chose : « On vit dans un monde qui ne peut plus supporter les égoïsmes, ni individuels, ni nationaux, ni d’entreprises, ni même d’un continent. Ils doivent tomber les uns après les autres », explique Olivier Wangh Gengh.

Quand Martin Kopp considère que « s’engager, ce n’est pas être écolo, c’est être chrétien », Olivier Wangh Gengh aussi voit l’engagement de ceux qui partagent ses idées comme un geste naturel : « Un bouddhiste, par esprit de responsabilité, fait tout pour avoir un comportement qui soit le moins nuisible possible, un comportement responsable à tout point de vue notamment en respectant la nourriture et ne laissant pas de trace derrière soi. » « Si le message du bouddhisme peut être utile dans ce moment précis où on sait que rien ne sera comme avant, tant mieux », ajoute-t-il.
« Créons les conditions de la paix »
« Aucun des problèmes du monde ne peut être réglé seul ou par une organisation », Gopal Patel en est convaincu. Responsable du projet Bhumi, qui se veut la voix hindouiste mondiale sur les préoccupations environnementales, il estime que « la religion ne parle pas qu’à la tête, elle parle au cœur. Voilà ce qu’elle apporte dans le débat sur le changement climatique. Il ne s’agit pas de conversion, mais de changer le coeur et l’esprit des gens », assène-t-il, convaincu que la religion peut parler aux peuples comme aux dirigeants. « La spiritualité sera présente à la COP 21, sans l’ombre d’un doute », dit-il.
Des discours qui entrent en résonance les uns avec les autres, au point de tenir ensemble. « La place de la religion ? c’est de réconcilier les peuples. Nous devons dire : “Créons les conditions de la paix.” Le cœur de nos religions n’est pas la compétition », met en perspective l’archevêque anglican Thabo Makgoba. Au-delà des outils politiques, techniques et juridiques, au-delà même de leurs ressources propres, la parole de ces religions unies veut amener de l’humanité et de la solidarité dans le débat sur la crise climatique afin de protéger ce que le pape François a appelé « la maison commune ».

« Ce qui nous importe, c’est que cette petite voix de la spiritualité puisse alimenter y compris ceux qui ne se retrouvent pas dans une confession », résume François Clavairoly, pour qui ces religions sont « comme le sel dans la soupe », « là pour donner du goût, des saveurs », mais elles doivent laisser les décisions aux responsables politiques. Il s’agit donc de prendre part autant que possible la mobilisation, qui n’appartient à aucun parti. « La COP 21 rend publique et quasi universelle cette problématique », se félicite le pasteur.
D’ailleurs, nombreuses sont les associations cultuelles qui seront représentées au Bourget pour défendre les pays les plus vulnérables auprès des délégués et revendiquer plus de justice entre les pays du Nord et ceux du Sud. « Quelque chose, dans le fond, est en train de bouger », veut croire Olivier Wangh Gengh. L’optimisme est de mise dans les rangs des religieux, qui, disent-ils, entendent bien rester mobilisés après le sommet climatique.