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Pour réhabiliter le plastique, l’industrie développe le recyclage chimique

Si les scientifiques s’accordent à dire que le recyclage chimique fonctionne bien, ils s’interrogent sur ses coûts économiques et environnementaux faramineux. Le tout, au détriment de la prévention de l’usage du plastique ou du réemploi.

« Ils choisissent la France ! » s’est enthousiasmé Emmanuel Macron le 17 janvier, à l’annonce de l’arrivée de la « plus grande plateforme européenne de recyclage du plastique ». Sur les 4 milliards d’euros apportés par les vingt-et-une entreprises étrangères dans le cadre du programme Choose France promu par le président de la République, plus de 1 milliard d’euros sera consacré au recyclage chimique. Ce procédé, ancien mais relativement confidentiel, sera développé par l’entreprise étasunienne Eastman dans « un site à définir » pour la coquette somme de 850 millions d’euros, mais également par la québécoise Loop Industries en Normandie, près du Havre, pour un budget de 250 millions d’euros. Celles-ci viendront « valoriser » au plus près de leur production les déchets plastiques des Français et compléteront l’offre hexagonale de recyclage chimique, en plein essor.

Car depuis quelques années, les géants de la chimie et de la pétrochimie multiplient les projets sur ce nouveau marché. On retrouve TotalEnergies à Grandpuits (Île-de-France), Michelin à Clermont-Ferrand, Exxon à Notre-Dame-de-Gravenchon (Seine-Maritime), Ineos à Wingles (Hauts-de-France). Et Dow possède d’ores et déjà une usine opérationnelle dans le Loiret. Ces projets rivaliseront avec les nouveaux venus, qui envisagent chacun de produire respectivement jusqu’à 160 000 tonnes de plastiques recyclés par an pour le premier, et 70 000 tonnes pour le second.

Pourtant, en 2015, l’Agence de la transition écologique (Ademe) jugeait « peu probable » que le recyclage chimique se développe en France. En cause : un statut réglementaire trop rigide, des autorisations d’exploitation difficiles à obtenir, des gisements de déchets plastiques trop chers et insuffisants, et des tarifs de rachat de l’électricité peu avantageux. Alors comment expliquer l’arrivée de ces projets faramineux sur le sol français ? « Il y a d’abord une prise de conscience globale de la nécessité d’agir contre la pollution plastique », explique Stéphane Bruzaud, chercheur à l’université de Bretagne-Sud, à Lorient. En 2018, la France a collecté 3,6 millions de tonnes de déchets plastiques et en a recyclé 887 000 tonnes. Cette année-là, plus de 1,5 million de tonnes ont été incinérées permettant de produire de l’énergie [1] et plus de 1,2 million de tonnes ont simplement été enfouies dans le sol.

Morceaux de plastique recyclé déchiquetés. Flickr/CC BY-SA 2.0/Tony Webster

Il existe aussi (et surtout) des contraintes réglementaires. La loi anti-gaspillage et économie circulaire de 2020 prévoit de tendre vers 100 % de plastique recyclé à l’horizon 2025. Et la loi Climat et résilience interdit au 1er janvier 2025 les plastiques non recyclables. La directive européenne SUP (single-use plastics, plastiques à usage unique) oblige aussi certains produits, comme les bouteilles d’eau (en polyéthylène téréphtalate, PET), à intégrer 25 % de plastique recyclé.

Sur le sujet, la France est à la peine. Elle fait même partie des pays européens qui recyclent le moins le plastique, préférant l’incinération productrice d’énergie, ou l’enfouissement à défaut de valorisation adéquate. Selon Citeo, l’entreprise spécialisée dans le recyclage des emballages ménagers, seuls 27 % des plastiques y étaient recyclés en 2018, et 28 % en 2020. La route vers le 100 % est encore longue.

Un modèle économique instable

Ce recyclage, mécanique jusqu’à présent, permet de produire de nouveaux plastiques, mais il présente de nombreuses limites. « Le procédé est tout à fait optimisé pour les plastiques rigides ou semi-rigides, moins pour les films plastiques très fins », explique Stéphane Bruzaud. De plus, la couleur ne pourra pas être modifiée et ses propriétés mécaniques se dégradent à chaque recyclage. Et, hormis le PET, le plastique recyclé ne pourra pas être réemployé au contact alimentaire, explique Sophie Génier, directrice du service recyclage chez Citeo. Autres difficultés : on ne recycle mécaniquement pas les plastiques multicouches — ces briques de lait composées de carton, de plastiques, voire d’aluminium —, car il est bien trop compliqué de séparer chaque couche, ni les plastiques souillés.

C’est là que le recyclage chimique intervient. Il consiste à séparer par réaction chimique tous les composés de la fibre plastique, un processus nommé dépolymérisation. En retirant les impuretés, on obtient alors des monomères [2] que l’on peut réassocier à l’envi. Deux variantes, la dissolution ou la gazéification, fonctionnent sur le même principe et aboutissent au même résultat. La pyrolyse diffère légèrement. Cette dernière technique, probablement la plus énergivore, consiste en un traitement à haute température des déchets plastiques. Il « permet de produire une huile riche en hydrocarbures, le tacoil, explique TotalEnergies. Cette huile, issue des déchets plastiques ainsi recyclés, peut alors être utilisée comme matière première pour fabriquer de nouveaux polymères », que sont les plastiques. 

Et on peut recycler la quasi totalité du produit. « C’est très différent du recyclage mécanique, qui ne permet de recycler que 60 à 80 % de la matière de base », dit Stéphane Bruzaud. « Et le plastique redevient comme vierge, avec les mêmes propriétés », vante Marc Madec, directeur du développement durable chez Polyvia, l’Union française des transformateurs de polymères. « Techniquement, à l’échelle R&D, tous les plastiques sont recyclables. La limite réside plutôt dans la faisabilité industrielle et économique », souligne M. Bruzaud. En d’autres termes, la technique n’est pas rentable à large échelle. 

Car comme son homologue mécanique, le recyclage chimique coûte cher. La technique nécessite des investissements importants, en termes d’infrastructures au départ et pour tourner ensuite. « L’industrie chimique s’en est emparée parce qu’elle possède les compétences et les équipements », explique Jean-François Gérard, du laboratoire Ingénierie des matériaux polymères de l’INSA (Institut national de sciences appliquées) de Lyon. Mais le recyclage chimique est une technologie émergente et son modèle économique reste à trouver.

Pourtant, « le marché est là, assure Marc Madec, de Polyvia. Le contexte réglementaire pousse à intégrer de la matière recyclée. Et puis, il y a une prise de conscience et une pression des consommateurs ». D’autant plus que la France et l’Europe poussent au développement du secteur. Preuve en est : depuis 2019, le gouvernement promeut la stratégie d’accélération recyclabilité, recyclage, réincorporation des matériaux recyclés dans le cadre de son Pacte productif 2025. Parmi ses objectifs : « développer la demande sur le marché national » et « développer l’offre » en matière recyclée, en soutenant notamment l’innovation et les investissements industriels.

« La priorité devrait être de réduire » le plastique

Attention toutefois, « le recyclage chimique est extrêmement énergivore et il utilise des solutions chimiques nocives pour l’environnement », dénonce Nathalie Gontard, directrice de recherche à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae). Même si les opérateurs assurent que les produits sont utilisés « dans des unités en boucle fermée » — c’est-à-dire confinées —, Sophie Génier, de Citeo, reconnaît que « la technologie est en train de passer de la paillasse à l’industrialisation » et que l’« on n’a pas toutes les réponses ». « Nous serons vigilants aux effets environnementaux et à la consommation énergétique », promet-elle.

« Et puis une fois que les usines sont en place, il faut les alimenter ! » s’insurge la directrice de recherche à l’Inrae. Selon elle, mieux vaudrait investir pour trouver des solutions alternatives au plastique. « Certes, le plastique restera nécessaire, mais la dynamique du recyclage va à l’encontre du principe de précaution, la priorité devrait être de le réduire », ajoute-t-elle.

Un avis partagé par Moïra Tourneur, responsable du plaidoyer chez Zero Waste France. Elle rappelle à cet égard que le Code de l’environnement prévoit que les objectifs de la politique nationale de prévention et de gestion des déchets doivent être adoptés de manière à respecter la hiérarchie des modes de traitement des déchets (dans l’ordre : prévention, réutilisation, recyclage, valorisation énergétique et élimination) et que « les soutiens et les aides publiques [doivent] respecter [cette] hiérarchie ». « Le problème est que la case prévention, on en parle, mais on ne fait pas grand-chose. Et la case réemploi saute très souvent, estime-t-elle. Nous avons besoin d’investissements structurels pour les filières du réemploi. »

« La solution unique n’existe pas »

Sans compter qu’il sera difficile d’atteindre le 100 % recyclé prévu par la loi sans une diminution drastique de nos consommations plastiques, estime la spécialiste. « En investissant dans le recyclage, l’industrie prend le problème à l’envers. » Depuis le 5 février et jusqu’au 25, le gouvernement a soumis à la consultation publique sa stratégie 3R (réduction, réemploi, recyclage) avant son adoption par décret. Son plan d’action est détaillé sur dix axes : quatre concernent directement la collecte et le recyclage, contre trois seulement pour la prévention et le réemploi.

Enfin, la spécialiste dénonce l’hypocrisie de certains industriels qui misent sur le recyclage du PET, « l’un des plastiques que l’on recycle le mieux ». D’autres matières sont encore très problématiques comme le textile, dont le recyclage reste balbutiant, les déchets du BTP ou encore ceux du numérique. Un point de vue partagé par Stéphane Bruzaud, qui conclut que « la solution unique n’existe pas » et qu’« il ne faut pas opposer les filières, mais miser sur leur complémentarité ».

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