Tribune — Grands projets inutiles
Lyon-Turin : pourquoi les opposants ont échoué

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Grands projets inutiles TransportsLe projet de liaison ferroviaire entre Lyon et Turin a mobilisé contre lui de nombreux défenseurs de l’environnement. L’auteur de cette tribune, favorable à la ligne de train, donne les raisons pour lesquelles, selon lui, le combat des opposants a failli, voire a été contreproductif.
Jean Sivardière est vice-président de la Fédération nationale des associations d’usagers des transports (Fnaut).
Reporterre est un espace de débat pour toutes celles et ceux qui pensent que l’écologie est la question centrale de l’époque. Nous publions aujourd’hui le point de vue de Jean Sivardière auquel, en accord avec lui, Daniel Ibanez a répondu.
Les opposants à la liaison ferroviaire Lyon-Turin se sont beaucoup investis, mais leurs efforts n’ont pas abouti : l’accord franco-italien sur le tunnel transfrontalier a été ratifié par le Parlement fin janvier, le tunnel est un coup parti. Cet échec devrait inciter les environnementalistes (France nature environnement et les opposants de terrain) et écologistes (EELV) à s’interroger sur leurs objectifs, leurs priorités, leurs méthodes d’action, leurs alliances et leur pédagogie, car ils mènent contre d’autres grands projets des combats utiles.
1. Dans leur combat contre le Lyon-Turin, les opposants ont manqué des connaissances nécessaires pour appréhender correctement le fonctionnement du rail entre la France et l’Italie. Ils ont ignoré les difficultés techniques et les coûts excessifs d’exploitation de la ligne existante de Maurienne, se contentant de répéter — une évidence — que sa capacité permettait d’y tripler le trafic.
2. Ils ont ignoré l’action des Suisses et des Autrichiens qui percent des tunnels de base et ne sont pas stupides pour autant. L’ouverture du Lötschberg est un succès évident qui démontre la pertinence des tunnels de base. Le percement du Gothard s’est effectué sans difficulté majeure : pourquoi celui du Lyon-Turin mènerait-il à une catastrophe écologique ?
3. Refusant de voir ces réalités contraignantes, ils ont condamné sans nuances le Lyon-Turin et les grands projets analogues (LGV, autoroutes, aéroports), qualifiés rituellement de pharaoniques, alors qu’il fallait les examiner au cas par cas. Ils sont, par contre, restés quasi-silencieux sur le projet de canal Seine-Nord.
Les opposants n’ont pas su se rendre crédibles aux yeux de l’opinion
4. Les opposants n’ont pas réussi à échapper à une contradiction gênante : réclamer un report de trafic sur le rail, et combattre un projet et un financement (écotaxe régionale) susceptibles de le faciliter. Favorables initialement au projet, ils ont cherché ensuite à priver le rail d’un outil performant tout en se lamentant sur son déclin, et n’ont pas su expliquer leur revirement tardif.
5. Ils en sont restés à une argumentation fondée sur des prévisions de trafic peu réalistes datant des années 1990 au lieu de regarder la réalité présente et, par exemple, de comparer le nombre des camions traversant la Suisse (1.200.000 par an) et les Alpes franco-italiennes (2.600.000).
6. Ils ont colporté des informations manifestement inexactes sur le coût du projet global et celui du tunnel de base, sur les gains de temps qui seront apportés par l’ouvrage, sur les possibilités de financement et sur le montage financier (il ne s’agit pas d’un PPP, partenariat-public-privé, le financement du tunnel étant entièrement public).
7. Ils n’ont pas hésité à s’appuyer sur des personnalités connues pour être favorables à la route, et sur les affirmations très contestables de la Cour des comptes concernant le coût du Lyon-Turin, afin de justifier le bien-fondé de leur position.
8. Malgré un préjugé favorable accordé par les médias, les opposants n’ont pas su se rendre crédibles aux yeux de l’opinion et rassembler au-delà de l’extrême gauche (Parti de gauche) et de l’extrême droite anti-européennes (Front national, Debout la France) et d’un maire Les Républicains isolé au sein de son parti. Leur alliance avec les No TAV italiens, emmenés par des anarchistes violents, y est pour beaucoup.
Le combat acharné des opposants aura été contreproductif
9. Les opposants se sont déconsidérés aux yeux des décideurs. Ils ont multiplié les polémiques et les attaques personnelles, en particulier contre l’ancien président de RFF (Réseau ferré de France), quasiment accusé de corruption alors qu’il est unanimement respecté pour ses compétences et son intégrité. Les positions de la Fnaut ont été déformées de manière perfide, et les experts reconnus sur lesquels elle s’appuie ont été attaqués sur la seule base d’insinuations de copinage avec les décideurs.
10. Les propositions des opposants ont manqué de réalisme : reporter « immédiatement » le trafic routier sur la ligne Ambérieu-Modane (comme si nous vivions dans une économie administrée de type soviétique) ; utiliser un matériel roulant fantaisiste et qui n’existe pas (R-shift-R) ; supprimer tous les passages à niveau « pour faciliter la circulation des trains de fret »… Prolonger l’autoroute ferroviaire alpine était une suggestion plus pertinente. Mais c’est à proximité des plateformes logistiques et industrielles de la région lyonnaise et en correspondance avec les autoroutes ferroviaires Nord-Sud, et non à Ambérieu, qu’il faut la prolonger depuis la Savoie. Et aucune ligne classique n’est vraiment adaptée à cette opération : pour éviter un conflit avec le renforcement du TER, souhaité par les opposants et la Fnaut, la construction de la ligne nouvelle mixte Lyon-tunnel sous Chartreuse-Saint-Jean-de-Maurienne est la seule solution, qu’il faut engager dès maintenant.
En définitive, le combat acharné des opposants aura été contreproductif : en diabolisant le Lyon-Turin, ils ont seulement fait le jeu de la route et donné de l’écologie une image dogmatique et passéiste. Le Lyon-Turin sera bénéfique pour l’environnement et constituera un outil structurant d’aménagement du territoire européen, susceptible de provoquer un rééquilibrage économique entre Europe du Nord et Europe latine.