Près de Nantes, une carrière de sable accusée d’assécher puits et étangs

La carrière de sable de la Grande Garde, exploitée par GSM, à Saint-Colomban. - © Capture d'écran La Tête dans le sable
La carrière de sable de la Grande Garde, exploitée par GSM, à Saint-Colomban. - © Capture d'écran La Tête dans le sable
Durée de lecture : 9 minutes
Eau et rivières LuttesÀ Saint-Colomban, en Loire-Atlantique, le niveau des puits inquiète et des étangs sont parfois à sec. Une tension sur l’eau que des riverains imputent à l’exploitation d’une carrière de sable.
Saint-Colomban (Loire-Atlantique), reportage
C’est l’histoire d’un marais qui porte de moins en moins bien son nom. Au hameau du Marais Gâté, situé à Saint-Colomban, à une trentaine de kilomètres au sud de Nantes, des baisses du niveau d’eau sont régulièrement constatées dans les puits et étangs depuis l’installation d’une carrière de sable à proximité.
Jean-Claude Camus, 75 ans, est en alerte sur le sujet depuis plus de vingt ans. Installé au Marais Gâté depuis 1971, il prend grand soin de sa maison, ainsi que d’un grand terrain comprenant un étang, un potager, un troupeau de moutons et un court de tennis, sport dont il est passionné.
« Ils nous ont dit que ce n’était pas possible qu’on manque d’eau »
En 1996, Saint-Colomban a fait l’objet de convoitise de la part de deux carriers : des entreprises qui veulent extraire du sable pour l’industrie de la construction. Le premier, GSM, avait l’intention de s’installer à quelques centaines de mètres du Marais Gâté. Le second, Lafarge, avait des prétentions un peu plus loin dans la commune. Aussitôt, Jean-Claude et des voisins se sont inquiétés de la situation.
« Nous nous demandions combien de camions passeraient à proximité, quels bruits nous allions subir et, aussi, si des problèmes d’eau pourraient survenir », se souvient-il, attablé dans sa cuisine, l’avant-bras posé sur une chemise à rabat contenant documents et archives de presse.

Conseiller municipal à l’époque, il s’est opposé à l’accord de principe de la mairie sur l’installation des deux carriers et a fondé en 1997, avec d’autres habitants, l’association Les Sables du Redour, du nom d’un ruisseau coulant dans le nord de la commune.
Dès le départ, GSM s’est pourtant montré rassurant. « Ils ont fait venir des experts qui ont déployé une grande carte pour présenter le chantier de la carrière. Ils nous ont dit que ce n’était pas possible qu’on manque d’eau, qu’on en aurait même plus ! » relate le septuagénaire au polo bleu.
18 mètres de profondeur
Mais l’entreprise annonçait des forages jusqu’à dix-huit mètres de profondeur. Or, le puits de Jean-Claude et de plusieurs voisins des carrières n’étaient creusés que sur cinq mètres. Dès 2001, à l’ouverture de la carrière de GSM, ils ont commencé à effectuer des relevés sur plusieurs d’entre eux dans la commune, dont deux au Marais Gâté (celui de Jean-Claude, et un autre inutilisé). Des relevés réalisés tous les ans au cours de la première semaine de novembre, en présence d’un huissier.
La moyenne montre une tendance à la baisse de leur niveau d’eau, alors que la pluviométrie est restée stable. Ces résultats ont été communiqués à GSM, qui en a contesté en partie la méthodologie. Pourtant, plusieurs documents de l’entreprise que Reporterre a pu consulter confirment que les niveaux d’eau ont baissé depuis 2001. Soit 0,5 mètre de moins à l’étang de Jean-Claude Camus ; pareil au puits mesuré au Marais Gâté.
Un chiffre resté stable entre 2010 et 2017 selon le carrier et son cabinet d’études, d’après les derniers relevés consultés. Jean-Claude Camus a réclamé plusieurs fois l’installation d’un piézomètre directement au Marais Gâté, mais cette demande est restée lettre morte.
« Il n’y avait plus une goutte d’eau, plus un roseau, plus un nénuphar, rien »
Plusieurs fois, son étang s’est retrouvé à sec. En 2009, puis en 2016, 2017 et 2018. « Il ne l’a pas été en 2022, année la plus chaude et la plus marquée par la sécheresse », fait remarquer Jean-Claude Camus, pour continuer d’en imputer une partie de la responsabilité sur la carrière et non pas seulement sur le changement climatique. Celui de sa voisine, Marie-Annick Tessier, s’est bien retrouvé à sec en 2022, mais c’était la première fois depuis qu’il avait été creusé en 1980.
« Il n’y avait plus une goutte d’eau, plus un roseau, plus un nénuphar, rien », commente-t-elle en nous montrant les niveaux qui sont toujours beaucoup plus bas qu’à l’habitude et dont les bords de l’étang portent la trace. Relié à plusieurs sources d’eau, cet étang a longtemps servi de base de jeu à ses enfants. Des parties de pêche s’y sont aussi déroulées et des canards y ont été élevés. Mais « toutes les carpes et les canards sont morts l’année dernière », dit-elle, sous le soleil de plomb du mois de juin.
Des résolutions à l’amiable
Contactée par Reporterre, GSM n’a pas répondu à nos sollicitations avant la publication de cet article. Le carrier semble être conscient de sa responsabilité sur la baisse du niveau d’eau dans le hameau, sans formellement la reconnaître. Au Marais Gâté, plusieurs foyers s’alimentaient en eau potable directement à leur puits et certains étaient complètement à sec. En 2009, GSM a alors financé le raccordement au réseau d’eau potable de huit foyers. Y compris celui de Jean-Claude Camus, pourtant déjà raccordé, le puits ne lui servant que pour la douche, les machines à laver et son jardin. Il a même obtenu un chèque de 1 000 euros.
Dans le protocole d’accord, GSM considère « qu’il ne peut être uniquement tenu responsable » de la baisse du niveau des puits et déclare que le financement du raccordement vise à « conserver entre [les parties] des relations de bon voisinage ».
« Il y a moins d’eau à côté des sablières »
Les plaintes sur les niveaux d’eau ont continué. « En 2017, GSM s’est engagé à ne plus procéder à des extractions à proximité du Marais Gâté pendant l’été, ainsi qu’à réaliser deux puits de secours », dit Jean-Claude Camus. Les deux puits ont bien été réalisés dans le hameau, habillés de béton gris. GSM a aussi convenu avec lui de remplir son étang une fois par an. « En une journée, ils m’apportent 100 000 litres d’eau. Ils m’ont dit que ça allait tenir six semaines. »

Cette baisse des niveaux d’eau est constatée dans d’autres hameaux de Saint-Colomban, plus proches de la carrière ouverte par Lafarge, également installée dans la commune. « Il y a clairement des secteurs de la commune à côté des sablières où il y a aujourd’hui moins d’eau », observe Patrick Bertin, le maire de Saint-Colomban. De quoi élargir le soupçon à l’activité d’extraction du sable en tant que telle. Le maire précise cependant que plusieurs agriculteurs colombanais considèrent que d’autres secteurs de la commune restent beaucoup plus secs que ceux voisins des sablières.
« Les carriers sont obligés de pomper en permanence, ce qui crée un cône de puisage au niveau de la nappe phréatique. Son plafond est donc beaucoup plus bas, ce qui affecte clairement les puits creusés moins profondément », explique Pierre Douville, retraité du syndicat du bassin versant de Grand-Lieu, le lac à proximité alimenté en partie par la nappe se trouvant sous Saint-Colomban. Il est membre aujourd’hui du collectif La Tête dans le sable, qui lutte contre des extensions annoncées aussi bien par GSM que par Lafarge.
Des habitants encore inquiets
Ces projets continuent de nourrir les inquiétudes. Un habitant arrivé récemment au Marais Gâté et qui préfère rester anonyme, confie : « Je me demande si j’ai fait un bon choix dans l’achat de ma maison, si elle va perdre de la valeur, se retrouver autour d’une friche industrielle ou si l’assèchement des sols va provoquer des fissures aux murs », ajoutant qu’il est aussi préoccupé par « le contexte écologique et le niveau des nappes qui descend ».
Aurélie Hervouet s’en soucie aussi. Lorsqu’elle est arrivée en 2011 au Marais Gâté, sa maison était déjà raccordée au réseau d’eau potable et elle concède qu’elle n’a jamais « vraiment fait attention au niveau du puits ». Par contre, elle s’inquiète que « la nappe phréatique soit mise à ciel ouvert et de la quantité d’eau qui s’évapore », car l’eau remplit le fond des bassins déjà exploités. Elle a également rejoint le collectif La Tête dans le sable, qui évalue l’évaporation de l’eau par les deux carrières de Saint-Colomban à un million de mètres cubes par an.
Carriers et maraîchers
La Tête dans le sable, comme Jean-Claude Camus, qui a rejoint le collectif, plaide aujourd’hui pour mettre ces projets d’extension sur pause, en attendant les résultats d’une étude sur l’hydrologie, les milieux, les usages et le climat (HMUC) lancée en janvier par le syndicat du bassin versant de Grand Lieu. Celle-ci devrait être terminée d’ici 2025 et permettra de connaître précisément les niveaux de toute l’eau qui circule dans les cours et dans les nappes, ainsi que les prélèvements qui y sont réalisés.
Une forme de « contre-expertise » qui permettra « de compléter par un acteur indépendant les études faites par les carriers », décrit Patrick Bertin. Le maire de Saint-Colomban, qui soutient les projets d’extension après une consultation citoyenne tout juste favorable au déclassement de terres agricoles à leur profit, estime que « cela permettra d’être fixé pour savoir s’il y a des choses à améliorer ou à interdire pour les carrières ».
De quoi avoir une idée plus claire des conséquences de l’exploitation du sable sur la nappe phréatique, mais aussi de l’activité des maraîchers industriels alentour, également pointés du doigt par le collectif pour leurs pompages de plus en plus importants. Des maraîchers qui constituent d’ailleurs 30 % des débouchés de sable de GSM.