Ne laissons pas l’extrême-droite infiltrer les mouvements citoyens

En ouvrant leur initiative à des organisations d’extrême droite qui se dissimulent derrière la confusion des idées, les organisateurs du week-end Synergie(s) démocratique(s), à St-Ouen les 16 et 17 avril, se laissent abuser, estiment les auteurs de cette tribune. Ce faisant, ils risquent de diviser profondément le mouvement citoyen.
Antoine Bevort est professeur émérite de sociologie au Conservatoire national des arts et métiers. Ses recherches portent sur la question de l’action collective dans les sociétés démocratiques. Il anime un blog stimulant sur la politique citoyenne.
Philippe Saugier est l’un des lanceurs de l’appel Nous la majorité, le 13 décembre 2015, au soir du second tour des régionales. Après avoir travaillé pendant plus de vingt ans pour des programmes européens d’éducation à la citoyenneté, il est aujourd’hui chanteur et pianiste sous le nom de Philippe Séranne.
Antoine Bevort et Philippe Saugier ont participé au « processus de Voguë ».
Les 16 et 17 avril, plusieurs organisations liées à la « démocratie réelle » coorganisent à St-Ouen le week-end Synergie(s) démocratique(s), qui se donne pour objectif de « permettre à toutes les initiatives qui œuvrent pour l’instauration de la démocratie réelle et souhaitent rendre aux citoyens leur place en politique, de construire un écosystème ouvert, large et cohérent fonctionnant grâce à la synergie entre ces initiatives (mouvements, facilitateurs, outils et autres acteurs) ».
Alertés sur la présence de plusieurs organisations dissimulant leurs liens avec l’extrême droite (Mobilisation générale, Nous peuple souverain, le Cercle de citoyens français) parmi les inscrits, les organisateurs du week-end ont refusé d’exclure ces mouvements en posant que « seules les organisations qui affichent clairement une vision et/ou un objet antidémocratique (autoritariste, fasciste…) ne sont pas les bienvenues au WE du 16-17. Et ce, indépendamment des propos tenus par les membres des organisations en leur nom propre et non en celui de l’organisation ».
Le confusionnisme n’est qu’une stratégie
Construire une alternative politique rendant aux citoyens leur place en prônant la synergie avec des mouvements avérés d’extrême droite au prétexte qu’ils n’affichent pas clairement leur vision antidémocratique relève, au mieux, d’une inconscience politique grave. Ces organisations pratiquent précisément le confusionnisme — c’est-à-dire une rhétorique affichant d’une part la critique du libéralisme, de l’Union européenne, la revendication de la démocratie directe, l’appel à la mobilisation générale, la référence au peuple mêlée, d’autre part, de façon plus ou moins explicite un discours privilégiant l’adresse aux Français, Françaises, la thématique antimaçonnique, l’indulgence pour le négationniste Faurisson, la dénonciation des complots juifs ou le chemtrail, la dénonciation du mariage pour tous, la valorisation des thèses climatosceptiques... Le confusionnisme n’est qu’une stratégie destinée à masquer leur véritable projet politique pour mieux infiltrer et polluer les mouvements citoyens.

Dans leur grande majorité, les mouvements citoyens qui relaient depuis cet automne la formidable accélération du réveil politique que notre pays est en train de vivre, ont pour particularité d’ouvrir leurs portes à toutes et à tous sans la moindre exception. Nous nous devons à la fois d’être ouverts, de ne pas faire de la lutte contre les idées d’extrême droite un axe prioritaire, et de rester clairs sur nos exigences démocratiques, nos valeurs. Le vote FN, par exemple, charrie toutes sortes de mécontentements qui ne sont pas nécessairement des votes pour les idées d’extrême droite de xénophobie, d’affirmation de l’identité nationale. En même temps, ne soyons pas innocents, on ne peut pas traiter de la même façon les citoyens et les organisations. C’est pourquoi, dans le chantier en cours de regroupement des multiples initiatives qui revendiquent la réappropriation citoyenne du politique et le pouvoir d’agir, nous sommes nombreux à exclure de faire chemin commun avec des organisations animées par des personnalités qui ne soient pas d’une clarté totale vis-à-vis de la condamnation des discours néofascistes, racistes et antisémites. Nous excluons de faire chemin commun et de gaspiller notre énergie à en débattre avec eux.
Une impasse pour les mouvements citoyens
L’extrême droite, explicite ou masquée, se situe hors champs des mouvements citoyens et démocratiques parce qu’elle conteste l’idéal démocratique de commune humanité, de tolérance, d’ouverture, de solidarité, de refus de toute discrimination, parce qu’elle refuse de condamner sans ambiguïté les errements de l’histoire, parce qu’elle cultive la soumission à l’autorité et aux figures de chefs.
En échouant à l’affirmer et à le condamner, le week-end Synergie(s) démocratique(s) offre une tribune de choix au confusionnisme, au lieu de le contenir et le refouler. En croyant préserver ainsi la neutralité idéologique dont il se réclame, il légitime de fait des organisations qui estiment qu’il est acceptable de laisser leurs leaders relayer des courants xénophobes et négationnistes sans les dénoncer. En acceptant en son sein l’intégralité des mouvements qui prétendent relever de la « démocratie réelle », y compris ceux qui, par leurs ambiguïtés, sont source de rejet radical chez les uns et d’incompréhension chez les autres, il prend le risque de diviser profondément le mouvement citoyen au moment où la multitude d’initiatives éparpillées qui le composent a soif de s’organiser pour s’unir. C’est une impasse pour les mouvements citoyens, aux antipodes de ce qui se joue en ce moment place de la République et dans toutes les villes de France, comme on peut le lire avec beaucoup de clarté sur nuitdebout.fr :« Malgré les dispersions arbitraires de la police, malgré la pluie et les difficultés matérielles, malgré des tentatives d’infiltration et de récupération par des réseaux d’extrême droite, notre mouvement a réuni chaque jour et chaque nuit des milliers de citoyens-nes différents-es mais DEBOUT partout en France et des soutiens partout dans le monde. »
Comment peut-on construire une alternative politique aux partis de gouvernement de gauche ou de droite et accepter de faire cause commune avec des mouvements d’extrême droite ? Comment critiquer le PS et le LR et accepter de cheminer avec Mobilisation générale, Nous peuple souverain, le Cercle des citoyens français ?
Tout en restant plus que jamais ouverts à tous les citoyens, nous refusons d’avancer aux côtés d’organisations qui véhiculent, ouvertement ou de façon dissimulée, des idées contraires aux principes démocratiques.