Les restrictions d’eau devraient rythmer l’été

Petit lac haut-alpin, été 2022. Avec 68 % des niveaux des nappes sous les normales mensuelles en juillet 2023, la situation est « peu satisfaisante », d’après les hydrogéologues. - © E.B / Reporterre
Petit lac haut-alpin, été 2022. Avec 68 % des niveaux des nappes sous les normales mensuelles en juillet 2023, la situation est « peu satisfaisante », d’après les hydrogéologues. - © E.B / Reporterre
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Climat Eau et rivières19 % des nappes sont à un niveau très bas, indique le BRGM. Conséquences : des rivières basses et de possibles pénuries d’eau potable. Cet été, le bassin parisien pourrait être concerné par les restrictions.
Souffrira-t-on autant du manque d’eau cet été que l’an dernier ? Cela ira mieux dans certaines régions, mais ce sera pire dans d’autres. C’est le bilan contrasté dressé au 1er juillet par le BRGM (Bureau de recherches géologiques et minières), et présenté mercredi 12 juillet. Avec 68 % des niveaux des nappes sous les normales mensuelles, dont 19 % à un niveau « très bas », la situation demeure « peu satisfaisante », d’après les hydrogéologues. Les pluies au printemps n’ont permis que marginalement d’améliorer la situation et n’ont pas compensé le déficit de précipitations de l’hiver dernier.
La situation est jugée particulièrement « préoccupante » pour le couloir Rhône-Saône, du Dijonnais au Bas-Dauphiné, où une majorité de secteurs enregistrent des niveaux très bas, c’est-à-dire en deçà d’un niveau qui n’advient en moyenne qu’une fois tous les vingt ans. Dans plusieurs régions côtières de la Côte d’Azur, notamment autour de Nice, les nappes alluviales enregistrent également des niveaux très bas, de même que dans le sud de l’Hérault, dans le sud de l’Alsace et la plaine du Roussillon, dans les Pyrénées-Orientales. Le bassin parisien, aux niveaux jugés bas en moyenne, se trouve dans un niveau de tension lui aussi supérieur à l’an passé.
Ces eaux souterraines fournissent deux tiers de l’eau potable
Suivre l’évolution du niveau des nappes phréatiques est essentiel pour anticiper les sécheresses et risques de pénuries : ces eaux souterraines fournissent pas moins des deux tiers de l’eau potable consommée en France métropolitaine et plus du tiers de celle consommée par l’agriculture, d’après le BRGM. « Préserver les nappes est aussi essentiel pour la ressource des eaux de surface : quand il ne pleut pas pendant plusieurs semaines, toute l’eau des rivières provient des nappes. Si leur niveau est trop bas, le débit des cours d’eau baisse voire s’assèche », souligne Violaine Bault, hydrogéologue qui présentait ce nouveau bulletin de situation du BRGM.
Les niveaux de recharge préoccupants dans les régions susmentionnées annoncent-ils de fortes restrictions d’eau cet été ? Les évolutions à venir dépendent en fait des caractéristiques géologiques des nappes concernées. Pour les nappes dites inertielles, que l’on trouve notamment sur le bassin parisien, le couloir Rhône-Saône, ou le sud Alsace, les jeux sont déjà faits. Elles mettent plusieurs années à se recharger et le déficit accumulé ces dernières années ne pourra pas être rattrapé par des pluies estivales, sauf si celles-ci sont vraiment exceptionnelles. La situation devrait donc continuer à se dégrader lentement, au moins jusqu’à l’automne, sur ces territoires, prévoit le BRGM.

Pour les autres nappes, dites réactives, la situation est plus indéterminée, y compris pour celles qui ne présentent pas de niveau bas début juillet. Dans ces sous-sols, notamment dans les roches calcaires karstiques qui laissent l’eau s’infiltrer très rapidement, le niveau peut remonter rapidement en cas de fortes précipitations. Mais la nappe peut se vidanger tout aussi vite en cas de déficit de pluie. L’évolution de la situation de la plaine du Roussillon ou des nappes alluviales de la Côte d’Azur sera donc conditionnée aux aléas météorologiques de l’été. « Les nappes réactives du massif Central, du Poitou, de la Charente sont dans une situation moins critique mais qui pourraient aussi se dégrader très vite en cas d’été aussi sec que l’an dernier », prévient Violaine Bault.
« Les pluies violentes sur un sol sec ne rechargent pas les nappes »
L’autre facteur déterminant pour anticiper les sécheresses estivales est donc évidemment l’évolution météorologique. Les tendances à trois mois produites en juin par Météo-France ne permettent de dégager aucun scénario clair en termes de précipitation sur plus des trois quarts du pays. Sur l’extrême sud en revanche, des Pyrénées aux régions méditerranéennes, davantage de précipitations que la normale de saison semble probable. Mais « l’été étant une saison très sèche sur le bassin méditerranéen, un scénario plus humide que la normale ne signifie pas forcément de grandes quantités de précipitations ni l’arrêt de la sécheresse présente dans de nombreuses régions », précise Météo-France.
Au Nord comme au Sud, d’éventuelles précipitations abondantes ne seraient pas non plus la panacée si elles adviennent de manière trop violente, lors d’orages intensifs par exemple. « Les pluies violentes sur un sol sec rebondissent et ruissellent au lieu de s’infiltrer, cela ne recharge pas les nappes et peut même générer de fortes inondations », explique Violaine Bault. Même moins violentes, les pluies l’été sont en partie consommées par la végétation et sont donc beaucoup moins efficaces qu’à même niveau de précipitation l’hiver.

L’autre facteur météorologique majeur, la température, n’incite pas non plus à l’optimisme. Météo-France prévoit « des conditions plus chaudes que la normale sur l’ensemble du territoire ». Ce qui entraîne deux conséquences : une hausse de l’évapotranspiration des plantes, donc moins de ressource en eau disponible pour les nappes et les cours d’eau d’une part, et une hausse de la demande liée aux activités humaines d’autre part. Moins d’eau disponible, plus de demande : la configuration parfaite pour générer des pénuries.
La façade atlantique épargnée
Les décrets de restriction d’eau devraient ainsi rythmer l’été pour de nombreux territoires. Au 12 juillet déjà, près de 70 départements avaient mis en place des restrictions sur l’usage de l’eau, dont 17 au niveau maximal de « crise », qui interdit les usages agricoles, hors dérogations, et de nombreux usages domestiques comme l’arrosage des pelouses, jardins (même potagers), véhicules ou le remplissage des piscines, entre autres.
Les zones sous tension évoquées plus haut sont donc susceptibles de connaître autant, « voire davantage » de restrictions que l’an dernier, selon l’évolution de la situation météorologique, précise l’hydrologue du BRGM. « On s’attend à ce qu’il y ait beaucoup d’arrêtés préfectoraux de restriction d’eau cette année, mais pas forcément aux mêmes endroits que l’an dernier. Il devrait y en avoir par exemple beaucoup plus sur le bassin parisien... », anticipe Violaine Bault, sans toutefois pouvoir s’avancer plus précisément sur l’évolution de chaque territoire, tributaire des évolutions météorologiques. « On ira vers des jours qui sont compliqués » si « on a à nouveau un mois de juillet comparable à celui de l’année dernière », a également prévenu mardi 11 juillet Christophe Béchu, le ministre de la Transition écologique.
Seule source de satisfaction : les manques d’eau seront moins généralisés en France que l’an dernier. Les nappes de l’ensemble de la Bretagne et du bassin Artois-Picardie dans le nord sont considérés à un niveau « modérément haut » par le BRGM. La grande majorité de la façade Atlantique, l’Aquitaine, le pays Basque, la Corse, le bassin de l’Adour et du gave du Pau sont en situation favorable grâce aux pluies printanières et peuvent être « plus confiants » pour passer l’été.