L’industrie pétrolière freine l’accord mondial sur le plastique

Des femmes trient des bouteilles en plastique au Bangladesh. Dacca, la capitale, croule sous les déchets plastiques. - Pexels/CC/Mumtahina Tanni
Des femmes trient des bouteilles en plastique au Bangladesh. Dacca, la capitale, croule sous les déchets plastiques. - Pexels/CC/Mumtahina Tanni
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À Nairobi au Kenya, pays pétroliers et lobby de la pétrochimie ont entravé tout compromis pour un texte à la hauteur de la crise du plastique. Les ONG disent leur colère et leur déception.
L’industrie pétrolière va-t-elle réussir son pari : faire échouer un accord international sur le plastique ? Elle est en tout cas parvenue à bloquer toute avancée cruciale lors de la 3e session du Comité intergouvernemental de négociation (INC-3), qui s’est déroulée du 13 au 19 novembre à Nairobi (Kenya).
« Ça nous met en colère, lâche Diane Beaumenay-Joannet, chargée de plaidoyer déchets aquatiques pour Surfrider Foundation Europe, au lendemain de la clôture de l’évènement. Une minorité de pays qui ont des intérêts financiers dans le pétrole bloquent une majorité de pays qui, eux, veulent lutter contre la crise du plastique. »
L’Iran, la Russie, la Chine, l’Arabie saoudite et autres pays pétroliers, réunis dans une nouvelle coalition, n’ont eu de cesse de ralentir les débats, avec des questions et objections incessantes.
Une armada de lobbyistes, contre 38 scientifiques
Comme en mai dernier, lors de la 2e session à Paris, le lobby des industriels des combustibles fossiles et de la pétrochimie était également au rendez-vous. Dans des proportions encore plus fortes.
Selon le décompte réalisé par le Centre pour le droit international pour l’environnement (Ciel), 143 représentants étaient inscrits à la conférence, soit 36 % de plus qu’à Paris. Une armada si on compare aux trente-huit scientifiques présents.
Ils étaient même deux fois plus nombreux que les soixante-quatre représentants des petits États insulaires en développement du Pacifique, a calculé le Ciel. « Nous devons immédiatement rectifier le tir pour faire en sorte que le traité sur les plastiques soit fondé sur la science et ne devienne pas un traité sur les combustibles fossiles », alertait, en vain, Delphine Levi Alvares, coordinatrice de la campagne mondiale sur la pétrochimie au sein du Ciel, dès le 15 novembre dans un communiqué.
Divergence sur l’extraction du pétrole
Les désaccords portent sur deux points essentiels. D’abord, l’étendue du traité. La communauté internationale souhaite, dans sa grande majorité, que le texte englobe l’ensemble du cycle de vie du plastique, c’est-à-dire de l’extraction du pétrole au traitement du déchet plastique. En face, les pays réfractaires refusent que la production soit prise en compte.

Deuxième point d’achoppement : les composés du plastique. « Des positions ont été exprimées pour exclure du traité la question des produits chimiques, alors même qu’au moins un tiers des 13 000 additifs chimiques utilisés aujourd’hui sont clairement identifiés comme dangereux pour l’environnement et la santé », constate l’association écologiste No Plastic in my Sea, membre du mouvement international Break Free From Plastic.
Pas de consensus sur un vote à la majorité des deux tiers
Résultat, après sept jours de débats : l’avant-projet de texte (le « zéro draft ») va être révisé. Mais aucun calendrier n’a pu être établi pour fixer les travaux d’intersessions, qui doivent avoir lieu d’ici la prochaine session prévue du 21 au 30 avril à Ottawa, au Canada. « Or, ces travaux intersessions sont indispensables pour permettre de traiter l’étendue et la complexité des sujets en présence », souligne No Plastic in my Sea.
Malgré cet échec, Surfrider Foundation Europe relève que de nombreux pays, notamment les petits États insulaires en développement et les pays d’Afrique, ont fortement soutenu les dispositions pour un traité ambitieux.
La mise en place de ce traité est prévue pour la fin de 2024, après la session canadienne, fin avril 2024, et une dernière en République de Corée en novembre 2024. Pour l’heure, on voit mal, sauf surprise, comment les États pourraient trouver un accord tant les positions semblent irréconciliables. D’autant qu’il n’y a pas non plus de consensus pour décider d’un vote à la majorité des deux tiers, seule solution pour faire passer le texte.
« Si on aboutissait à un traité peu ambitieux, on pourrait agir sur d’autres leviers pour prendre des mesures sur le plastique, comme dans le cadre des négociations climat ou biodiversité », avance Diane Beaumenay-Joannet. Dans les ONG, on pense déjà à un plan B.