Pourquoi je suis devenu activiste

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Climat LuttesLe grand climatologue James Hansen, directeur du Goddard Institute aux Etats-Unis, explique pourquoi il est sorti de sa réserve de scientifique.
Un militant, moi ? « Comment êtes vous devenus un militant ? » La question m’a pris par surprise. Je ne m’étais jamais considéré comme un militant. Je suis un scientifique du Midwest plutôt taciturne et un peu lent. Mon entourage familial est plutôt conservateur, et le terme militant y est mal vu. J’allais donc réfuter cette appellation mais de fait j’ai déjà été arrêté par la police plus d’une fois. Et aussi j’ai témoigné en justice, pour défendre des personnes accusées de ne pas avoir respecté la loi. Bien sur ces personnes protestaient contre notre dépendance aux carburants fossiles.
Mais n’y a-t-il pas des moyens légaux pour protester dans une démocratie ? Comment en étais je arrivé à me retrouver avec cette pancarte de militant ? En fait, mes petits enfants y sont pour beaucoup. Ca s’est passé progressivement. D’abord en 2004 j’ai rompu un vœu personnel de 15 ans de non intervention dans les medias. J’ai donné une conférence publique s’appuyant sur les travaux scientifiques qui montraient la nécessité de ralentir nos émissions de gaz à effet de serre, et j’ai critiqué l’administration Bush sur ce sujet. A cette occasion mes petits-enfants ont joué le rôle de figurants qui tenaient dans les mains des ampoules de 1 watt du genre que l’on met sur le sapin de Noël, pour illustrer les mécanismes du changement climatique.
14 mois plus tard, j’ai donné une autre conférence publique, reliant les causes du réchauffement climatique avec les choix que doit faire notre société et dénonçant les actions de désinformation des lobbys pétroliers. Je justifiais la vigueur du propos car je ne voulais pas entendre plus tard mes petits enfants dire : « Papi il a tout compris, mais il n’a pas su le rendre évident ». Et ce qui était devenu évident c’est que notre planète est toute proche du point de grand dérèglement climatique. Partout les glaces fondent, sur la banquise arctique, au Groenland, en Antarctique et dans toutes les montagnes. Des tas d’espèces sont menacées par la destruction de leur environnement et le changement climatique. Si on ne ralentit pas notre consommation de carburants fossiles, la montée des mers et la disparition des espèces vont s’accélérer et devenir incontrôlables. L’augmentation de la quantité de vapeur d’eau dans l’atmosphère accentue déjà les phénomènes climatiques extrêmes, augmentant les précipitations, aggravant les inondations et les tempêtes.
La stabilisation du climat passe par le rétablissement de l’équilibre énergétique de notre planète. La science est absolument claire. L’augmentation du CO2 dans l’atmosphère déséquilibre le bilan énergétique de la Terre ; les mesures de la chaleur supplémentaire stockée dans les océans le confirment. C’est une question de géophysique, la capacité qu’a notre terre, et son atmosphère, d’absorber le CO2 dégagé par les carburants fossiles. Dit simplement, l’atmosphère ne peut pas absorber plus qu’une certaine quantité de CO2. On ne peut pas brûler tous les carburants fossiles.
Concrètement, on doit (1) arrêter progressivement l’utilisation du charbon, (2) laisser les sables bitumineux là où ils sont sous terre et enfin (3) ne pas extraire tout le pétrole jusqu’à la dernière goutte. Des initiatives sont possibles qui permettront au monde de progresser vers les énergies renouvelables du futur. En rétablissant une atmosphère et des ressources en eau propres, on rendrait aux générations futures le monde de la création, la terre qu’ils sont en droit d’exiger. Mais rien n’a été fait.
J’ai pensé au début qu’il s’agissait d’un problème de communication. Les savants n’avaient pas su bien expliquer la chose aux dirigeants des grands pays. Il devait bien y avoir quelque part des pays capables de saisir l’injustice foncière des politiques énergétiques actuelles envers les générations futures ! Alors j’ai écrit des courriers à des dirigeants, je suis même allé voir plus d’une demi douzaine d’entre eux, visites que je décris dans mon livre Les Tempêtes de mes petits enfants.
A chaque fois, ce que j’ai entendu, c’est du greenwashing, de l’écoblanchiment. On fait semblant de se préoccuper de réchauffement climatique mais ce sont les intérêts du lobby pétrolier qui dictent les décisions politiques. La Norvège m’en a fourni un exemple -type. Je pensais que ce pays, historiquement en pointe en écologie, pourrait s’affirmer parmi les autres nations avec des actes concrets qui montreraient l’hypocrisie des discours et des pseudos actions d’autres pays. Ainsi j’ai écrit au premier ministre pour lui proposer que la Norvège, actionnaire majoritaire de la compagnie StatOil, intervienne pour bloquer leurs projets de schistes bitumineux au Canada. J’ai reçu une réponse polie du ministre délégué au Pétrole et à l’Energie. La position du gouvernement c’est que les projets de sables bitumineux relèvent des choix commerciaux de l’entreprise, que le gouvernement ne devrait pas intervenir et que le Parlement pense majoritairement qu’il s’agit en l’occurrence d’une » bonne gouvernance d’entreprise ». Le ministre délégué concluait ainsi sa lettre : « Je vous assure cependant que nous allons continuer à tenir une position très ferme sur les enjeux du changement climatique, que ce soit en Norvège ou à l’international »
Un ami norvégien, lui aussi grand-père, après avoir lu cette lettre, a cité Saint Augustin : l’hypocrisie est le tribut que le vice doit payer à la vertu. L’attitude du gouvernement norvégien est une dramatique confirmation de la situation globale actuelle : même le pays le plus respectueux de l’environnement trouve trop dérangeant de faire face à la réalité des faits scientifiques sur le climat.
Il devient évident que les actions nécessaires n’arriveront que si le grand public, d’une façon ou d’une autre, s’implique en force. Pour les citoyens, une façon de faire c’est de s’opposer aux projets de centrales à charbon, et de sables bitumineux, et de forages pétroliers dans des zones naturelles et les océans profonds. Cependant pour nous sevrer de notre dépendance aux carburants fossiles il nous faut bien comprendre qu’aussi surement que la gravité fait tomber les objets, aussi certain est le fait que nous continuerons à utiliser les carburants fossiles tant qu’ils seront moins chers que les autres énergies. La solution c’est donc de faire monter progressivement le prix du pétrole, du gaz et du charbon ; mettre un prix sur le carbone et le collecter auprès des entreprises fournisseurs de ces carburants fossiles, localement dès la mine ou le puits et pour les importations dès l’arrivée au port. Tous les fonds récoltés doivent être redistribués au public avec strictement la même part pour chacun, afin d’inciter chacun à adapter son mode de vie et les entreprises à innover pour des solutions sans carbone. Avec l’augmentation du prix du carbone, les carburants fossiles seront progressivement remplacés par des énergies propres et par plus d’efficacité énergétique. Une taxe sur le carbone c’est la seule solution globale réaliste.
La Chine et l’Inde n’accepteront jamais des quotas, mais elles ont besoin d’une taxe sur le carbone pour développer les énergies propres et éviter la dépendance aux carburants fossiles. Aujourd’hui les gouvernements, au contraire, parlent de marchés de quotas échangeables avec compensation, un système dévoyé par les grandes entreprises de la finance et du lobby pétrolier. Le marché des quotas c’est une incitation à la corruption. Pire, c’est inefficace, prolongeant notre dépendance jusqu’à la dernière goutte de pétrole et la catastrophe environnementale qui ira avec.
Stabiliser le climat, c’est un devoir moral, c’est une question de justice vis-à-vis des générations futures. Les jeunes gens, et les plus âgés aussi, qui défendent les jeunes et les autres espèces de la création, doivent s’unir en exigeant la mise en œuvre d’une démarche concrète pour protéger notre planète. Vu que les pouvoirs exécutifs et législatifs de nos pays restent sourds au discours scientifique, le pouvoir judiciaire représenterait peut-être la meilleure voie pour redresser la situation.
Les gouvernements ont la responsabilité institutionnelle de protéger les droits des jeunes et des générations à venir. Aux jeunes gens, je dis : défendez vos droits, exigez que les gouvernements soient sincères et reconnaissent les conséquences de leurs politiques. Aux personnes âgées je dis : il est temps de se ceindre les reins et combattre avec ces jeunes pour protéger le monde dont ils vont hériter. Je suis impatient de me tenir à leurs cotés, à les aider à développer leurs actions pour exiger ce qui leur est dû et préserver la nature et leur futur.
Je suis devenu un militant ? Sans doute.